Pendant 60 ans, Edgar Fruitier a joué les seconds rôles. À 80 ans, il s'est fait offrir la tête d'affiche par un simple vendeur de disques chez HMV. Avec, comme résultats, 250 000 coffrets de musique classique vendus au Québec, et un spectacle qui accumule les supplémentaires. Une histoire de rêve comme dans les meilleurs films américains à l'eau de rose !
" Je trouvais que la section de musique classique chez HMV n'était pas attrayante, raconte Jean-Claude Dumesnil. Un jour, j'ai vu Edgar Fruitier au magasin et j'ai eu un flash : produire une série de CD avec lui pour attirer des clients dans le magasin. J'en ai parlé à mon supérieur, mais il n'y a pas donné suite. "
M. Dumesnil n'en est pas resté là : l'idée de la série avec Edgar Fruitier, un comédien apprécié du public et reconnu comme un mélomane d'une rare érudition, lui a trotté dans la tête jusqu'à ce qu'en 2006, il soit prêt à la soumettre au principal intéressé.
" Vous allez perdre votre chemise avec ce projet ! " lui a répondu M. Fruitier. " Edgar a toujours joué les seconds rôles et, à 80 ans, il n'était plus au sommet de sa gloire, explique M. Dumesnil. Que quelqu'un veuille faire de lui une vedette était inconcevable pour lui. "
La naissance d'Octave
M. Dumesnil mandate Productions XXI, producteur de CD de musique " du bon vieux temps ", pour réaliser le projet. La relation d'affaires entre M. Dumesnil et XXI remonte à loin. Ayant quitté l'école secondaire sans diplôme, le jeune Dumesnil décroche un emploi de vendeur de disques chez HMV. Il devient gérant d'un magasin, directeur du marketing au bureau chef de HMV puis responsable des achats. C'est alors qu'il découvre les Productions XXI . Il téléphone à Michel Laverdière, actionnaire de la boîte de production, pour lui proposer une collaboration.
" Jean-Claude nous a suggéré de faire de la publicité à la télé, mais c'était trop risqué financièrement ", raconte M. Laverdière, qui occupe maintenant plusieurs fonctions aux Productions Octave, la société de M. Dumesnil, âgé de 44 ans.
Qu'à cela ne tienne, M. Dumesnil a un ami mieux nanti, Arsène Ouellet, ancien propriétaire des Librairies Raffin. Ensemble, ils forment Productions Octave, en 2005, qui donne une deuxième vie aux anciens succès des Productions XXI en changeant l'emballage et en les annonçant à la télé.
Un énorme succès
Pour élaborer la série de disques, M. Fruitier sélectionne 500 pièces de musique. Octave en retient 77, qui formeront un coffret de six CD. Les pièces retenues doivent être accessibles, M. Dumesnil ne ciblant pas spécialement les amateurs de musique classique, trop peu nombreux.
Résultat de l'opération commencée en février 2007: 86 000 coffrets de Les grands classiques d'Edgar vendus à ce jour ; un énorme succès ! Et M. Dumesnil est formel : sans Edgar Fruitier sur la pochette, les ventes n'auraient pas atteint 15 000 coffrets.
L'année suivante, Octave lance Les grands classiques d'Edgar, Encore plus : 76 000 coffrets de six CD vendus ! Et en février 2009, Octave récidive avec le coffret La musique romantique d'Edgar. Les ventes sont toutefois en deçà des attentes : 19 000 coffrets. Les raisons : mauvais choix de la date de lancement, après la période des Fêtes, et impact négatif des deux musiciens qui encadrent M. Fruitier sur la pochette, excellents mais inconnus du grand public.
Edgar et ses fantômes
Une semaine après la sortie du premier coffret, M. Dumesnil avait une autre idée en tête : " mettre le coffret sur une scène ". Sur le conseil de M. Fruitier, il confie la mise en scène à Normand Chouinard. Claude Marion, le producteur délégué, demande à l'auteur Normand Chaurette d'écrire une histoire : M. Fruitier, endormi dans son fauteuil, qui rêve que Bach, Beethoven et Mozart arrivent dans son salon. Avec un orchestre de 25 musiciens sur scène, Edgar et ses fantômes, créé en 2010, fait un tabac. Le spectacle est en supplémentaires du 14 au 30 décembre au Monument National et sera présenté à Québec du 26 au 30 janvier. " C'est mon premier spectacle et on a pris un risque financier considérable, mais ça marche ! "
Le spectacle musical est exportable aux États-Unis et en Europe, sans M. Fruitier dans le premier rôle, et M. Dumesnil ne s'en privera pas. Une captation du spectacle est aussi prévue. Il se peut également qu'Octave crée un genre d'Edgar et ses fantômes II. " J'ai des idées plein la tête ", lance l'entrepreneur.
80 000 $ pour Monseigneurs Turcotte et Ouellet
Après le demi-échec du coffret de musique romantique, sur la pochette duquel Edgar Fruitier était flanqué de deux musiciens inconnus du grand public, Jean-Claude Dumesnil a tiré sa leçon : sur le coffret de musique sacrée, c'est Jean-Claude Turcotte, cardinal de Montréal, et Marc Ouellet, alors cardinal de Québec, qui encadrent Edgar Fruitier. " Sans eux sur la pochette, on aurait vendu moins de 15 000 coffrets au lieu de 40 000, estime M. Dumesnil. Ils nous ont donné beaucoup de visibilité dans les médias. " Ce succès a rapporté 40 000 $ à chacun des deux cardinaux pour leurs bonnes oeuvres. Quant aux redevances versées à M. Fruitier, le président des Productions Octave refuse de les dévoiler.