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La Québécoise Maryse Dubuc a réalisé le rêve de tout jeune... Belge ! Sa bande dessinée Les Nombrils, conçue avec son compagnon Marc Delafontaine, a conquis la célèbre maison Dupuis, éditrice du magazine Spirou et autres Gaston Lagaffe, Lucky Luke, Boule et Bill et Schtroumpfs.
«Pour un Québécois, c'est comme vouloir jouer pour le Canadien de Montréal», illustre Maryse Dubuc, qui prépare le septième album de sa série Les nombrils, mettant en scène trois jeunes héroïnes et traduite dans une douzaine de langues. La sortie est prévue pour septembre 2015.
Michel Rabagliati travaille aussi au prochain album de son personnage Paul, intitulé Paul dans le nord, un huitième tome de plus de 140 pages qui doit paraître l'été prochain. «L'action se passe en 1976 à Saint-Sauveur, sur fond de Jeux olympiques, de pétarades de mobylettes et de Peter Frampton Comes Alive, pendant que Paul a atteint l'âge rebelle», raconte-t-il.
Publiées pour la première fois en 1999 à 500 exemplaires, les aventures de jeunesse de Paul ont gagné en popularité au cours des dernières années. Le nombre d'albums vendus dépasse aujourd'hui les 250 000 et la série est traduite en six langues.
Le dernier album, Paul au parc, paru en 2011, a profité d'un premier tirage de 15 000 exemplaires, tandis que chacun des albums a été réédité près d'une dizaine de fois. L'album Paul à Québec, qui avait reçu en 2010 le prix du public lors du Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, en France, fera même l'objet d'un film dont le tournage doit s'amorcer en septembre.
Autre signe de la nouvelle vigueur de la bédé québécoise : le Musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM) a présenté l'hiver dernier une exposition mettant en vedette 15 bédéistes et illustrateurs québécois.
«J'aime que le Musée soit une grande porte ouverte pour toutes les formes d'art, et la bande dessinée en est assurément une», explique Nathalie Bondil, directrice et conservatrice en chef du MBAM, en rappelant que l'institution avait déjà consacré des expositions à Tintin et à Snoopy.
Plus récemment, la chaîne ARTV a diffusé le documentaire BD QC, dont chacun des 10 épisodes traçait le portrait de dessinateurs québécois et de leur univers, notamment Michel Rabagliati et le duo Delaf-Dubuc.
Paul a ouvert des portes
À n'en pas douter, la bande dessinée québécoise s'est illustrée ces dernières années, tant au Québec qu'à l'étranger. «La bande dessinée européenne a toujours eu la cote et profité d'une bonne diffusion au Québec, mais les succès de Rabagliati et de sa série des Paul a ouvert des portes aux auteurs et aux dessinateurs d'ici», estime le propriétaire de la librairie montréalaise Planète BD, François Mayeux, qui oeuvre depuis près de 30 ans dans le milieu de la bande dessinée.
«Il y a un plus grand engouement pour la bande dessinée en général, dont profite également la bédé québécoise qui compte de plus en plus d'auteurs et de dessinateurs de talents», note aussi Marco Duchesne, libraire depuis plus de 25 ans à la librairie Pantoute, de Québec, et responsable de la section des bandes dessinées.
La plus grande diversification de l'offre et de lecteurs n'est pas étrangère à l'essor de la bande dessinée. «Il y a beaucoup d'autres univers que celui des Tintin, des Astérix ou encore des superhéros américains, et le public est tout aussi varié», note Stéphane Théroux, président de La Boîte de diffusion, un important distributeur québécois de bandes dessinées.
«Il n'y a plus uniquement de la bédé jeunesse. Le développement d'une bédé adulte ou d'auteur, ou même plus féminine, a attiré de nouveaux lecteurs», constate aussi M. Mayeux.
L'immense popularité d'Astérix, dont 100 000 exemplaires d'un nouvel album sont vendus au Québec, contribue par ailleurs à ce mouvement de diversification. «Astérix, c'est une locomotive qui nous permet d'offrir un plus grand choix de bédés moins populaires ou connues», souligne Marco Duchesne.
Autre facteur de croissance : «les bibliothèques ont décidé d'offrir autre chose que les traditionnels Tintin ou Astérix», fait valoir M. Mayeux.
