Devant l'entrée en scène du gouvernement libéral de Philippe Couillard, la Côte-Nord du Québec se mobilise à nouveau pour obtenir l'accès au gaz naturel. Cette fois, sachant que le projet de gazoduc ne se réalisera pas à court terme, on envisage du gaz naturel liquéfié (GNL), acheminé par bateau sur la voie maritime.
Les Affaires a appris que les industriels de la région sont actuellement courtisés par au moins deux promoteurs de desserte maritime : Tugliq Énergie, de Québec, et Stolt LNGaz, une coentreprise norvégienne qui a récemment annoncé son intention de bâtir une usine de liquéfaction de gaz naturel à Bécancour.
Ce scénario s'ajoute au projet de transporter du GNL par camion à partir de Montréal, une solution temporaire que Gaz Métro propose aux industriels de la Côte-Nord, après avoir gelé le projet d'un gazoduc, l'an dernier, faute d'engagements suffisants.
Navires méthaniers
L'option de la desserte maritime implique une usine de liquéfaction du gaz naturel située à proximité du gazoduc de Gaz Métro, qui l'alimenterait. L'usine liquéfierait le gaz en le refroidissant jusqu'à - 162 degrés Celsius - ce qui a pour effet de réduire de 600 fois son volume. Le GNL serait ensuite chargé au port, et transporté sur la voie maritime par de petits navires méthaniers (155 mètres). Au port de destination, le «micro GNL» serait entreposé dans de petits réservoirs de stockage et expédié par camion réfrigéré ou par tuyau vers les clients équipés d'installations de reconversion au gaz naturel gazeux.
L'avantage de la voie maritime sur le camion est qu'elle fournit «un approvisionnement prévisible et stable, plaide le porte-parole de Stolt LNGaz, Richard Brosseau. On sait que la route 138 est déjà très achalandée, et parfois risquée». En outre, le bateau pourrait desservir non seulement la Côte-Nord, mais aussi d'autres régions comme le Labrador et le Nord-du-Québec, la Gaspésie, les Provinces maritimes - ce qui n'est pas envisagé avec le pipeline. De plus, le GNL pourrait être chargé sur le train jusqu'à Schefferville, au centre sud de la Fosse du Labrador, un autre endroit non accessible par pipeline.
Pierre Rivard, le porte-parole de Tugliq, calcule que le bateau permet de «doubler, voire tripler» le marché du gaz naturel. Un facteur important car l'an dernier, lorsque Gaz Métro a gelé l'option du pipeline, c'est parce qu'elle n'arrivait pas à obtenir suffisamment d'engagements fermes des clients existants, au prix demandé et sur une longue période.
«L'option bateau, par sa flexibilité et sa modularité, permet de régler ce problème», plaide encore M. Rivard, qui croit que le Québec a bien des années de retard sur le reste du monde quant à l'utilisation du GNL. Juste sur la côte ouest canadienne, il y a présentement 13 projets de gaz liquéfié maritimes, mentionne-t-il. En Scandinavie, notamment en Finlande et en Norvège, c'est ainsi qu'on alimente les usines en région éloignée, parce que la morphologie du territoire (fjords, rivières, etc.) disqualifie l'option du pipeline. Et c'est ce modèle scandinave qui pourrait être repris au Québec. La desserte maritime permettrait aussi d'éviter la nécessité de nouer des ententes avec les communautés autochtones affectées par le passage du pipeline.
Forces et faiblesses
Chez Stolt LNGaz, l'usine serait située à Bécancour, où Stolt a réservé un site dans le parc industriel desservi par le gazoduc.
Chez Tugliq, le lieu de liquéfaction n'est pas arrêté : on parle de Québec ou du fjord du Saguenay. Mais contrairement à Stolt LNGaz, qui serait le seul propriétaire de toutes les installations, Tugliq entend fonctionner avec d'autres partenaires - un pour l'usine de liquéfaction et l'autre pour le bateau. (NDLR : Nous avons appris que le port de Saguenay examine présentement un projet d'usine de liquéfaction venant d'un promoteur américain, mais qui serait destiné à l'exportation. Et le promoteur n'aurait pas encore communiqué avec les industriels de la Côte-Nord à ce sujet.)
Chacun des promoteurs a ses forces et ses faiblesses. Tugliq est en pourparlers avec les industriels québécois depuis plus longtemps que Stolt et a déjà conclu une entente avec Glencore Mine Raglan au Nunavik pour son approvisionnement en énergie. Chez Stolt LNGaz, un des partenaires exploite depuis 8 ans une usine de liquéfaction à Stavanger, en Norvège. En outre, Stolt LNGaz se targue d'avoir déjà bouclé son financement en capital.
