«Pétrole» est le premier mot qui vient à l'esprit lorsqu'on pense «matières premières». Pour les consommateurs, le mouvement en yo-yo de son prix est un sujet de conversation quotidien. Mais les prix d'autres «ressources naturelles» comme le cuivre, le maïs ou encore le bois d'oeuvre, ont aussi leur large part de variations. Les experts nous disent que les cycles de hausse et de baisse des prix sont très longs. Ils s'étalent non pas sur six mois ou un an, mais parfois sur des décennies. Mythe ou réalité ?
Avoir le nez collé sur les fluctuations quotidiennes, c'est comme regarder l'arbre qui cache la forêt. En effet, les prix de la plupart des matières premières sont déterminés par l'offre et la demande, dont les tendances de fond prennent beaucoup de temps à se former. Et à s'inverser.
Le prix du baril de pétrole a reculé de plus de 50 % depuis l'été 2014. Ça, c'est l'arbre. Ce n'est pas la seule «matière première» dont le prix chute. La plupart des métaux de base sont aussi sur une pente descendante. L'indice des prix des matériaux de la Banque Scotia (qui comprend le pétrole, le gaz, le cuivre, le fer, le papier, etc.) a baissé de 27,9 % depuis un an. Depuis cinq ans, cet indice a reculé à un taux annualisé de 4,4 %. «L'indice est maintenant retombé au-dessous du creux d'avril 2009, à l'époque de la Grande Récession», écrivait dans un récent rapport Patricia Mohr, vice-présidente et spécialiste des matériaux à la Banque Scotia.
Pourtant, nous ne sommes plus en récession. Depuis cinq ans, l'économie mondiale progresse, même s'il y a encore quelques poches de faiblesse comme en Europe et au Japon.
La règle des 4 %
Si les cycles de hausse et de baisse de prix sont longs, explique Martin Roberge, stratège et analyste quantitatif chez Canaccord Genuity, c'est qu'ils sont liés à l'économie mondiale. Or, celle-ci progresse ou recule sur des périodes beaucoup plus longues que, par exemple, les récessions régionales que l'on connaît habituellement aux sept ou huit ans.
M. Roberge utilise une règle du pouce tirée de données statistiques pour reconnaître les cycles. «Lorsque le taux de croissance de l'économie mondiale progresse de plus de 4 %, on entre dans un marché haussier en ce qui concerne les ressources. Lorsqu'il est de moins de 4 %, on a un marché baissier.»
Par exemple, les prix des métaux industriels ont connu leur envolée du début des années 2000 jusqu'à la crise de 2008-2009. Une hausse qui s'est étalée sur une décennie, alors que l'économie mondiale bouillonnait, avec la Chine en tête. Or, depuis la crise, le taux annuel de croissance de l'économie mondiale n'a pas dépassé les 3 %. En 2015, la Banque mondiale s'attend à un taux de 3 % et en 2016, de 3,3 %.
Non seulement la croissance mondiale n'est pas suffisamment rapide pour que la demande augmente substantiellement, mais on se retrouve aussi en présence d'un surplus d'offre qui ne disparaît pas du jour au lendemain. On le constate actuellement dans le secteur de l'énergie, depuis l'explosion de la production de gaz et de pétrole de schiste américains. Même chose du côté des mines. À la faveur de prix élevés, les minières investissent des milliards de dollars pour mettre en valeur des gisements. Elles vont les maintenir en activité tant qu'elles pourront couvrir leurs coûts. Le marché est ainsi inondé, et cela fait baisser les prix, jusqu'à ce que les mines non rentables ferment. Et alors, tranquillement, l'offre diminue, ce qui donne naissance à un nouveau cycle de hausse des prix.
