Deux ans sans leur salle de rédaction, sans voir leur nom dans leur journal. Les 253 syndiqués du Journal de Montréal vivront lundi les deux ans bien sonnés du lock-out déclenché par leur employeur.
Malgré le lock-out, le Journal de Montréal n'a jamais cessé d'être publié depuis le 24 janvier 2009. Il est alimenté par le travail des cadres du quotidien, de chroniqueurs pigistes et celui des journalistes des autres médias propriétés de Quebecor.
Ce conflit, d'une durée exceptionnelle pour un média, a provoqué la présentation d'un projet de loi par l'opposition péquiste, un boycottage du quotidien, des jugements des tribunaux, des appuis publics d'autres syndicats de journalistes et d'autres organisations syndicales, plusieurs manifestations et une commission parlementaire à venir à Québec.
René Vézina : Deux ans de lock-out au Journal de Montréal, le blâme à la CSN et à PKP
Bien qu'exceptionnellement long, le conflit de deux ans au Journal de Montréal ne bat pas tous les records. Dans le dernier relevé officiel du ministère québécois du Travail, en novembre dernier, on trouve deux conflits qui étaient encore en cours et qui avaient débuté avant celui du Journal de Montréal, soit deux lock-out déclenchés en octobre 2007 et juillet 2008 dans le secteur alimentaire et touchant beaucoup moins de salariés.
Un média n'est toutefois pas une entreprise comme une autre, puisque sa mission est d'informer le public et qu'il est, de ce fait, un rouage de la démocratie.
"C'est le plus long conflit dans les médias au Québec, le plus long conflit des médias de papier au Canada, si je ne me trompe pas, ce qui est tout à fait navrant", a commenté en entrevue le président du Syndicat des travailleurs de l'information du Journal de Montréal, Raynald Leblanc.
"Dans le milieu des médias, les conflits qui durent interpellent plus, parce que ça met en exergue les monopoles des groupes médiatiques", a souligné de son côté Laurence Léa Fontaine, professeur de droit à l'Université du Québec à Montréal.
Les négociations "intensives" entre les parties ont repris mercredi dernier, mais M. Leblanc n'ose plus annoncer un revirement de situation. "Pour ce qui est de parler d'espoir, on verra au bout de l'exercice."
Certains de ses collègues ont fait des dépressions; d'autres sont tombés malades; d'autres ont perdu leur maison; certains ont divorcé. Deux ans dans l'incertitude, c'est long.
"Ça a été très difficile", admet M. Leblanc, malgré le site Web d'information Rue Frontenac, qui a permis de garder la mobilisation des lock-outés et qui a même enfanté un journal papier.
Avec deux ans de recul, M. Leblanc reste convaincu que le syndicat n'aurait rien pu faire pour éviter le déclenchement de ce lock-out. "Je pense que non. Je pense que c'était un lock-out qui a été organisé" et planifié, tranche-t-il.
L'employeur, de son côté, a choisi de se faire discret pour ces deux années de lock-out.
Le vice-président aux affaires corporatives et institutionnelles de Quebecor, Serge Sasseville, a fait savoir qu'il n'avait "pas l'intention pour l'instant de donner d'entrevues sur le conflit au Journal de Montréal" afin de ne pas risquer "d'envenimer les négociations en cours". "Nous craignons que des entrevues à ce sujet constituent un trop grand risque", a-t-il répondu par voie de courriel.
Néanmoins, la direction de Quebecor a redit sa volonté de "conclure un règlement honorable et satisfaisant pour toutes les parties".
Un tel règlement, précise M. Sasseville, passe par le "respect et la reconnaissance des nombreuses années de services de la grande majorité des employés du Journal de Montréal", mais il passe également par "un règlement qui tienne compte du contexte très difficile dans l'industrie de la presse écrite".
Un concert-bénéfice en appuis aux employés aura lieu lundi soir au Métropolis, à Montréal, pour recueillir des fonds et marquer les deux ans du lock-out.
De même, au parlement de Québec, la Commission de l'économie et du travail étudiera la question de la "modernisation des dispositions anti-briseurs de grève prévues au Code du travail", les 1er et 2 février.
On constate l'importance sociale de ce lock-out à regarder la liste des intervenants prévus: le Syndicat des travailleurs de l'information du journal ainsi que la CSN, bien sûr, de même que Quebecor, mais également la FTQ, la CSQ, la CSD, le Barreau du Québec, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, le Conseil du patronat du Québec, la Fédération des Chambres de commerce du Québec et la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, entre autres.
Mme Fontaine croit que le débat sur le Code du travail peut être fait sainement, malgré le contexte du conflit au Journal de Montréal. "Il est plus que temps. Au-delà de Quebecor, il y a des situations où ces dispositions anti-briseurs de grève ne sont plus adaptées. Il faut absolument se pencher sur la question et de manière urgente."