Le gazoduc, le premier choix de la région
Les représentants de la Côte-Nord ne sont pas tous emballés par la solution maritime. À Baie-Comeau, dans la partie sud de la Côte-Nord, on craint que cette solution ne tue le projet du gazoduc, qui demeure le premier choix de la région. On fait valoir également que les milieux institutionnel et commercial seraient exclus de la solution maritime, car incapables de financer les équipements de reconversion (du GNL au gaz naturel gazeux).
Mais ce sont au premier chef les industriels qui réclament du gaz naturel, et vite, afin d'être concurrentiels. Par rapport au mazout lourd, le gaz naturel est beaucoup moins coûteux et permet de réduire les émissions de GES et de dioxyde de soufre des usines, afin de répondre aux nouvelles contraintes environnementales. Avec l'avènement du marché du carbone, ce facteur va même leur apporter des gains économiques.
Les industriels étudient donc les propositions de desserte maritime, comme ils examinent le camion pour le court terme - Gaz Métro promet que cette solution serait opérationnelle dès 2015 - et le pipeline pour le long terme. Ce qu'ils veulent, c'est ne pas avoir à payer une prime sur le prix du gaz naturel demandé aux industriels du sud du Québec. Mais ils craignent que le pipeline ne soit pas prêt avant 10 ans, par rapport à 4 ans pour l'option maritime. On n'est pas sûr non plus que le gouvernement fédéral accepterait de financer le gazoduc, au coût de près de 1 milliard de dollars. À moins qu'il ne soit tenté de le faire en campagne électorale, en 2015 ?
«Au bout du compte, fait remarquer Bernard Gauthier, commissaire industriel à Port-Cartier, ce seront les industriels qui auront le dernier mot, car ce sont eux qui devront signer des contrats d'approvisionnement avec les fournisseurs de gaz naturel.»
«Ce que nous voulons, c'est une solution rapide, moins chère et qu'on peut amortir sur 12 à 18 mois», indique de son côté Eric Tétrault, porte-parole d'ArcelorMittal Mines Canada, propriétaire de l'usine de bouletage de fer à Port-Cartier. Chez Tugliq, on promet une étude de coûts d'ici à la fin de mai, ce qui permettra aux industriels de faire des comparaisons. Chez Stolt LNGaz, on reste flou : «une solution, un prix», dit M. Brosseau.
La flamme se ranime
En attendant, la Côte-Nord, qui fait face à une récession à cause de la fin du boom minier, est à raviver sa coalition pour le gaz naturel. Une trentaine de membres en faisait partie au moment d'écrire ces lignes, et une intervention publique était prévue dans la foulée de la reprise des travaux à l'Assemblée nationale le 20 mai.
Le gouvernement du Québec jouera un rôle clé dans l'équation. Voudra-t-il, comme promis en 2012, compenser les pertes de Gaz Métro si l'option pipeline est choisie ? Ou encore, sera-t-il prêt à soutenir l'option d'une desserte maritime ? À majorer son soutien aux clients du gaz naturel pour la conversion de leurs chaudières ? À trouver un modèle combinant plusieurs options et acteurs ?
Les Nord-Côtiers répètent que le gaz naturel est le vecteur numéro un de prospérité pour les 20 prochaines années dans leur région. «Sans gaz naturel, nous perdons régulièrement des projets industriels, et nous réduisons la compétitivité des industriels déjà ici, plaide Russel Tremblay, directeur des communications chez Développement économique Sept-Îles. En outre, le gaz naturel ouvre la porte à la deuxième et la troisième transformation. Il nous faut du gaz rapidement et à un prix abordable. Du gaz naturel à tout prix, mais pas à n'importe quel prix !» scande-t-il.
1 A. Gazoduc
Le gaz naturel provient du gazoduc de Gaz Métro.
1 B. Usine
Il est liquéfié à l'usine (refroidi à - 162 0C)
1 C. Port (départ)
Il est chargé au port sur un petit méthanier avant de prendre la route.
Transport
Le navire transportant du micro-GNL sur le fleuve Saint-Laurent serait deux fois plus petit que ceux qui quittent la Colombie-Britannique pour le Japon.
2. Port (arrivée)
Arrivé à destination, le gaz est entreposé dans un réservoir.
3 A. Camion
Il est transporté par camions réfrigérés...
3 B. Re-gazéification
Il est regazéifié...
4 A. Re-gazéification
...et regazéifié chez le client.
4 B. Réseau de tuyaux
...et achemimé chez le client par un système de conduites.