Un siècle de baisse
Si l'on tient compte de l'inflation, le cycle devient centenaire ! «Lorsque l'on examine les données des 100 dernières années, on constate que les prix réels des matériaux ont été sur une pente descendante», dit Pierre Lapointe, chef, stratégie mondiale et recherche, à la firme torontoise Pavilion Global Markets
Dans une note publiée récemment, il a utilisé l'indice CRB (Commodity Research Bureau) qui couvre 19 composantes allant du pétrole au soya en passant par le cuivre, pour en faire la démonstration. Évidemment, sur cette longue période, les prix ajustés pour l'inflation ne suivent pas une ligne droite descendante. Il y a d'importantes fluctuations à la hausse comme à la baisse. Mais la tendance lourde est baissière.
«Il y a 50 ans, ça coûtait beaucoup plus cher qu'aujourd'hui pour extraire du pétrole [ou pour forer une mine]», explique M. Lapointe. Les progrès technologiques ont fait baisser les coûts d'exploration et de mise en production. Autrefois, il fallait beaucoup de temps pour déceler une source économiquement rentable. Et on était limités aux puits de surface. Maintenant, on fore au fond de la mer, on extrait du pétrole de schiste, ce qui accroît la production et fait baisser les prix.
On peut en dire autant dans le domaine des métaux de base. Les gisements importants sont plus faciles à identifier et la machinerie beaucoup plus efficace pour extraire, transporter, transformer.
«Les entreprises deviennent de plus en plus efficaces sur le plan des avancées technologiques, ce qui fait baisser le coût marginal [de production]. Et il y a plus de concurrence qu'autrefois», conclut M. Lapointe.
- 27,9 %: L'indice des prix des matériaux de la Banque Scotia (qui comprend le pétrole, le gaz, le cuivre, le fer, le papier, etc.) a baissé de 27,9 % depuis un an. Source : Banque Scotia
Pétrole: La question n'est pas «si», mais «quand»
En six mois, le prix du baril de West Texas Intermediate (WTI) est passé de plus de 105 $ US à un peu moins de 45 $ US à la fin du mois de janvier, avant de revenir vers les 50 $ US. A-t-on vu le creux ?
«L'essentiel des gisements à l'extérieur de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et de la Russie ne sont pas rentables à moins de 50 $ US le baril», fait remarquer Mathieu D'Anjou, économiste principal au Mouvement Desjardins.
L'effondrement des prix auquel on a assisté ces derniers mois tient à un déséquilibre entre l'offre et la demande. La chute s'est amorcée lorsque la Libye et l'Irak ont recommencé à exporter du pétrole l'été dernier. Cela s'ajoutait à la très forte croissance de la production de pétrole de schiste aux États-Unis. Entre 2008 et 2014, la production américaine totale de pétrole est passée d'environ 8 millions de barils par jour à environ 13 millions. Mais la consommation, elle, n'a pas suivi la même courbe ascendante.
La décision de l'OPEP, fin novembre, de ne pas réduire sa production, a accéléré la chute de prix. L'Arabie saoudite, qui a longtemps joué le rôle d'arbitre, a changé de stratégie afin de conserver ses parts de marché.
La Banque du Canada estime que le seuil de rentabilité des grands sites de pétrole de schiste américains se situe entre 40 $ US et 80 $ US le baril. Au Canada, dans les sables bitumineux, il se situe entre 60 $ US et 100 $ US le baril.
Aux États-Unis, le nombre de foreuses en activité, surtout pour le pétrole de schiste, qui était passé de 200 à 1 600 depuis 2009, et est retombé à 1 019 en février. Au Canada, des pétrolières comme Shell ont annoncé le report de projets dans les sables bitumineux, tandis que d'autres producteurs réduisent leurs dépenses... et leurs dividendes.
«À court terme, je crois qu'il y aura des surplus jusqu'à la mi-année avant que l'offre s'ajuste et que les prix remontent», croit Mathieu D'Anjou. Il s'attend à un retour vers les 80 $ US le baril dans deux ans.
Iain Reid, analyste chez BMO Marchés des capitaux, a réduit son prix moyen pour le baril de Brent à 53 $ US cette année et à 65 $ US l'an prochain. «Nous croyons qu'une remontée des prix doit passer par une réduction de l'offre, et sans l'assistance de l'OPEP, ce pourrait être un long et lent processus», écrit-il dans une note récente. Il voit également le baril revenir éventuellement vers les 80 $ US.
