Au nom de l'environnement et de l'achat local, le gouvernement Charest encourage et subventionne depuis 2008 la construction en bois dans les secteurs institutionnel, commercial et industriel. Pour l'industrie québécoise de la structure d'acier cependant, ces mesures se basent sur une fausse science et la défavorisent, alors qu'elle vit un des moments les plus difficiles de son histoire récente.
" Québec s'appuie sur le développement durable, mais aucun matériau ne peut sauver la planète ", dit Sylvie Boulanger, directrice de la section québécoise de l'Institut canadien de la construction en acier (ICCA).
Selon le lobby de la construction en bois, l'utilisation de ce matériau permet de séquestrer le carbone et de construire des immeubles en émettant moins de gaz à effet de serre (GES). Québec a décidé en 2008 de montrer l'exemple et de favoriser l'utilisation du bois dans la construction des immeubles gouvernementaux, à condition que le surcoût ne dépasse pas 5 %. Il a aussi décidé d'accorder 16 millions de dollars en subventions au secteur du bois de construction entre 2008 et 2014.
À Ottawa, la Chambre des communes pourrait adopter cet automne un projet de loi pour que le fédéral favorise le bois pour la construction des immeubles gouvernementaux.
Au pire moment
Pour l'ICCA, ces mesures heurtent ses membres de plein fouet à un moment difficile.
" Nous aussi, on en arrache ! " lance Sylvie Boulanger. En 2008, la moitié des structures d'acier fabriquées au Québec était vendue aux États-Unis. Aujourd'hui, la crise économique et la clause Buy American ont réduit le potentiel du marché américain. Au moment où les membres de l'ICCA se tournent vers le marché intérieur, Québec adopte des mesures que les membres considèrent comme du " protectionnisme en faveur du bois ".La ministre des Ressources naturelles et de la Faune, Nathalie Normandeau, rejette ces arguments. " Nous n'obligeons personne à recourir à ce matériau ", réplique-t-elle.
Toutefois, Sylvie Boulanger insiste : les mesures gouvernementales défavorisent l'acier et s'appuient sur des analyses de cycle de vie incomplètes. Selon elle, les études de l'industrie du bois tendent à sous-estimer le recyclage de l'acier et à surestimer celui du bois, ce qui a des répercussions considérables sur le calcul des émissions de GES liées à chacun des matériaux. " Quand une structure est démolie, 99 % de l'acier est recyclé ", dit-elle. L'ingénieure ajoute qu'au Canada, environ 70 % du poids des poutres en " I ", utilisées dans les structures, est en fait de l'acier recyclé.
Au Centre d'expertise sur la construction commerciale en bois, le directeur Louis Poliquin rétorque que, " selon Recyc-Québec, 99 % du bois de construction est recyclé ou transformé en énergie ". Vérification faite, " nous n'avons jamais pu divulguer une telle information, dans aucune de nos études ", dit Erwanne Plisson, porte-parole de Recyc-Québec.
Par ailleurs, la Coalition BOIS Québec soutient que l'utilisation du bois permet de séquestrer du carbone dans les constructions, plutôt que de le laisser s'échapper dans l'atmosphère en laissant pourrir les arbres en forêt. Toutefois, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), refuse de reconnaître que le bois a cette faculté, car le carbone sera souvent libéré lors de la démolition des immeubles, en l'absence de recyclage.
Greenpeace ajoute que, pour être écologique, une construction en bois doit exclure toute matière en provenance des dernières forêts intactes du Québec, sanctuaire du caribou forestier, une espèce vulnérable.
Du cas par cas
Au Centre interuniversitaire de recherche sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG), la chercheuse Cécile Bulle croit que ce débat démontre bien la limite des analyses de cycle de vie.
" Les conclusions des études ne peuvent pas être généralisées à toutes les utilisations du bois ou de l'acier ", dit-elle. Autrement dit, on peut comparer les avantages respectifs de deux matériaux dans le contexte bien précis d'un immeuble donné, mais pas à l'échelle d'une province.