La Chine, sa mutation, nos entreprises- Série 2/5: Deuxième partenaire commercial du Québec, en voie de devenir la première économie mondiale, la Chine poursuit sa grande mutation. De retour d’un voyage de deux semaines dans trois villes stratégiques de l’empire du Milieu : Hong Kong, Shanghai et Beijing, notre journaliste raconte comment des PME québécoises ont profité des nouvelles occasions d’affaires qu’offre cette quête de modernité.
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Pierre Morin ne recule devant rien pour réussir.
Le jour de notre rencontre, je le retrouve vêtu d'un costume orange pétant. «Les Chinois aiment les couleurs vives, alors je m'habille pour leur plaire», explique-t-il. M. Morin s'est aussi donné la peine de faire traduire son nom en mandarin sur ses cartes professionnelles.
«Ce n'est pas un exercice facile. On ne peut pas simplement s'appuyer sur la phonétique. Il faut choisir des caractères, des symboles qui ont un sens pour les Chinois. Les symboles sont très importants pour eux.»
Et c'est ainsi que, par son nom écrit en mandarin, Pierre Morin est devenu «Celui qui vient de la forêt». Pas mal pour un Canadien ! Docteur en chimie organique, âgé de 34 ans et originaire de Québec, M. Morin a ouvert voilà 21 mois à Shanghai la première représentation de SiliCycle en Chine.
Cette biopharmaceutique établie dans le parc industriel de Québec fabrique des gels de silice utilisés aux étapes de recherche et développement ainsi que de la production de médicaments. Ces gels permettent d'extraire les métaux des ingrédients actifs qui servent à la fabrication des médicaments, livrant ainsi des composants purifiés.
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Délocalisation
Depuis 2008, l'industrie des médicaments est en mutation. Traditionnellement concentrées en Europe et en Amérique, les compagnies pharmaceutiques délocalisent de plus en plus d'activités en Asie, particulièrement en Inde et en Chine, où les coûts de production sont moins élevés et où se trouvent leurs marchés d'avenir.
On délocalise la fabrication, les tests cliniques, mais aussi les centres de R-D, observe M. Morin. De grands noms comme Pfizer, Apotex (du Canada), Givaudan et Roche sont là-bas.
C'est donc pour qu'il puisse accompagner ses clients que SiliCycle l'a envoyé à Shanghai.
«Pierre est un athlète, un gars extrêmement débrouillard et travaillant, ouvert aux autres cultures et qui aime voyager. C'était le gars qu'il me fallait», dira son patron Hugo Saint-Laurent, président de SiliCycle.
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La première décision à prendre avant de s'établir a été de choisir le genre de présence et le lieu, dit M. Saint-Laurent.
SiliCycle a opté pour l'incubateur qu'Export Québec, en collaboration avec l'organisme français Espace Rhône-Alpes, a mis sur pied à Shanghai, sur un emplacement magnifique de l'exposition universelle de 2010 avec jardins et sculptures. Là-bas, pour 6 000 yuans par mois (1 000 $ CA), Pierre Morin a un minuscule bureau - trop petit pour recevoir un invité - qui lui donne accès à un service de réception d'appels et de courrier.
Depuis deux ans, M. Morin roule sur un visa d'affaires, qui lui donne le droit d'effectuer du développement d'affaires, mais pas de vendre ni de facturer. Selon M. Morin, c'était la bonne stratégie : «Avant de vendre en Chine, il faut travailler sur le branding et le marketing. Je le répète : l'image, c'est la clé, et on ne fera pas de ventes avant d'avoir bâti son image de marque». SiliCycle vend en Chine depuis 2004, mais par l'intermédiaire de ses distributeurs.
Comment Pierre Morin est-il payé ? «L'argent est déposé dans mon compte en banque à Québec et j'utilise le guichet automatique à Shanghai.»
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Mais après deux ans, SiliCycle s'apprête à entamer la deuxième étape : l'entreprise a commencé des démarches pour obtenir un certificat de WOFE, qui signifie «wholly-owned foreign enterprise», c'est-à-dire qu'elle deviendra une entreprise étrangère établie en Chine. Ce qui l'autorisera à réaliser des ventes directes.
En 11 ans, SiliCycle avait recruté six distributeurs. Ce nombre a été réduit à trois et descendra éventuellement à zéro.
Un des premiers mandats de M. Morin a d'ailleurs été de mieux surveiller les distributeurs de SiliCycle. «Une fois arrivé sur place, je me suis aperçu qu'un d'entre eux vendait le produit de Silicyle sous sa marque, relate M. Morin. On a perdu 7 ans de branding !» s'exclame-t-il.
En deux ans, Pierre Morin a aussi appris à négocier comme les Chinois. «Si les deux parties s'entendent sur un prix du premier coup, c'est sûr qu'une des deux s'est fait avoir, estime-t-il. Il faut être très flexible, et jouer sur les quantités et les termes. En Amérique, on négocie aussi, mais beaucoup moins longtemps. Ici, il faut prendre le temps de devenir ami, parler de tout et de rien, et c'est pourquoi les journées sont longues», dit-il en riant.
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«Je suis ici depuis deux ans et je commence à peine à établir une relation de confiance avec mes interlocuteurs», ajoute-t-il.
Et cette relation, selon lui, n'est pas transférable. «Si je pars demain, cela ne veut pas dire que le client chinois fera confiance à mon remplaçant, sauf si je le lui recommande et qu'il l'apprécie. Ici plus qu'ailleurs, c'est avec une personne qu'on fait affaire, pas avec une entreprise.»
Grâce à la présence de Pierre Morin et l'entrée en vigueur de la deuxième étape, SiliCycle entend doubler son chiffre d'affaires en Chine d'ici cinq ans. À partir de Shanghai, M. Morin couvre également Taïwan, la Corée et le Japon.
Mais il n'est pas question pour SiliCycle de faire fabriquer son produit là-bas. En 2009, l'entreprise a érigé une usine flambant neuve dans le parc industriel de Québec, et cette usine peut encore doubler sa capacité.
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