Des titres qui se négocient à un creux historique
Qu'est-ce que cela signifie pour les titres de sociétés pétrolières ? «C'est possible qu'on reste dans le brouillard pendant quelques trimestres», dit François Têtu, vice-président et gestionnaire de portefeuille chez Valeurs mobilières Desjardins. À son avis, il faut miser sur des titres solides à long terme, tels que Suncor (Tor., SU), Canadian Natural Resources (Tor., CNQ) ou encore Crescent Point Energy (Tor., CPG). Notons que la baisse de la valeur du dollar canadien qui a suivi celle du pétrole amortit un peu le choc pour les producteurs canadiens.
Chez BMO, on se montre peu enthousiaste dans le contexte actuel, mais les choix préférés d'Iain Reid sont Shell et la française Total.
Martin Roberge, de Canaccord Genuity, souligne que les titres pétroliers se négocient à un creux historique de seulement 1,5 fois la valeur aux livres. «C'est la même chose qu'en 2008, au pire de la crise financière.» Pour éviter toutefois de se tromper de cible, il suggère aux investisseurs de miser sur un fonds indiciel, le iShares Capped Energy Index (Tor., XEG), pour profiter de l'éventuel rebond.
80 $: Certains analystes prévoient que le prix à plus long terme du baril de pétrole pourrait être de 80 $ US. L'indice S&P/TSX du pétrole et du gaz a reculé de 30 % depuis trois ans. Source : Bloomberg
Métaux de base: mieux vaut miser sur les grands
Tout comme le pétrole, la plupart des métaux industriels sont sur une voie descendante depuis plusieurs années. Pas aussi abrupte que celle de l'or noir, mais tout de même, le recul du sous-indice des Métaux et minéraux de la Banque Scotia est de 10,9 % depuis un an. Sur un horizon de cinq ans, remontant presque à la sortie de la récession de 2008-2009, la baisse globale est de 0,9 %.
«On est dans un cycle baissier», reconnaît Éric Lemieux, analyste du secteur minier chez la firme Pear Tree Financial Services. «Lorsqu'on regarde l'histoire, ces cycles peuvent durer 10, parfois 15 ans.»
Plus que le pétrole, qui est un produit de consommation courante, la demande de métaux industriels tels que le cuivre, le nickel ou le fer, est intimement liée à la croissance économique mondiale. Le sommet a été atteint vers 2006-2007, au moment où les économies développées se portaient le mieux, tandis que la Chine était devenue une immense usine. Mais depuis la crise financière, en raison du ralentissement marqué de la croissance de la Chine (de plus de 10 % à environ 7 % aujourd'hui), les prix des métaux de base se sont mis à glisser.
Des baisses qui varient selon les métaux
Le problème, c'est qu'ils ne réagissent pas tous en choeur. En 2014, par exemple, le prix du cuivre a diminué de 15 %. Par contre, celui du nickel remontait de 13 %, celui de l'aluminium, de 8 %, et celui du zinc, de 4 %. Mais depuis le début de 2015, tous ces métaux ont reculé de 2 % à 6 %, selon les cas.
Pourquoi ces divergences ? «Il n'y a pas de discipline du côté des producteurs de métaux», affirme Martin Roberge, de Canaccord Genuity. Contrairement au pétrole où, jusqu'à récemment, un cartel (l'OPEP) contrôlait les prix, il en va autrement du côté des minerais.
À la mi-février, le fer se vendait 63 $ US la tonne, alors qu'il valait presque trois fois plus (187 $ US la tonne) en février 2011. Pas étonnant que Cliffs Natural Resources a fermé sa jeune mine du lac Bloom, sur la Côte-Nord. «C'est tributaire du ralentissement en Chine», explique Éric Lemieux. «Les Chinois produisent du fer, et les grandes entreprises anglo-australiennes Rio Tinto et BHP Billiton n'ont pas ralenti leur production.» Et comme l'Australie est plus proche de la Chine que le Nord du Québec...
