Après avoir traversé la tempête depuis 2005, l'industrie forestière québécoise reprend de la vigueur grâce à la baisse du dollar canadien et à la hausse des mises en chantier aux États-Unis. Le manque d'approvisionnement en bois restreint toutefois l'investissement. Les industriels craignent de ne pas pouvoir profiter pleinement de la relance.
« Seuls les joueurs les plus solides ont survécu à la crise forestière. Si on leur donne de bonnes conditions, ils ne peuvent que bien faire », soutient Jean-François Larue, économiste en chef de l'Association des produits forestiers du Canada (APFC).
Le nombre de mises en chantier au pays a franchi la barre du million en 2014, et la construction résidentielle devrait atteindre 1,2 million de logements en 2015 et 1,5 million en 2016, selon la National Association of Home Builders (NAHB). « Ces chiffres représentent une augmentation de 6 à 8 % de la demande des produits du bois », souligne Peter Barynin, économiste principal pour la Filière bois du RISI, une firme américaine de recherche sur l'industrie.
Compétitionner avec la Russie
Pendant ce temps, le prix de référence des produits du bois varie de 370 à 400 $ depuis le début de 2014, après avoir touché le fond historique de 181 $ en 2009. Grâce à un huard à la baisse, les produits forestiers de l'est du Canada deviennent soudain plus concurrentiels, passant du 4e au 3e quartile sur le plan de la compétitivité, selon l'analyste .
« Les producteurs du sud-est des États-Unis sont de loin les plus compétitifs. Ensuite viennent les producteurs de l'est du Canada, car la Colombie-Britannique, qui exporte beaucoup en Chine, ne peut suffire à la demande », dit-il.
Frédéric Verreault, porte-parole de Chantiers Chibougamau, se réjouit de l'embellie sur les marchés, même si l'augmentation du prix du bois demeure un irritant majeur. Il se demande s'il est normal qu'une entreprise française, qui assemble des panneaux de bois massif avec du bois de Russie, arrive à être plus concurrentielle que Chantiers Chibougamau pour des constructions au Québec.
« Nous devons réfléchir collectivement pour déterminer si notre bois doit être le catalyseur d'une chaîne économique ou si le mètre cube est une finalité pour recevoir des redevances », ajoute-t-il. Chantiers Chibougamau verse pour plus de 30 millions de dollars en salaires et achète annuellement pour 50 M$ de biens et services dans le nord du Lac-Saint-Jean et à Chibougamau.
Des investissements sur la glace
Malgré la reprise, James Lopez, pdg de Tembec, préfère quant à lui attendre avant d'investir 35 M$ sur cinq ans pour moderniser ses scieries au Québec. « Nous avons besoin de certitude en ce qui a trait à l'approvisionnement forestier, soutient-il. « Oubliez les investissements tant que le gouvernement Couillard n'apportera pas de modifications au nouveau régime forestier, qui a fait grimper le prix du bois au Québec. » Par exemple, les industriels souhaitent l'élimination du prix plancher lors des mises aux enchères.
L'implantation du nouveau régime forestier se traduit par une baisse de l'approvisionnement garanti, des mises aux enchères et de la planification, ce qui fait augmenter le prix du bois et donc rendre les scieries québécoises moins concurrentielles, signale le pdg.
« Nous ne pouvons pas laisser le dollar canadien nous rendre trop confortable. Si le gouvernement agit, nous serons en mesure d'investir », croit M. Lopez. Pendant ce temps, l'entreprise prévoit investir 50 M$ pour moderniser ses usines de sciage de l'Ontario, où le coût du bois est moins élevé.
Même constat du côté de Richard Garneau, pdg de Produits forestiers Résolu. « Le coût du bois a augmenté de 25 % depuis 2011 », note-t-il. Dans ce contexte, Résolu, qui a récemment redémarré l'usine de Maniwaki, d'une capacité de 160 millions de pieds mesure de planche (pmp), et ouvert une nouvelle scierie de 50 M$ en Ontario, ne compte pas investir davantage au Québec.
« On arrive à un moment où les marchés sont au rendez-vous. Est-ce qu'on peut enfin en profiter ? » demande André Tremblay, pdg du Conseil de l'industrie forestière du Québec (CIFQ). Le CIFQ revendique entre autres que les 30 millions de mètres cubes de bois non récolté entre 2008 et 2013, faute de marché, soient octroyés aux transformateurs.
Bien planifier pour plus d'efficacité
Depuis l'instauration du nouveau régime forestier, la planification de la récolte de bois, qui était jadis la responsabilité de l'industrie, a été reprise par le gouvernement. « On n'a pas nécessairement la quantité, la bonne essence, au bon moment. Ça cause des problèmes d'efficacité et des augmentations de coût dans les scieries », explique Richard Garneau.
