PRIMEUR - À Fermont sur la Côte-Nord, l’expansion de la mine du mont Wright d’ArcelorMittal ne fut pas de tout repos pour Gastier. Après des dépassements de coûts de 165 % sur sa partie du chantier, cette ancienne compagnie de Tony Accurso réclame 25 M$ en travaux impayés. Le maître d’œuvre SNC-Lavalin refuse d’autoriser le paiement, et Gastier demande l’arbitrage, a appris Les Affaires.
Le pdg du grand sidérurgiste, l’Indien Lashmi Mittal, voulait son agrandissement au plus vite à Fermont pour augmenter sa production de fer et profiter des prix record. Son maître d’œuvre SNC-Lavalin a fait venir Gastier à Fermont pour piloter les travaux mécaniques et électriques alors que l’ingénierie n’était complétée qu’à 60 %, selon une source bien au fait du contrat, octroyé en appel d’offres fin 2011.
La partie du projet sous le contrôle de Gastier était officiellement évaluée à 72 M$, «même si tout le monde savait que ça allait être plus», assure notre source.
Les relations entre SNC-Lavalin, l’entrepreneur général et les autres sous-traitants se sont vite corsées. Plans d’ingénierie en retard, bâtiment trop peu avancé pour y faire les travaux… En plus de ces problèmes d’exécution, les conflits autour des sommes à payer à Gastier ont commencé dès le début, selon nos informations.
Après six mois de retard sur l’échéancier, d’abord fixé à décembre 2012, le contrat est passé de 72 à 190 M$, et l’entrepreneur général, aujourd’hui exclu du chantier, réclame 25 M$. Cette somme inclut les multiples versements que Gastier doit faire à ses propres sous-traitants, engagés en grand nombre pour l’appuyer sur ce chantier chaotique. Le maître d’œuvre SNC-Lavalin reproche à la compagnie d’avoir indûment «étiré» les travaux, selon plusieurs entrepreneurs consultés.
En juillet, le conflit entre ArcelorMittal et son entrepreneur général a franchi un nouveau seuil. Après la grève de la construction, Gastier a exigé d’être payé avant de renvoyer ses employés sur le chantier. Mais le maître d’œuvre SNC-Lavalin, qui doit donner son aval pour tout paiement, a refusé d’approuver le chèque. Le 3 juillet, l’entreprise a plutôt reçu une lettre résiliant son contrat, faute de s’être présentée pour continuer les travaux.
Questionné à ce sujet, le porte-parole d’ArcelorMittal, Éric Tétreault, refuse de commenter «ses négociations avec ses sous-traitants».
Les problèmes de la multinationale indienne avec ses entrepreneurs se sont multipliés au même rythme que les imprévus sur le chantier, sous la responsabilité du maître d’œuvre SNC-Lavalin. En arrivant sur les lieux en janvier 2012, Gastier et les autres compagnies ont trouvé une bâtisse dont les murs et les planchers commençaient tout juste à être coulés. «On le voyait, confirme un autre entrepreneur du chantier qui refuse d’être identifié, par peur des représailles. Les gars de Gastier travaillaient au sous-sol ; ils passaient des supports électriques, des conduites et des tuyaux de ventilation n’importe où, puis ils recommençaient… Les plans n’étaient pas finaux !»
Selon nos informations, Gastier a même dû suspendre des échafaudages au plafond, au-dessus de 50 pieds de vide, pour y installer les équipements électriques, faute de plancher dans le bâtiment de l’extension. Puis en septembre 2012, l’entrepreneur devait poser la tuyauterie dans l’immeuble… sans plans.
D’autres sous-traitants sur la paille
D’autres sous-traitants sur la paille
Gastier n’est pas le seul à avoir du mal à se faire payer: neuf entrepreneurs différents ont enregistré des garanties hypothécaires sur l’usine d’ArcelorMittal depuis janvier, pour un total de 30 M$, selon le registre foncier.