Pour ce qui est du cuivre, la chute s'expliquerait en partie par la spéculation. «Il y a un gros trader en Chine qui vend beaucoup à découvert», dit Éric Lemieux. Quant au zinc, dont le prix de la tonne métrique est passé de 2 465 $ US en février 2011 à un creux de 1 830 $ US en mai 2013, sa remontée en 2014 s'explique par la fermeture de mines en Australie prévue au cours des prochaines années, explique M. Lemieux.
Que faire alors devant tant de cibles mouvantes ? S'en tenir aux grandes minières bien établies et «y aller progressivement, ne pas acheter tout d'un coup», conseille M. Lemieux. Au Canada, en raison de la disparition des Inco, Falconbridge, Noranda et Alcan, il ne reste plus grand-chose à se mettre sous la dent. On peut penser à un titre comme celui de Teck Resources, qui vient de rebondir du creux qu'elle traversait depuis la crise de 2008-2009.
De manière générale, Martin Roberge note que les minières se négocient à à peine 0,6 fois leur valeur aux livres, tout près de leur creux historique de 0,5 fois. «À la fin janvier, on était à 60 % d'escompte par rapport à l'ensemble du marché de Toronto», précise-t-il.
Forestières: heureusement, le dollar est faible
Du côté des forestières, on le sait, la dernière décennie, et même plus, a été dévastatrice. La demande de papier, notamment de papier journal, a été inversement proportionnelle à la montée d'Internet et à l'invasion des appareils mobiles numériques.
Cela a conduit à une consolidation importante dans tout ce secteur, avec la fermeture d'usines, de machines à papier et la fusion d'entreprises.
Malgré tous ces bouleversements, le secteur n'est pas des plus prometteurs. Depuis un an, le sous-indice des produits forestiers de la Banque Scotia a reculé de 5,2 %, tandis que la demande de papier journal se contractait encore de 8,3 %. Cette fois-ci, les Russes seraient responsables de certaines difficultés en accaparant des parts de marché en Asie par l'octroi d'escomptes (grâce à l'effondrement du rouble), écrit Patricia Mohr, de la Banque Scotia, dans une note récente.
Rare note positive pour les producteurs canadiens, selon elle : la baisse du dollar canadien par rapport à la devise américaine a permis aux entreprises d'ici d'augmenter leur part de marché aux États-Unis de 50 % à 56 %.
Recul dans le bois d'oeuvre
Du côté du bois d'oeuvre, les prix sont à la baisse. Au recul de 6 % de 2014 s'ajoute une diminution de 11 % depuis le début de 2015. Encore là, la baisse du dollar canadien aide les scieries d'ici, dont les exportations aux États-Unis ont augmenté de 11 % en 2014.
Dans ce contexte difficile, il n'est pas étonnant que les recommandations d'achat des analystes ne pleuvent pas. Shawn Stewart de Valeurs mobilières TD suggère Canfor Pulp (Tor., CFX) et West Fraser Timber (Tor., WFT). À la Financière Banque Nationale, l'analyste Leon Aghazarian attribue la cote de surperformance aux titres de Cascades (Tor., CAS), Domtar (Tor., UFS) et KP Tissue (Tor., KPT).
Martin Roberge, de Canaccord Genuity, a une opinion assez tranchée sur le secteur forestier. «Je n'en veux pas», dit-il. «Les gens devraient les vendre pour acheter un indice mondial sur les mines et métaux, comme le iShares MSCI Global Metals & Mining Producers [NY, PICK].»
Selon lui, les producteurs de bois d'oeuvre sont trop valorisés «et seront frappés chaque jour où le dollar canadien remontera». Pour profiter de la reprise aux États-Unis, il suggère plutôt de se tourner vers les constructeurs d'habitation. Il propose le fonds indiciel S&P Home Builders Index (NY, XHB).