Au Québec, l'industrie de la publicité est en pleine mutation, et le terme n'est pas trop fort, loin s'en faut. Une mutation qui affecte tous ses acteurs, des médias aux agences de publicité en passant par les professionnels de l'image. Comme en atteste une étude dévoilée ce matin-même, qui a été concoctée par le cabinet-conseil Raymond Chabot Grant Thornton pour le compte de l'Association des agences de communication créative (A2C) et de l'Association québécoise des producteurs de films publicitaires (AQPFP).
Quelle mutation, au juste? Quelques chiffres tirés de l'étude intitulée Étude économique sur l'industrie de la communication-marketing au Québec permet de réaliser de quoi il s'agit, si l'on ne considère que les agences de publicité oeuvrant au Québec :
> Moins d'employés. Les agences de publicité québécoises embauchaient en 2014 quelque 5.000 personnes. Soit une baisse de 2,4% en un an.
> Moins de pigistes aussi. Le nombre de pigistes embauchés par les agences de publicité québécoises a diminué en un an de 4,7%, à 796.
> Une masse salariale qui fond à vue d'oeil. La masse salariale des agences de publicité québécoises a fondu, en l'espace d'une année, de 12%, à 122,7 millions de dollars.
> Des avantages sociaux en net recul. Les avantages sociaux offerts aux employés des agences de publicité québécoises ont reculé de 3% en un an, à 17,1 millions de dollars.
Que se passe-t-il? C'est justement ce que l'étude met au jour, en révélant que l'industrie de la publicité est frappée de plein fouet par trois tendances majeures.
1. Une compétition accrue
De nouveaux joueurs dans le paysage québécois de la communication-marketing - «comme Google, Facebook, Amazon et Apple», souligne l'étude - cherchent à séduire les annonceurs sans passer par les agences. Et ce, en créant leurs propres régies publicitaires. Du coup, les annonceurs disposent à présent d'un éventail de possibilités plus large que jamais pour communiquer avec les consommateurs, un éventail qui s'est agrandi au détriment des agences.
Un exemple frappant : la popularité grandissante de la publicité dite native. C'est-à-dire de la publicité en ligne dont la forme est semblable à celle du site Web sur lequel elle est publiée et dont le contenu est réalisé conjointement par l'annonceur lui-même et le média en question. Et donc, sans passer par une agence.
2. Le boom de la publicité numérique
Pour la toute première fois, le Web est devenu en 2014 le média numéro 1 au Québec en matière de dépenses publicitaires. Il a en effet glané 679 millions de dollars, à la suite d'un bond de 21,5% en un an, ce qui lui a permis de devancer la télévision francophone, qui, elle, a empoché 649 millions de dollars, une somme en recul de 7,5% par rapport à 2013. Suivent, loin derrière : les quotidiens (323 millions de dollars, -14,4%) ; la radio (258 millions de dollars, +2,4%) ; l'affichage (155 millions de dollars, +9,8%) ; et les magazines (92 millions de dollars, -16,1%).
Le même phénomène s'est produit à l'échelle canadienne. Même chose à l'échelle de la planète. Alors que la publicité en ligne ne représentait que 14% des dépenses mondiales en publicité en 2008, à 59,6 milliards de dollars américains, elle représentera 36% des dépenses en 2018, à 248,6 milliards de dollars américains, selon l'étude. Cette augmentation représentera une croissance annuelle moyenne de 15,4% pour la période concernée.
À noter que le mobile pourrait se tailler la part du lion. En 2013, la publicité diffusée mondialement via des appareils mobiles (cellulaires, tablettes,...) ont crû en un an de 84% et devraient continuer de croître en moyenne de 34,5% par an d'ici 2018. Si bien que les dépenses publicitaires faites via le mobile devraient dépasser celles faites via l'affichage d'ici les trois prochaines années.
Or, seulement 11,8% des employés des agences québécoises oeuvrent dans le numérique. C'est-à-dire que le dixième des personnes qui travaillent en agence sont directement concernées par le boom foudroyant du Web, ce qui est de toute évidence insuffisant pour prendre à toute allure le virage numérique de la publicité, d'après les auteurs de l'étude.
