Une compagnie d’exploration gazière a déposé un avis d'intention de poursuivre le Canada en vertu de l’ALENA. Elle demande une indemnisation de 250 M$ pour «l’expropriation sans compensation» de ses droits sous le fleuve Saint-Laurent par le gouvernement Charest, a appris Les Affaires.
Lone Pine Resources, de Calgary, n’a pas de véritable bureau aux États-Unis, mais elle est officiellement enregistrée au Delaware, ce qui lui permet d’être considérée comme «investisseur américain» en vertu de l’Accord de libre-échange nord-américain. Le cabinet d’avocats qui la représente, Bennett Jones, de Toronto, est passé aux actes le 8 novembre en envoyant un avis d'intention de demander l’arbitrage au Sous-procureur général du Canada.
Lone Pine Resources veut être compensée pour ses pertes dues à ce qu’elle qualifie de «révocation arbitraire, capricieuse et illégale des droits d’exploration de l’entreprise pour le pétrole et le gaz sous le fleuve Saint-Laurent par le gouvernement du Québec, sans vérification diligente, sans compensation, et sans intérêt public connu», selon l’avis d’intention, qu'a obtenu Les Affaires.
«La Loi 18 a carrément exproprié les droits de Lone Pine sous le fleuve», affirme l’avocat de l’entreprise, Milos Barutciski. Dans le mois suivant son dépôt à l'Assemblée nationale, en mai 2011, l'entreprise a tenté de discuter avec Québec pour «trouver une solution mutuellement acceptable», selon l'avis. «Ces efforts ont été repoussés de façon répétée, et le 10 juin 2011 - moins d'un mois après sa présentation à l'Assemblée nationale -, la Loi 18 a été adoptée discrètement et rapidement.»
Compagnie américaine ?
Compagnie américaine ?
Pour faire une plainte contre le Canada en vertu de l’ALENA, une entreprise doit avoir une structure corporative aux Etats-Unis ou au Mexique. De son côté, Lone Pine a son siège social à Calgary et y mène la quasi totalité de ses activités, mais elle est officiellement enregistrée au Delaware. La compagnie est également cotée à la Bourse de New York, comme à Toronto.
La réceptionniste assure que l'entreprise «n'a pas de bureau aux États-Unis». «Nous avons une adresse postale là-bas pour des raisons légales, mais nous n'y prenons pas d'appels», explique Shane Abel, vice-président, relations avec les investisseurs chez Lone Pine.
Pour Alfred de Mestral, spécialiste du droit international à l’Université McGill et ancien arbitre de l’ALENA, Lone Pine devra prouver qu’elle a une véritable «structure corporative» au sud de la frontière. «Elle devra s’attendre à ce que le gouvernement canadien conteste qu’il s’agit d’une vraie compagnie américaine.»
Avocat spécialisé en droit international, Bernard Colas croit lui aussi que le Canada pourrait tenter de faire valoir que cette entreprise est passée par une compagnie américaine simplement pour pouvoir poursuivre Ottawa. «Ça ne veut pas dire que l’objection du Canada va avoir gain de cause, dit-il. Le choix des arbitres sera stratégique.»
Mais le vice-président des relations aux investisseurs de Lone Pine n'a aucune inquiétude. «C'est très clair que nous sommes une compagnie américaine, dit Shane Abel. Nos actionnaires sont aux États-Unis, le gros des transactions sur le titre se font aux États-Unis, et nous y sommes incorporés.»
Exploration interdite dans le fleuve
Exploration interdite dans le fleuve
Québec a adopté la loi interdisant l’exploration gazière et pétrolière dans le fleuve Saint-Laurent et son estuaire en juin 2011. En commission parlementaire, le porte-parole de l’Association pétrolière et gazière du Québec, l’ancien premier ministre Lucien Bouchard, avait prévenu en commission parlementaire qu’il faudrait indemniser les neuf entreprises touchées. Une idée écartée par la ministre des Ressources naturelles à l’époque, Nathalie Normandeau.
Ottawa confirme avoir reçu l'avis d'intention de porter plainte. «Le gouvernement du Canada examine les renseignements fournis dans la notification d’intention soumise par Lone Pine le 8 novembre 2012, en consultation avec le gouvernement du Québec», indique le ministère fédéral de la Justice.
De son côté, le chef de cabinet de la ministre des Ressources naturelles du Québec, Martine Ouellet, confirme avoir reçu la plainte le 12 novembre. «Je l’ai envoyé aux fonctionnaire pour analyse, dit Denis Hardy. Je n’ai pas encore eu de nouvelles.»