L'expression «ville intelligente» est à la mode. Pourtant, difficile d'en circonscrire le sens précis. D'abord et avant tout, c'est un mode de gestion et de planification urbaines optimal. C'est ce qui fera du Montréal de demain une ville mondiale, pour peu que tous, promoteurs, élus et citoyens, agissent. Objectif : faire de la métropole une cité concurrentielle, attrayante pour les promoteurs et agréable pour ses citoyens.
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L'aspect numérique, mais pas seulement
Il ne s'agit pas simplement d'installer des bornes d'accès Internet sans fil un peu partout, dans le métro par exemple. «Le Wi-Fi, on s'attend déjà à ce qu'il soit disponible partout», pense Claude Sirois, cochef de l'exploitation et vice-président exécutif Québec chez Ivanhoé Cambridge, qui intervenait lors d'une table ronde organisée par Les Affaires, en partenariat avec Davies «C'est comme une machine à café dans une chambre d'hôtel. Une ville intelligente, c'est beaucoup plus que ça.» Pour Anik Shooner, associée chez Menkès Shooner Dagenais LeTourneux Architectes, «ce n'est pas juste de l'électronique. C'est de la planification intelligente».
«C'est la vision d'une ville qui veut apprendre à mieux se connaître elle-même : ses défis, ses enjeux, ses limites», explique Harout Chitilian, vice-président du comité exécutif à la Ville de Montréal et responsable des dossiers TI, de la jeunesse, de la ville intelligente et de la réforme administrative. Pour lui, «c'est d'abord et avant tout la volonté de bien gérer ses ressources, tant physiques que financières».
Et si le concept dépasse le simple aspect des TI, celles-ci en font toutefois partie intégrante. «Est-ce qu'on pourrait profiter des nouvelles technologies pour optimiser nos systèmes d'éclairage en installant des panneaux solaires ? interroge M. Chitilian. Ou encore, se doter de capteurs pour mesurer la qualité de l'air ? Quant au réseau cellulaire dans le métro, il était temps que ça arrive», ajoute l'élu, réfléchissant à voix haute.
Par ailleurs, «il faut rendre le "big data" [mégadonnées] disponible à tous, afin de les intégrer dans de nouvelles applications», lance Cameron Charlebois, président de GPMC Montréal, une firme-conseil en immobilier. «La Ville doit être un fournisseur de données, les jeunes développeurs n'attendent que ça, estime-t-il. Trouver du stationnement ou le payer au moyen d'une application, par exemple, c'est brillant.»
Aménagement intelligent et efficace
«C'est bien beau la "ville intelligente", mais quand tu n'es même pas capable de savoir où en est rendue ta demande de permis, ce n'est pas efficace», déplore Stéphane Côté, président de DevMcGill. «Des fois, j'ai l'impression qu'on se concentre sur ce concept pour ne pas parler d'autre chose», affirme Michel Max Raynaud, directeur de l'Observatoire Ivanhoé Cambridge du développement urbain et immobilier à l'Université de Montréal.
Parler de l'importance de la planification, entre autres. «Pour nous [les promoteurs ou investisseurs], il n'y a pas de place pour l'improvisation», dit Claude Sirois.
Justement, «il faut tenir compte de nos besoins dans l'avenir, croit Harout Chitilian, de la Ville de Montréal. Dans tous nos projets, comme dans la requalification [des infrastructures], il faut se poser les bonnes questions. A-t-on de la place pour installer des bornes de recharge pour les véhicules électriques, par exemple ? Mais ce n'est pas que de l'aménagement des lieux physiques, il y a aussi tout le volet social. [L'administration] veut créer des mécanismes de collaboration afin d'être capable d'évoluer».
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Le «cas» Griffintown
Un discours sans doute rafraîchissant pour les promoteurs et citoyens de Griffintown. En plein boom immobilier, le secteur a longtemps manqué cruellement d'infrastructures. Si la situation tend à s'améliorer, il n'y a toujours pas d'école primaire. Une lacune prévisible depuis des décennies, alors que le calcul semble plutôt simple : plus de logements, plus de familles, plus de besoins. «Ça fait 20 ans que les gens demandent une école dans ce quartier, affirme Luc Fortin, vice-président développement de First Capital Realty. Ce n'est pas un oubli qui date de trois ans.»
«La Ville, dans le passé, n'a pas assez planifié, estime François Croteau, maire de l'arrondissement Rosemont-La Petite-Patrie et membre de Projet Montréal. Prenez Griffintown, ce fut une erreur terrible ! Et pour mieux prévoir l'aménagement, les PPU [programmes particuliers d'urbanisme] s'avèrent d'excellents outils.» Est-ce que ce quartier est un échec, toutefois ? Pas si l'on se fie à Richard Hylands, président de Kevric : «Je ne dirais pas que c'est un échec. C'est encore trop tôt pour poser un jugement.»
