Le modèle d'activité unique et innovant de la Coop Carbone, créée en septembre, vient de gagner un client de taille : le distributeur pétrolier Norcan, qui lui confiera la gestion de ses achats de droits d'émission dans le cadre du marché du carbone, auquel il sera assujetti dès le 1er janvier 2015.Norcan détient 20 % de la distribution des carburants au Québec. Bon an mal an, il distribue 12,8 millions de barils de carburant (pétrole et gaz) qui, une fois brûlés, émettent 5 millions de tonnes de CO2 dans l'atmosphère. Au final, ce carburant est utilisé par les automobilistes, les transporteurs, les municipalités, les entreprises, etc.
Pour se soumettre à la nouvelle réglementation du Système de plafonnement et d'échange de droits d'émission de gaz à effet de serre du Québec (SPEDE) - autrement dit, le marché du carbone -, Norcan aurait pu se contenter d'acheter des droits d'émission de gré à gré ou lors des enchères prévues à cet effet par le gouvernement du Québec. Cependant, le distributeur a plutôt choisi de se joindre à Coop Carbone.
Il s'agit d'une coopérative financée par Fondaction CSN, le Mouvement Desjardins, la Coop fédérée, le Centre d'excellence en efficacité énergétique, et l'Association québécoise pour la maîtrise de l'énergie (AQME).
Cette coopérative fera deux choses : elle achètera des droits (ou permis) d'émission, et surtout, elle identifiera, financera et réalisera des projets de réduction de gaz à effet de serre au Québec, en partenariat avec des porteurs de technologies québécoises et les institutions financières. Ces projets généreront des crédits compensatoires, qui réduiront le besoin pour Norcan d'acheter des droits d'émission.
«C'est là le pari que nous faisons, que cela nous coûtera moins cher que d'acheter des droits d'émission», a expliqué Gary Garcin, pdg de Norcan.
Soutenir la création d'une industrie verte
Pour la coop, il s'agira de soutenir des projets qui seront réalisés chez ses membres. Pour l'instant, elle en compte 25 - des municipalités, des entreprises, des transporteurs, etc.
Et c'est là le caractère unique du modèle de la coop : elle aligne les intérêts de ses clients - comme Norcan - et de ses membres, qui vont, au moyen de leurs projets, diminuer leur consommation de carburants. Et tous soutiendront la création d'une industrie verte au Québec, avec des emplois et de l'expertise en la matière.
«Grâce à l'entente avec Norcan, notre modèle d'entreprise est bouclé, considère M. Nolet. C'est un modèle un peu contre-intuitif. Il est rare que votre fournisseur devienne votre client !»
Pour s'assurer d'une bonne gestion de ce modèle, la Coop vient de s'adjoindre l'expertise du Montréalais Paul Vickers, ancien gestionnaire du fonds de carbone privé le plus important du monde, Natsource.
C'est en 2013 que le Québec a adopté le marché du carbone, en se joignant à l'initiative de la Californie. Au début, le marché visait les industriels, qui représentent un tiers des pollueurs. À partir de 2015, il touchera les distributeurs et les consommateurs (les deux tiers restants). C'est le même modèle qui fonctionne en Europe.
Cependant, l'Europe et la Californie sont plus avancées : puisqu'elle a commencé un an avant le Québec, la Californie a déjà généré des crédits compensatoires valant 12 millions de tonnes de GES dans six protocoles reconnus par le gouvernement. Au Québec, on ne reconnaît que 3 protocoles (agricole, enfouissement sanitaire et gaz réfrigérés) et aucun crédit compensatoire n'a encore été émis.
Au début de son mandat, la Coop va devoir acheter pour Norcan des droits d'émissions vendus au Québec ou en Californie. Mais petit à petit, des projets viendront. La Coop fait aussi pression sur Québec pour qu'il ajoute un protocole forestier à sa liste, et elle voit des projets porteurs en chauffage par biomasse forestière. En Europe, plus de 150 protocoles sont reconnus. Bref, on n'en est ici qu'aux balbutiements. Mais selon Paul Vickers, dans ce marché, c'est la réglementation qui crée la demande. «Une fois la réglementation en place, cela va vite. La demande est là, et il faut être prêt à créer l'offre.»
20 %: Objectif de réduction des émissions de GES du Québec d'ici 2020, par rapport au niveau de 1990. Source : «Plan d'action 2013-2020 sur les changements climatiques», gouvernement du Québec