Quand on l'a, cela assure la réussite d'un projet. Quand on ne l'a pas, cela peut le faire capoter. L'acceptabilité sociale se définit par le fait qu'une population concernée par un projet de développement l'appuie dans ses grandes lignes. En 2014, elle est devenue «incontournable», estime Deloitte. Rosia Montana, projet développé en Transylvanie par une minière canadienne, est en train de faire école.
Cela se passe dans un pittoresque village de montagne appelé Rosia Montana, en Roumanie. La minière vancouvéroise Gabriel Resources veut y construire la plus grande mine d'or à ciel ouvert d'Europe, en livrant 17 millions d'onces d'or et 81 millions d'onces d'argent. Gabriel promet 7 000 emplois directs et indirects et des retombées de 24 milliards de dollars américains pour l'économie roumaine. Alléchant, d'autant plus que le pays est endetté de 20 G$ auprès des grandes institutions prêteuses (dont le FMI et la Banque mondiale).
Mais le projet exige la mutilation de quatre montagnes, un déplacement de population, la destruction de vestiges romains et l'utilisation de 200 000 tonnes de cyanure pour traiter le minerai, dont les résidus s'étendraient sur 300 hectares.
Gabriel Resources travaille sur le projet Rosia Montana depuis 1994. À ce jour, elle a dépensé près de 500 millions de dollars américains pour celui-ci et a déjà déplacé 125 familles.
Mais au moment où la minière attend son certificat d'autorisation environnemental, le projet fait face à une vaste mobilisation populaire, pas seulement locale ou nationale, mais internationale. Et devant cette mobilisation, le gouvernement roumain tergiverse. Son chef se dit «contre à titre personnel» mais «pour à titre de premier ministre».
Le 10 décembre, dans le cadre d'une énième tentative de réforme minière, un projet de loi donnant le feu vert au projet a été rejeté par le Parlement. C'était le deuxième rejet en moins de trois mois.
Le patron de Gabriel Resources, Jonathan Henry, dit espérer qu'un projet de loi amendé, qui doit être déposé d'ici la fin de février, dénouera l'impasse. Sinon, il menace le gouvernement roumain d'une poursuite de 4 G$.
Rumeurs de corruption
Selon Ian Thomson, de la firme de consultants en acceptabilité sociale On Common Ground de Vancouver, la plus importante erreur a été commise au tout début, en 1994. À l'époque, le premier président de Gabriel Resources, Frank Timis, un Roumain contemporain du régime communiste de Ceausescu, condamné pour possession d'héroïne en Australie, a complètement ignoré la population locale, composée en grande partie de gens vieux et pauvres. Voulant faire «beaucoup d'argent et vite», M. Timis a usé de ses contacts politiques pour obtenir rapidement les permis d'exploration.
«La population locale s'est sentie bafouée, explique Ian Thompson. Elle se méfiait déjà des politiciens avec qui Timis avait choisi de faire affaire. Très vite, des rumeurs de corruption ont teinté le projet.» Rumeurs qui font maintenant l'objet d'une enquête du procureur général.
En 2000, un important déversement de cyanure en provenance d'une mine voisine (Baia Mare) a pollué l'eau potable destinée à 2,5 millions de personnes et tué 1 200 tonnes de poissons. La tragédie s'est étendue jusqu'en Hongrie. Cet accident a terrifié les gens de Rosia Montana, qui voient le cyanure comme le diable en personne et refusent de croire qu'il peut être éliminé par des méthodes modernes. Gabriel Resources n'a pas réussi à apaiser leurs craintes. «La peur est plus forte que le savoir», dira Jonathan Henry.
Sous-estimer l'opposition
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Sous-estimer l'opposition
La minière a sous-estimé la force de l'opposition, d'après Ian Thomson. En 2001, à la suite du déversement, une environnementaliste suisse chevronnée, Stephanie Roth, est entrée en scène. Elle a monté une campagne aussi vaste qu'efficace contre Rosia Montana, s'attirant de nombreux appuis, dont ceux du milliardaire hongrois George Soros et de l'actrice Vanessa Redgrave. (M. Soros s'est par la suite retiré de la campagne.)
Lorsque Frank Timis est parti, il a été remplacé par Alan Hills, «un homme bien intentionné», relate de son côté le professeur Witold Henisz, de l'université de Wharton, qui utilise le cas de Rosia Montana dans son cours sur l'acceptabilité sociale. «Mais son approche était trop conflictuelle. Sous sa direction, la minière s'est lancée dans une bataille de relations publiques avec le groupe de Stephanie Roth. Elle a produit un film pour défendre son projet. Une idée stupide, car il n'a fait qu'augmenter les antagonismes.» Ce qu'elle aurait dû faire ? «Poser des gestes concrets au bénéfice de la population, plutôt que de n'offrir que des palabres.»
Agir sur le terrain
L'approche a changé depuis l'arrivée de Jonathan Henry, l'actuel président de Gabriel Resources. Ce dernier a appris la leçon du professeur Witold : «Mes prédécesseurs ont fait beaucoup sur papier, mais pas grand-chose sur le terrain», reconnaît-il en entrevue avec Les Affaires.
M. Henry a entrepris de restaurer et rénover plusieurs maisons du centre-ville de Rosia Montana et l'église, qui étaient délabrées. Il a ouvert un musée des mines - les premières mines dans la région remontent à l'époque romaine - et rafraîchi certaines des anciennes galeries romaines, dépensant à ce jour 30 M$ dans le cadre d'un plan de restauration de 100 M$. Sous son règne, 500 emplois ont été créés.
Gabriel Resources a aussi bâti une usine pilote de traitement de l'eau afin de démontrer à la population qu'il est possible de décontaminer des eaux polluées et de respecter les normes environnementales actuelles de la Commission européenne. (Malgré des tentatives d'interdiction, la Commission permet toujours le recours au cyanure, mais ses normes sont plus élevées que celles qui régissaient les mines roumaines avant son adhésion à l'Union européenne en 2007.) Une équipe de direction entièrement roumaine a été constituée. Elle a organisé des visites en Hongrie, le pays touché par le déversement de 2000.
«Sous le leadership de Jonathan Henry, Gabriel a fait tout ce qu'il est possible de faire pour obtenir l'acceptation sociale, commente M. Witold. La seule arme qu'il lui reste serait d'augmenter les bénéfices pour le gouvernement», actionnaire du projet à 19 %.
Camelia Crisan, l'auteure d'une thèse de doctorat sur l'acceptabilité sociale et Rosia Montana, croit de son côté que les chances sont très minces que le projet voit le jour. Selon elle, même s'il finit par recevoir l'acceptation sociale au niveau local, il ne l'a pas au niveau national. Cela soulève le débat sur les façons de mesurer l'acceptabilité sociale.
L'action de Gabriel Resources, qui valait 8 $ à la Bourse de croissance du TSX en 2011, a chuté à 41 cents lors du rejet du Parlement en décembre et vaut actuellement environ 1 $.