Même avis du côté de l'architecte Anik Shooner. «Il est encore trop tôt pour juger de l'échec ou de la réussite de Griffintown, mais il faut que ça se fasse, construire des trottoirs, des écoles, etc.»
Une situation qui est tout de même «dix fois "moins pire" maintenant grâce au nouveau PPU élargi, pense Richard Bergeron, conseiller de la Ville pour le district Saint-Jacques [Ville-Marie] et membre du comité exécutif responsable du centre-ville. Ce n'est pas compliqué, si la Ville avait acheté des terrains, au départ, pour en faire des parcs, nous aurions économisé des millions de dollars».
De plus, «on ne peut pas "inviter" des familles dans ce quartier s'il n'y a même pas d'école, note Jacques Vincent, coprésident du Groupe Prével. La mixité, c'est ça qui anime une ville, qui la rend attirante».
Axer sur la mixité
Si l'avenir est à la mixité des quartiers, les milieux de vie doivent être minutieusement planifiés. Là encore, la notion de «ville intelligente» ressurgit. «L'idée de mixité des quartiers, ce n'est pas juste du résidentiel et du commercial, affirme M. Vincent. Il faut ramener des personnes âgées, des espaces de travail, etc. Le manque de diversité a été un grand problème dans plusieurs villes américaines qui se sont vidées.»
Oui à la mixité, mais pas n'importe comment. L'hétérogénéité des genres doit s'avérer viable à terme. Il doit il y avoir un marché potentiel pour des locaux commerciaux, par exemple. «On m'a imposé du commercial sur la rue Shannon, mais je ne suis pas certain que ça va fonctionner, raconte le coprésident du Groupe Prével. On avait l'obligation de faire du commercial sur la rue William, mais puisque nous n'avons pas été capables de trouver un locataire, nous y avons installé nos bureaux...»
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Une opinion partagée par Cameron Charlebois, de GPMC Montréal : «Nul besoin de tordre un bras aux promoteurs pour construire des quartiers mixtes. Cette notion est ancrée dans les moeurs. Mais dans certains cas, l'environnement ne s'y prête tout simplement pas».
Par ailleurs, les règles émises par les arrondissements quant aux divers projets immobiliers doivent être sensées, plaident les promoteurs réunis par Les Affaires. Ne serait-ce que pour éviter de décourager le développement urbain. «Il faut demander des ratios de stationnement par unité qui sont raisonnables, dit Stéphane Côté, président de DevMcGill. Exiger 1,5 place par unité, est-ce un bon calcul ?»
La mobilité urbaine
Après les quartiers, l'importance de la mixité s'applique également aux moyens de transport en milieux urbains. Afin d'améliorer la fluidité des déplacements, les connexions entre tous les centres névralgiques de la métropole, il faudra miser sur tous les outils disponibles, y compris l'auto, estiment plusieurs experts. «On sent que certaines villes veulent éliminer l'usage des voitures, constate Anik Shooner. Mais ce n'est pas vrai qu'à Copenhague, qui est souvent citée en exemple, il n'y a pas d'autos... Il faut plutôt améliorer la mixité, ajouter des pistes cyclables, par exemple.»
Depuis que la ligne orange du métro se rend à Laval, les wagons sont souvent remplis au maximum de leur capacité pendant les heures de pointe. Et, bien que le réseau de transport en commun soit crucial pour la métropole, les places de stationnement, ou le manque de celles-ci, reste d'actualité. Il n'est pas rare de voir des places vendues pour plusieurs dizaines de milliers de dollars au centre-ville et dans les arrondissements limitrophes.
Une offre qui tend à se raréfier au fil des constructions. À titre d'exemple, les nouveaux plans de rénovation de la rue Sainte-Catherine prévoient une réduction des emplacements de stationnement sur les côtés de la rue. Au même moment, les Dix30 et autres mégacentres dotés de nombreux espaces de stationnement poussent comme des champignons en banlieue. Un enjeu de compétitivité, souligne Stéphane Côté, de DevMcGill : «Il y a déjà plusieurs personnes en banlieue qui ne viennent pas en ville par peur de manquer de stationnement».
En 2025 : Montréal, ville mondiale
«En 2025, j'espère que nous aurons répondu à l'ensemble de nos besoins en matière de mobilité urbaine, dit Harout Chitilian, de la Ville de Montréal. Le développement économique dépend de notre niveau de mobilité.
«Et il ne faut surtout pas isoler les gens dans des gratte-ciel, ajoute -t-il. Il faut créer des communautés. Les villes de partout dans le monde sont engagées dans une concurrence féroce pour attirer et retenir les immigrants, les étudiants, les touristes, etc. Une ville intelligente, c'est incontournable pour nos citoyens, qui gagneront des services, et pour les promoteurs, qui seront plus efficaces.»
Immobilier et urbanisme
Série 3 de 3. Comment garantir un développement urbain qui répond aux multiples besoins de la population ? Nous avons réuni promoteurs et autres experts du secteur pour réfléchir à la question.
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