Le commissaire au développement durable dresse un portrait accablant de la gestion gouvernementale dans le dossier des gaz de schiste.
Dans un rapport détaillé, déposé mercredi à l'Assemblée nationale, le commissaire Jean Cinq-Mars ne se montre guère rassurant sur la façon dont le gouvernement Charest a géré ces dernières années son projet visant l'exploration et l'exploitation éventuelle des gaz de schiste au Québec.
Ses conclusions vont donc dans le même sens que celles, rendues publiques récemment, du BAPE, qui recommandait de mener une évaluation environnementale stratégique de la filière.
Selon le commissaire Cinq-Mars, Québec, et au premier chef le ministère des Ressources naturelles, sous la gouverne de Nathalie Normandeau, a erré sur toute la ligne dans ce dossier controversé.
Surtout, il reproche à Québec d'avoir mis le doigt dans l'engrenage des gaz de schiste en 2007, alors qu'il aurait dû, dans un premier temps, faire la démonstration de la pertinence de développer cette filière, en termes de calcul de coûts-bénéfices pour la société, "ce qui n'a pas été fait", selon lui.
Pourtant, "les travaux relatifs aux retombées économiques et aux redevances attendues ne permettent pas de démontrer de façon satisfaisante que les bénéfices sont supérieurs aux coûts pour la société québécoise", écrit-il dans son rapport annuel 2010-2011.
De plus, le commissaire déplore une quasi absence de contrôle gouvernemental aux étapes critiques des travaux de forage _ incluant la fracturation hydraulique _ effectués par l'industrie sur le terrain. Très peu d'inspections de ces travaux ont été faites et le ministère ne fait même pas appliquer sa propre réglementation, note-t-il.
"Même si les travaux d'exploration, incluant les puits forés, sont en nombre limité, plusieurs lacunes ont été constatées relativement aux activités gouvernementales de contrôle. Ces lacunes démontrent à quel point les ministères concernés ont de la difficulté à assumer leur rôle de régulateur de ce secteur d'activité", conclut M. Cinq-Mars.
De plus, rien n'indique, selon lui, que la façon de faire du gouvernement dans ce dossier est effectuée dans une perspective de développement durable.
Certains des 16 principes inscrits dans la Loi sur le développement durable, dont le principe de précaution, n'ont pas été "suffisamment" pris en compte par Québec dans ce dossier, selon M. Cinq-Mars.
"Les interventions actuelles des ministères n'assurent pas que le développement de la filière du gaz de schiste s'effectue de façon durable, notamment en raison du fait qu'elles ne permettent pas l'atteinte d'un juste équilibre dans la prise en compte des intérêts", à la fois des communautés locales, de la société en général et de l'industrie.
Mais cette dernière y trouve son compte avec la bénédiction du ministère, qui permet aux entreprises de réduire leurs investissements financiers, tout en conservant leur permis de recherche.
On compte actuellement une trentaine de puits en activité.
Le ministère ne vérifie pas davantage les liens entre les dépenses déclarées et les permis accordés, peut-on lire dans le rapport. Résultats: des lacunes dans la gestion des droits d'exploration exigibles.
"Les dépenses engagées pour un permis couvrant 15 000 hectares ont été suffisantes pour remplir les exigences de travaux statutaires de 16 permis couvrant 300 000 hectares", cite le commissaire, à titre d'exemple de laxisme gouvernemental.
De façon générale, il faut aussi déplorer le manque de coordination entre les deux ministères visés, peut-on lire dans le rapport.
"C'est sûr qu'on aurait pu faire mieux", a commenté M. Cinq-Mars en conférence de presse, en déplorant la précipitation du gouvernement et le fait que les deux ministères n'avaient pas fait le nécessaire pour encadrer correctement le développement de la filière.
Le commissaire, qui relève du vérificateur général du Québec, formule 14 recommandations, la plupart à l'intention du ministère des Ressources naturelles et quelques-unes au ministère du Développement durable.
Il estime essentiel, notamment, que le gouvernement s'assure de l'acceptabilité sociale de cette filière avant d'aller plus loin, et mette en place des mécanismes qui permettront "une participation réelle" des citoyens et autres acteurs du milieu.
Interpellée en Chambre, la ministre Normandeau a reconnu le bien-fondé des critiques faites par le commissaire et dit avoir déjà ordonné des correctifs, notamment quant à l'inspection des puits et le resserrement des contrôles.
En point de presse, Mme Normandeau a dit aussi que des têtes étaient tombées à son ministère, en raison des lacunes observées relatives à l'application des règlements.
"On reconnaît qu'il faut améliorer nos pratiques", a admis la ministre, dans un rare mea culpa.
Certains fonctionnaires ont donc dû quitter le ministère, parce qu'ils n'avaient "pas assumé leurs responsabilités pleinement", selon elle.
Elle a aussi promis d'améliorer le cadre législatif et réglementaire relatif à l'exploration des gaz de schiste.
Mais cela n'est pas suffisant, selon le président de l'Association québécoise de la lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), André Belisle, qui réclame toujours un moratoire "total" sur l'exploration et l'exploitation des gaz de schiste.
"Le gouvernement nous a dit à répétition que le développement durable c'était la bible sur laquelle il basait toute sa philosophie. Par contre, dans la réalité, on voit que les paroles n'ont pas été suivies par des actions concrètes. (...) C'est là que le bât blesse", a-t-il déploré.
Ce rapport confirme que le gouvernement "a improvisé sur toute la ligne dans le dossier des gaz de schiste", a commenté de son côté le député péquiste Scott McKay.
Il en conclut que la ministre Normandeau "n'a plus le leadership nécessaire pour mener à bien ce délicat dossier".