Un commerce 100 % bande dessinée
Fort de ces constats, François Mayeux décidait même en 2008 de lancer à Montréal Planète BD, une librairie consacrée à la bande dessinée qui emploie aujourd'hui cinq libraires à temps plein.
«C'était un défi, mais nous tenons la route, et la fidélité de la clientèle témoigne de notre pertinence», dit M. Mayeux, qui préside aussi le Festival de la BD de Montréal, dont la troisième édition, tenue à la fin mai, a réuni quelque 125 auteurs du Québec et du monde et a attiré 8 000 visiteurs.
La librairie spécialisée ne fait pas de grandes marges bénéficiaires, précise M. Mayeux, mais ses revenus sont en croissance. La bédé québécoise, qui occupe une place de choix dans cet établissement de la rue Saint-Denis, représente de 20 % à 25 % des ventes.
Enfin, l'essor de la bande dessinée est aussi attribuable à Internet et «aux réseaux sociaux qui font connaître de nouveaux auteurs», dit M. Duchesne, de librairie Pantoute.
Cela dit, la tradition de la bande dessinée québécoise remonte à une centaine d'années : d'Onésime, ce personnage créé par Albert Chartier et dont les épisodes ont été publiés dans le Bulletin des agriculteurs de 1943 à 2002, jusqu'à Paul, en passant par les aventures de Red Ketchup, de Michel Risque ou de Capitaine Kébec. En 1979, la création du mensuel satirique Croc donnera un élan à la bande dessinée en offrant pendant plus de 15 ans une tribune privilégiée aux bédéistes d'ici. Mais sa disparition, en 1995, laissera un grand vide et un sentiment de morosité, se rappelle Michel Rabagliati : «C'est comme si on envoyait le signal que la bédé québécoise n'avait pas de public et ne pouvait pas réussir».
«Il y a toujours eu de grands dessinateurs au Québec, mais peu d'éditeurs s'intéressaient à ce marché, parce que les coûts sont trop élevés compte tenu des faibles tirages», dit le libraire Marco Duchesne.
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Renaissance de tout un secteur
Frédéric Gauthier a voulu remédier à la situation. Ce mordu de bédé qui, comme bien d'autres, s'est initié au neuvième art en lisant des classiques comme Tintin et Astérix, fondait en 1998 la maison d'édition montréalaise La Pastèque. En lançant le pari, avec le cofondateur Martin Brault, de rendre viable une structure d'édition spécialisée en bande dessinée au Québec.
Quinze ans et quelque 150 titres plus tard, La Pastèque semble avoir atteint ses objectifs. «Nous n'avions pas la volonté d'en vivre, mais au moins de faire nos frais. Mais, depuis quatre ou cinq ans, nous sommes salariés de notre maison d'édition et nous pouvons même nous consacrer entièrement à son développement», fait valoir M. Gauthier, qui avait jusqu'alors conservé son poste de directeur d'un laboratoire de création à l'agence Sid Lee. C'est le succès de la série des Paul, à la naissance de laquelle La Pastèque a contribué grâce à la publication d'un premier tome, Paul à la campagne, en 1999, qui a finalement permis à la petite maison d'édition de voler de ses propres ailes, et même de rayonner jusqu'en Europe.
La Pastèque publie de nouveaux auteurs et a aussi réédité les séries Red Ketchup et Michel Risque. Elle prévoit publier un nombre record de 32 titres en 2014, par rapport à une vingtaine en moyenne ces dernières années.
D'autres maisons d'édition québécoises ont emboîté le pas, entre autres Mécanique générale et Front Froid. «Notre entreprise croît au rythme de l'essor que prend la bande dessinée», souligne Gautier Langevin, directeur général de Front Froid, un collectif de bédéistes de la relève québécoise fondé en 2006.
Front Froid a aussi donné naissance au studio de création visuelle Lounak, qui a notamment réalisé l'adaptation en bande dessinée du jeu vidéo à succès Assassin's Creed. L'an dernier, Lounak a lancé un portail de bandes dessinées en ligne qui prendront aussi la forme de livres.
La popularité de la bande dessinée québécoise a même amené le géant français Glénat, éditeur de Mafalda, à créer en 2007 une filiale québécoise. «Glénat souhaitait découvrir des auteurs québécois de bédé pour les diffuser en Europe», dit Christian Chevrier qui dirige cette division.
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