Comment expliquer cette sous-représentation du numérique au sein des agences québécoises? «D'une part, en raison du fait que les budgets sont en général plus faibles pour les annonces Web. D'autre part, en raison du fait que les annonceurs, voire les diffuseurs, disposent maintenant de leurs propres équipes en interne pour la production et la gestion du marketing Web», note l'étude de Raymond Chabot Grant Thornton.
3. Les sièges sociaux fuient le Québec
Entre 1999 et 2012, la grande région de Montréal a perdu près de 30% de sièges sociaux d'entreprises. Elle est ainsi passée du 2e au 4e rang dans le palmarès des agglomérations comptant le plus de sièges sociaux. Du coup, les décisions publicitaires de ces entreprises-là ne sont plus prises au Québec, mais ailleurs, la plupart du temps à Toronto. Plusieurs chiffres le mettent évidence :
> Désavantage au Québec. Le Québec représentait en 2011 plus de 24% des emplois canadiens dans le secteur de la publicité, et il n'en compte aujourd'hui plus que 20%.
> Avantage à l'Ontario. Simultanément, l'Ontario a vu les mêmes chiffres passer, eux, de 58 à 62% ; soit une croissance à un rythme annuel moyen de 5,6%.
C'est bien simple, le déplacement de campagnes du Québec vers le reste du Québec a engendré des pertes de revenus bruts équivalentes à 3,9% du total de 2014. Des pertes estimées à 9,4 millions de dollars.
Le constat est donc implacable. L'univers de la publicité, et plus largement de l'industrie de la communication-marketing, est en train de se métamorphoser. Et du coup, ses acteurs n'ont pas le choix que de s'y adapter au plus vite. Et c'est justement ce à quoi on assiste ces temps-ci.
Prenons un exemple tout récent, à savoir la création du Groupe Police... Sébastien Fauré et Jean-Sébastien Monty, deux pointures de l'industrie publicitaire du Québec, ont fondé ensemble une toute nouvelle forme d'entreprise vouée spécifiquement aux entrepreneurs en communication-marketing. Une organisation qui vise à les «protéger et servir» de toutes les embûches qui les attendent dans cette industrie mutante, et donc on ne peut plus périlleuse.
«Les grandes agences québécoises se retrouvent entre les mains de groupes internationaux. Les centres décisionnels se déplacent de plus en plus vers Toronto. Si bien que le Québec risque de se faire larguer par l'évolution ultrarapide de notre industrie. C'est pourquoi nous avons eu l'idée de mettre en place une organisation parapluie, à même de soutenir et d'encourager toute sorte d'entrepreneur oeuvrant en communication-marketing», dit Sébastien Fauré, chef de la direction de l'agence Bleublancrouge et cofondateur de L'Institut Idée.
«Le Groupe Police correspond finalement au modèle de mentorat dont nous rêvons tous. Il propose une formule d'encadrement et de collaboration, sans être nullement contraignant pour son bénéficiaire. Il n'a qu'un but : décupler le potentiel des entrepreneurs montants», ajoute Jean-Sébastien Monty, président des agences Bleublancrouge et U92.
Le Groupe Police peut ainsi agir sur plusieurs plans à la fois. Il fournira du conseil stratégique - via L'Institut l'Idée -, des sites Web de commerce électronique - via U92 - et de la communication-marketing - via Bleublancrouge. «À l'image d'un catalyseur, qui fait en sorte que la chimie se produit dès lors qu'on met ensemble tous les bons éléments», illustre M. Monty.
À noter, toutefois, que le Groupe Police n'est pas la fusion des agences impliquées. Il rassemble certes ses 11 associés, mais chaque entité demeure indépendante des autres. «En mettant en commun leurs connaissances, vécus, réseaux et rêves, c'est fou ce que ces 11 professionnels peuvent accomplir. Le Groupe Police est l'occasion pour eux de devenir encore meilleurs, ensemble», estime M. Monty.
Voilà un exemple concret de tentative pour tirer profit de la mutation que connaît l'industrie de la communication-marketing. Le Groupe Police entend «créer de la valeur et prospérer», tant pour elle que pour les autres. Reste à voir si cela s'avèrera, ou pas, une solution gagnante...