Lorsque P.K. Subban marque un but pour le Canadien, dans le septième match d'une série, ou qu'un joueur allemand déjoue un gardien de but argentin lors d'une finale de Mondial, vous devez faire de gros efforts pour ne pas l'apprendre au moment même où ça se produit : fermer votre radio, vos fenêtres (pour les klaxons ou les cris provenant des bars), vos réseaux sociaux, votre télé...
Un match, ça se regarde encore en direct, à la télé. Le sport à la télé, c'est le dernier des Mohicans. Et c'est aussi la bouée de sauvetage de ce modèle d'entreprise fondé sur la promesse faite aux annonceurs que des centaines de milliers, voire des millions de futurs clients seront rivés à leur petit écran en même temps.
Ils ne peuvent pas zapper. Ni enregistrer. Ou s'ils le font, c'est au risque d'anéantir le plus grand plaisir du sport : ne pas connaître la fin.
«Le sport est la dernière propriété dans l'industrie de la télé qui se consomme en direct. Cela lui donne donc un grand attrait auprès des annonceurs», explique Luc Dupont, professeur au Département de communication de l'Université d'Ottawa.
Voilà qui explique les 4 millions de dollars américains pour un spot de 30 secondes que payent les annonceurs durant le Super Bowl.
Pour tout le reste de la programmation, il y a l'appareil enregistreur. Qui compromet grandement la portée du message publicitaire : selon des chiffres du Print Measurement Bureau (PMB) datant de 2005, 82,7 % des Canadiens zappent les annonces, 44,1 % éliminent le son et 76,9 % font du zipping, c'est-à-dire qu'ils les font défiler en accéléré. La tendance a pris de l'ampleur. Toujours selon les chiffres du PMB, en 2014, 75 % des Canadiens éliminent le son, tandis que 81 % d'entre eux font du zipping.
D'où la surenchère pour les droits télé de franchise sportive, dont ceux de la LNH, en novembre dernier, qui ont fracassé tous les records. Même si plusieurs se demandent comment Québecor et Rogers rentabiliseront l'achat de ces droits (5,26 milliards de dollars sur 12 ans pour les matchs nationaux), le fait qu'ils ont déboursé pareilles sommes en dit long sur l'attrait du sport. D'autant plus que celui-ci attire une denrée rare en télé : les jeunes hommes de moins de 35 ans.#dubonbon pour annonceurs
Le match se déroule sur la patinoire, dans le stade et, bien sûr, sur les médias sociaux. «Ça fait partie du plaisir. On vit cet événement avec sa communauté», dit Laurent Maisonnave, président de Seevibes, premier fournisseur de données au pays sur l'audience sociale des médias sociaux à la télé.
Lorsqu'ils regardent la télé, 85 % des téléspectateurs partagent leur attention entre un cellulaire, une tablette ou leur ordi. Ce chiffre grimpe à 90 % chez les 18-25 ans. La moitié d'entre eux interagiront ou consulteront des sites.
Lors du septième match des séries, au printemps dernier, entre le CH et les Bruins de Boston, Seevibes a enregistré 920 000 tweets. Et c'est exponentiel : d'une année à l'autre, les chiffres doublent.
Pour les marques dont les budgets ne permettent pas de diffuser de la publicité durant un match, cette masse de gens disponibles et engagés, c'est du bonbon, croit Laurent Maisonnave. S'ils savent s'intégrer à la conversation, bien sûr. «Twitter n'appartient à aucune fédération, à aucun club. On ne peut pas acheter tous les mots-clés. C'est une occasion pour tous.» Une entreprise peut profiter de la conversation, s'ouvrir un compte, interagir et, selon son budget, cibler ses clients potentiels, ajoute-t-il.
Les médias sociaux profitent du sport en direct, et le sport en direct profite aux médias sociaux. Les deux aident la télé traditionnelle.
«Le sport, dit Luc Dupont, pourrait ralentir le déclin des médias traditionnels.»