Des spécialistes de la santé publique exhortent les élus de l'Estrie à rappeler le gouvernement provincial à ses responsabilités dans le dossier de l'amiante, en refusant tout simplement de se pencher eux-mêmes sur l'avenir de la mine Jeffrey d'Asbestos.
Québec doit décider sous peu s'il accorde une garantie de prêt de 58 millions $ à l'entreprise qui souhaite reprendre ses activités au printemps.
Le ministre de l'Industrie, Clément Gignac, a demandé au début du mois aux représentants de la région de lui donner leur avis sur la question. Les élus devront entre autres évaluer si la mine a pris les mesures nécessaires pour assurer l'utilisation sécuritaire de l'amiante à l'étranger.
Mais dans une missive datée du 16 novembre, les docteurs Fernand Turcotte, Yv Bonnier Viger et Pierre Gosselin, et la militante pour les droits de la personne Kathleen Ruff affirment que le refus de ce « mandat empoisonné » constitue « la seule alternative honorable » pour la Conférence régionale des élus (CRÉ).
À leur avis, l'organisme, qui regroupe les maires et les préfets de la région, devrait outrepasser la volonté de citoyens « si complètement intoxiqués depuis si longtemps » par les arguments de l'industrie, et songer d'abord aux conséquences du commerce de l'amiante sur la santé humaine.
« Il fait partie des responsabilités de l'élite de rappeler les dirigeants politiques nationaux à leurs devoirs, écrivent les signataires. Quand ils se refusent à tenir compte des connaissances scientifiques correctement établies, comme ils le font présentement, ces dirigeants manquent à leurs obligations.
Les auteurs de la lettre rappellent que plusieurs associations professionnelles de médecins se sont prononcées contre l'exportation d'amiante, qu'elles considèrent comme un fléau.
« Notre obligation professionnelle nous impose d'être contre l'utilisation de l'amiante, tout comme elle nous impose de combattre la syphilis, la tuberculose, le tabagisme, le saturnisme et toutes les maladies qui abrègent la longévité naturelle de l'homme », font-ils valoir.
« C'est aussi notre obligation professionnelle de faire connaître à nos concitoyens ce que nous savons des expositions qui sont dangereuses pour leur santé, à fortiori quand il leur revient d'adopter les actions qui sont nécessaires pour assurer la protection de tous. »
Jusqu'à maintenant, les gouvernements du Québec et du Canada ont toujours soutenu l'industrie, notamment en finançant l'Institut du chrysotile, un organisme qui fait la promotion d'une utilisation dite « sécuritaire » du produit. Cette position controversée, que les spécialistes de la santé publique qualifient de « mensongère », a suscité une vive opposition de la part de la communauté internationale.
Au cours des dernières années, plusieurs États ont d'ailleurs tenté de faire inscrire l'amiante chrysotile sur la liste des produits dangereux, dont l'exportation est encadrée par la Convention de Rotterdam. Cette procédure a échoué à cause de l'opposition de certains clients, dont l'Inde, le Pakistan et le Vietnam.
La mine Jeffrey a été rachetée le mois dernier par un consortium étranger qui s'est engagé à investir au moins 15 millions $ dans sa relance, à condition d'obtenir une garantie de prêt de Québec.
Avant de demander à la CRÉ de l'Estrie de se pencher sur l'avenir de la mine Jeffrey, le gouvernement Charest a notamment exigé la ratification d'une nouvelle convention collective par les travailleurs de l'entreprise.