Pour améliorer l'efficacité, le gouvernement et l'industrie ont réussi à s'entendre afin de mieux répartir les rôles à la fin de janvier, soutient André Tremblay. En participant à la planification, les industriels auront désormais leur mot à dire avant que la récolte ne commence.
Pendant ce temps, la demande de papier journal chute encore plus rapidement que prévu. « La baisse est de plus de 8 % en Amérique du Nord, alors qu'on s'attendait à une baisse de 4 % », mentionne Jean-François Larue. C'est ce qui explique plusieurs fermetures au Québec au cours de la dernière année, notamment celles de l'usine Laurentides à Shawinigan ainsi que d'une machine à Baie-Comeau et d'une autre à Clermont, toutes propriétés de Résolu.
Pour pallier cette baisse, l'industrie se tourne vers la fabrication de carton et de papier hygiénique, et vers la chimie verte.
Selon l'économiste de l'APFC, le taux de change à la baisse donne de l'oxygène au secteur de la pâte à papier, qui représente une production annuelle de 60 millions de tonnes (Mt) au Canada. La concurrence est cependant féroce avec des pays comme le Brésil et la Russie, qui produisent chacun respectivement 15 Mt et 6,6 Mt de pâte à papier annuellement, et où la monnaie s'est dépréciée davantage que le dollar canadien.
La main-d'oeuvre au rendez-vous?
L'industrie forestière aura besoin de 60 000 recrues d'ici 2020, selon l'Association des produits forestiers du Canada (APFC). « La demande d'employés qualifiés sera très forte, en particulier les chimistes, les ingénieurs et les opérateurs de machinerie lourde », dit Jean-François Larue, économiste en chef de l'APFC.
Selon plusieurs experts, le renouvellement de la main-d'oeuvre sera l'un des plus grands enjeux de l'industrie au cours des années à venir. Pour combler les départs à la retraite, les industriels doivent mettre les bouchées doubles. Par exemple, Produits forestiers Résolu a développé des programmes de formation sur mesure avec le Cégep de Saint-Félicien pour la production de pâte et papier et la formation de cadres dans ses scieries.
Atteindre 12 % d'aires protégées en 2015
En 2015, Québec devra protéger 64 000 km2 supplémentaires de forêt pour atteindre son objectif de protection de 12 % du territoire québécois. Du même coup, la quantité de bois disponible pour l'industrie forestière s'en trouvera réduite.
« Je ne peux pas spéculer sur la quantité de bois qui sera perdu, mais il y aura des impacts », mentionne Richard Garneau, pdg de Produits forestiers Résolu. Il croit que c'est aux communautés de décider où seront les aires protégées, pas aux activistes.
Avant d'imposer de nouvelles contraintes à l'industrie, André Tremblay, pdg du Conseil de l'industrie forestière du Québec, propose d'augmenter la productivité de nos forêts. « On pourrait planter des arbres sur de grands espaces improductifs dans le Nord pour conserver la possibilité forestière, malgré l'implantation d'aires protégées », suggère-t-il.
Un chantier de travail sur le sujet, présidé par le doyen de la Faculté de foresterie de l'Université Laval, Robert Beauregard, a été lancé lors du Rendez-vous sur la forêt à l'automne 2013. Des recommandations sont attendues ce printemps.
Quelques chiffres
355 $: L'accord sur le bois d'oeuvre entre le Canada et les États-Unis, qui prévoit un système progressif lorsque le prix de référence des produits du bois passe sous la barre des 355 $, expire en octobre 2015. Une période tampon d'un an s'appliquera si aucune entente ne survient d'ici là.
76 500: Nombre d'emplois dans l'industrie des produits forestiers au Québec. Source : Enquête sur la population active, 2012, Statistique Canada
375 %: La valeur des exportations canadiennes vers la Chine a crû de 375 % depuis 2003, à 4,7 milliards de dollars en 2014. Source : Industrie Canada
11,9 %: Contribution du secteur forestier au PIB canadien. C'est le 2e secteur en importance derrière le secteur alimentaire. Source : Statistique Canada
25 %: En 2013, le nouveau régime forestier a réduit l'approvisionnement garanti aux industriels de 25 %. Ce bois est désormais mis aux enchères. Source : Ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs
343 214: En 2013, il y a eu 343 214 km2 de superficie forestière exploitée au Québec. De ce nombre, plus de 276 000 km2 était constituée de forêts publiques. Source : Conseil de l'industrie forestière du Québec
2,5 %: La productivité de l'industrie des produits forestiers du Canada a augmenté de 2,5 % entre 2000 et 2012. Pendant ce temps, les autres secteurs de l'économie n'ont crû que de 0,7 %. Au Québec, la productivité a été haussée de 2,76 %. Source : Statistique Canada
Toutes les exportations de produits forestiers sont en hausse au Québec. En 2014, les exportations de bois, de pâte et de papier ont respectivement crû de 2,7 %, de 1,2 % et de 4,9 %. Source : Statistique Canada