La technologie d'hydrolienne de la montréalaise RER semble promise à un bel avenir. L'ontarienne Northland Power compte installer dans le Saint-Laurent une quarantaine de ses turbines pour transformer le courant du fleuve en électricité. Et RER doit inaugurer fin mars une usine flambant neuve pour produire 250 de ces machines par année.
L'usine vient d'être aménagée dans un grand bâtiment industriel, dit le directeur général de l'entreprise. Mais pour l'instant, il tient secret son emplacement précis. «Elle fait 70 000 pieds carrés, plus 10 000 pieds carrés pour l'administration, les ingénieurs et le centre de recherche», dit Imad Hamad. Il assure que l'ouverture de la nouvelle installation créera «350 emplois stratégiques et durables au Québec».
Jusqu'ici, RER a dépensé 35 millions de dollars (M$) pour édifier cette nouvelle usine. Cette somme s'ajoute aux 28 M$ déjà dépensés en 2007 pour mettre au point son hydrolienne de trois mètres d'envergure et la tester. L'entreprise emploie 35 personnes à temps plein.
Au pied du pont de la Concorde, l'une de ces «turbines de récupération de l'énergie cinétique», ou TRÉC, a fonctionné 13 500 heures depuis 2010 «sans aucune défaillance», dit Imad Hamad. Les Affaires l'ont rencontré dans la salle de contrôle de la machine, dissimulée sous une passerelle sur le Quai de l'horloge, pour ne pas gêner la vue des promeneurs, dans le Vieux-Port.
À cet endroit, le courant est de 2,8 mètres par seconde, ce qui produit une puissance de 100 kilowatts, acheminée sur le réseau d'Hydro-Québec presque en permanence. Mais la machine est conçue pour générer jusqu'à 340 kilowatts, lorsqu'elle est installée dans un courant de 4,5 mètres par seconde. Derrière de grands panneaux de tôle, un équipement à la fine pointe recueille en temps réel des informations transmises par fibre optique sur le courant et le comportement de la TRÉC.
Northland Power, qui exploite deux parcs éoliens au Québec, est le premier client de RER. L'entreprise veut installer 40 de ces turbines entre les ponts de la Concorde et Jacques-Cartier. Les machines pourraient produire jusqu'à 10 mégawatts, assez pour alimenter 2 000 foyers en période de pointe hivernale.
«C'est assez avancé», assure Jean Paquin, qui dirige le projet pour le producteur d'énergie renouvelable. L'ingénieur ne peut cependant pas donner d'échéancier fixe. «On doit commencer par en poser quelques-unes, dit-il. Mais les travaux sont imminents.» Northland Power pourrait installer une seconde hydrolienne cet été, ajoute-t-il.
L'ontarienne a des plans bien plus ambitieux pour le Mississippi. Elle a obtenu des licences pour installer jusqu'à 4 000 de ces machines à 16 emplacements du long fleuve américain ! Autant d'hydroliennes qui seraient produites dans les nouvelles installations montréalaises de RER, à Montréal. Une commande potentielle de plus de 8 milliards de dollars, selon Imad Hamad !
Du Vieux-Port à Kuujjuaq
Dans le cadre du Plan Nord, RER pourrait bientôt installer ses turbines dans la rivière Koksoak ou la Caniapiscau, près de Kuujjuaq, pour remplacer la génératrice au diesel qui alimente le plus important village inuit du Québec. «On est en étude de faisabilité, dit Imad Hamad. On va faire un premier projet pilote avec la Société du Plan Nord.»
Le gouvernement fédéral a accordé des subventions totalisant 6 M$ à RER. De son côté, Hydro-Québec a réalisé des tests sur la machine pour confirmer ses performances, à même son budget de recherche et développement.
L'entreprise a intégré à son hydrolienne un alternateur fabriqué par TM4, la filiale d'Hydro-Québec ayant mis au point le moteur roue.
La machine de RER est conçue pour produire de l'électricité à un coût comparable à celui des éoliennes, soit une dizaine de cents le kilowattheure. C'est encore beaucoup plus cher que le coût moyen d'Hydro-Québec (2,14 ¢), mais c'est comparable au coût de son projet de La Romaine.
Exploiter le courant
Les hydroliennes de RER fonctionnent un peu comme des éoliennes, mais sous l'eau. Elles exploitent le simple courant d'un cours d'eau, sans compter sur la force de la gravité pour actionner les pales, comme dans le cas des turbines hydroélectriques classiques.
D'un point de vue environnemental, Imad Hamad vante les vertus de sa machine, qui ne nécessite aucune construction de barrage et ne gêne pas la vue. Mais Northland Power, RER et le gouvernement devront tout de même surveiller les effets de ces machines sur les poissons. Pour Gaëtan Lafrance, professeur honoraire à l'INRS-Énergie et matériaux, cette question risque de poser problème. «En général, les écologistes n'aiment pas ce qui est dans l'eau», dit-il. Mais le patron de RER assure que sa technologie aura un impact minime sur la faune.
GARDER L'EXPERTISE
L'américaine Æcom a bien failli mettre la main sur la technologie TRÉC. Le géant américain a racheté l'ancien propriétaire de RER, la firme de génie-conseil RSW, en 2010. Mais les dirigeants de la division ont refusé de vendre. «Dans l'éolien, on est devenus des poseurs de boulons au Québec. Moi, j'ai tout mis sur la table pour que l'expertise et les profits restent chez nous, dit Imad Hamad, l'un des quatre actionnaires de la firme. J'ai réhypothéqué ma maison pour financer l'entreprise.»
Depuis 2008, le Libanais d'origine a investi un million de dollars dans la société et sa technologie d'hydroliennes.
Ses partenaires sont l'ancien pdg de RSW, Georges Dick, Jacques Mercier et Émile Marquis.