Plusieurs d’entre eux risquent d’être emportés par le refus de SNC-Lavalin de faire payer leurs factures. Un sous-traitant de Gastier, Échafaudage industriel inc., réclame près de 5 M$ à ArcelorMittal.
«Je ne sais pas trop ce qui s’est passé entre Gastier, SNC-Lavalin et ArcelorMittal, mais on s’est retrouvés entre eux», dit Mario Tremblay, président de l’entreprise de Jonquière, à Saguenay.
ArcelorMittal a versé son argent dans un compte en fidéicommis. Mais en tant qu’entrepreneur général, Gastier tarde à autoriser le paiement.
En attendant, Mario Tremblay a dû négocier un prêt personnel avec sa caisse pour rémunérer ses employés, dont une trentaine sont toujours sur le chantier d’ArcelorMittal. «Pour moi, 5 M$, c’est une affaire de fous !» jure-t-il. Il évalue son chiffre d’affaires annuel à 16 M$. «Heureusement qu’on a un peu de liquidités ; on serait sûrement fermés autrement aujourd’hui.»
Coups durs pour l’ancienne compagnie d’Accurso
Coups durs pour l’ancienne compagnie d’Accurso
Pour Gastier, ces 25 M$ impayés représentent plus de 10 % du chiffre d’affaires de Gastier MP. C’est un deuxième coup dur pour l’entreprise depuis fin avril, alors qu’elle était acquise par les Investissements Hexagone, détenus notamment par les fils Accurso et l’ancien directeur général du Parti libéral du Québec Joël Gauthier.
En mai, ces nouveaux dirigeants ont dû accepter qu’un autre de ses clients, Orbite Aluminæ, paye Gastier en actions. L’entreprise construisait alors son usine de terres rares en Gaspésie. Le paiement à l’entrepreneur général et son sous-traitant Vtek valait alors 13,7 M$. Mais depuis, le titre de l’entreprise a perdu 43,5 ¢, soit 54 %.
Parmi les six actionnaires d’Hexagone figure aussi Sylvain Gadoury. Recruté juste avant que Tony Accurso achète Gastier en 2008, il est aujourd’hui président de l’entreprise. Son prédécesseur, Robert Abdallah, était un ancien directeur général de la Ville de Montréal largement mis en cause dans les scandales de corruption décrits à la commission Charbonneau.
Joint par Les Affaires, le patron de Gastier s’en tient à une déclaration. «La philosophie de Gastier et d’Hexagone, c’est de toujours faire partie de la solution, dit Sylvain Gadoury. La dernière place où on veut aller, c’est en cour, et on n’a pas besoin d’y aller.»
ArcelorMittal n’a pas voulu commenter les litiges avec Gastier et les autres entrepreneurs. «Tant que le projet n’est pas terminé, on ne peut pas dire s’il y a des dépassements de coûts ou non», ajoute Éric Tétreault, porte-parole de la multinationale indienne.
Le projet d’expansion de la mine du mont Wright, qui vise à faire passer la production des installations de 14 à 24 millions de tonnes par année, doit coûter au total 1,2 G$, selon les dernières Perspectives de la Commission de la construction du Québec. ArcelorMittal a refusé de confirmer ce chiffre.
Quant au maître d’œuvre, il s’abstient de dire pourquoi il refuse de faire approuver les paiements à Gastier et aux autres sous-traitants. «SNC-Lavalin est consultant pour AcelorMittal dans le dossier, écrit la porte-parole Lilly Nguyen dans un courriel. Comme Gastier est en litige vis-à-vis d’ArcelorMittal, SNC-Lavalin a donc un devoir de réserve par rapport à son client.»
Selon nos informations, la production dans l’expansion a finalement pu commencer durant les dernières vacances de la construction, fin juillet. Les travaux ne sont pas tout-à-fait terminés et l’usine agrandie ne produit pas encore à pleine capacité. «Le but, c’est de faire monter la production, et de terminer l’extension le plus vite possible», dit le porte-parole Éric Tétreault, qui n’a pas précisé l’état d’avancement des travaux.