S’estimant menacée par la multiplication des clauses Buy America et Buy American aux États-Unis, l’industrie canadienne de l’acier demande aux trois ordres de gouvernement d’appliquer le principe de réciprocité avec les États-Unis – et d’autres pays – dans l’attribution des contrats d’infrastructures.
La réciprocité est un principe en vertu duquel un gouvernement (par exemple, le Canada) déciderait d’empêcher les sociétés étrangères de soumissionner à des contrats publics si leur pays d’origine (par exemple, les États-Unis) ne donnait pas un accès aux firmes canadiennes.
Les Américains disposent de deux mesures jugées protectionnistes : le Buy America (qui s’applique au secteur du transport) et le Buy American (qui vise les achats de fournitures de Washington).
Selon l’Institut canadien de la construction en acier (ICCA), région du Québec, le protectionnisme aux États-Unis et la totale ouverture du marché canadien aux importations d’acier touchent les aciéristes canadiens.
Le Canada produit annuellement plus de 13 millions de tonnes d’acier, ce qui se traduit par des revenus de plus de 14 milliards de dollars.
Toutefois, de 2002 à 2011, le Canada est passé de 1,4 G$ CA d’exportations nettes à un déficit de plus de 600 M$ pour l’acier de charpente et les produits connexes, selon l’ICCA.
Et les aciéristes montrent du doigt l’augmentation rapide des importations de produits étrangers, car cela crée un « déséquilibre commercial », selon Hellen Christodoulou, directrice générale pour le Québec de l’ICCA.
Aucune mesure d’achat local pour le pont Champlain
En conférence de presse ce mardi à Montréal, elle a par exemple déploré le fait que le projet de remplacement du pont Champlain – d’une valeur de 5 G$ – n’a prévu aucune mesure pour favoriser les aciéristes canadiens, et ce, malgré les représentations de l’industrie ce sujet.
« La demande de soumission ne comporte pas de critères d’approvisionnement local de l’acier. C’est une occasion manquée pour le Canada », a-t-elle lâché.
Pour sa part, Éric Tétrault, président des Manufacturiers et exportateurs du Québec, a déploré les occasions d’affaires perdues par les entreprises canadiennes aux États-Unis en raison du protectionnisme, alors que le Québec a besoin d’y accroître ses exportations pour relancer son économie.
« Sommes-nous en situation de libre-échange avec les États-Unis, oui ou non ? Il faudrait le savoir ! » a-t-il laissé tomber.
Selon lui, ce protectionnisme vient « briser » un principe et une chaîne d’approvisionnement nord-américaine de l’acier qui se sont mis en place depuis l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange, en 1989.
La sortie de l’ICCA et de ses partenaires survient alors que les projets d’infrastructures aux États-Unis contiennent de plus en plus de dispositions Buy American.
Ces mesures ont d’ailleurs incité des municipalités en Ontario et au Québec à adopter des motions réclamant que les États-Unis ne ferment pas leurs marchés aux firmes canadiennes.
Par exemple, le 6 octobre, l’arrondissement de Lachine, à Montréal, a adopté une telle motion. C’est toutefois la ville ontarienne de Halton Hills qui a lancé ce mouvement, le 25 août. Cette municipalité a ensuite été suivie par d’autres villes, comme Hamilton, Windsor et Kingston.
Hellen Christodoulou a d’ailleurs exhorté le maire de Montréal, Denis Coderre, et le maire de Québec, Régis Labeaume, à appliquer la réciprocité avec les États-Unis – et d’autres pays – dans l’attribution des contrats d’infrastructures sur leur territoire.
La conférence de presse des aciéristes s’est tenue alors que les clauses Buy America et Buy American sont plus débattues que jamais à Ottawa.
Buy America : vives tensions entre Ottawa et Washington
Lesaffaires.com révélait lundi que l’Alaska comptait aller de l’avant avec son projet d’inclure une clause Buy America pour la réfection d’un terminal maritime situé en Colombie-Britannique (à Prince-Rupert), malgré la vive opposition d’Ottawa.
Ce terminal est exploité par l’Alaska Marine Highway System, une société d’État qui exploite des terminaux maritimes sur la côte ouest, mais il est la propriété du Prince Rupert Port Authority, une organisation qui est sous la responsabilité de Transports Canada.
Le gouvernement de l’Alaska veut inclure une clause Buy America pour la réfection du terminal de Prince-Rupert, car ce projet est financé par le département américain des Transports.
Ottawa a d’ailleurs annoncé lundi qu’il a signé un arrêté en vertu de la Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères, qui donne au Canada le droit de se soustraire aux dispositions Buy America pour le projet en question.
« Nous avons été clairs : l’application des dispositions protectionnistes Buy America sur le territoire canadien est inacceptable et constitue un affront à la souveraineté canadienne », a fait savoir par communiqué le ministre du Commerce international du Canada, Ed Fast.
De plus, cette situation à Prince-Rupert survient alors que le Grow America Act – un projet de loi présenté au Congrès le 25 juin 2014 – est toujours à l’étude aux États-Unis.
Cette législation propose de porter de 60 à 100 % d’ici 2019 les exigences de contenu local pour tous les projets de transports en commun aux États-Unis, et ce, des autobus aux trains, en passant par les métros.
Le cas échéant, le relèvement du seuil réduirait la marge de manœuvre des entreprises canadiennes de cette industrie, qui exportent aux États-Unis ou qui comptent y accroître leurs ventes dans les prochaines années.
En 2009, Ottawa et Washington avaient conclu une entente pour exempter les entreprises canadiennes des clauses Buy American incluses dans le plan de relance du président Obama dans certains secteurs.
Or, l’entente a pris fin en 2010. En contrepartie, les États-Unis ont gagné un accès permanent aux marchés gouvernementaux canadiens. Un déséquilibre qu’il faut corriger, selon les Manufacturiers et exportateurs du Canada.