Série 2 de 3 - L'immobilier fait face à d'importants enjeux dans la métropole. Voici notre deuxième série consacrée à ce secteur stratégique.
Déjà bien implantée dans plusieurs grandes métropoles, telles New York, Londres et Toronto, la formule des immeubles mixtes est en voie de gagner Montréal. De l'avis de plusieurs promoteurs immobiliers, le concept, qui réunit sous un même toit logements en copropriété, bureaux et commerces de proximité, devient la norme.
«Désormais, ce type de projet sera de ceux qui se vendront beaucoup plus rapidement. Les propriétaires de copropriétés adorent qu'on ajoute des commerces de proximité à leur immeuble. Cela leur évite de devoir prendre leur voiture pour aller faire leurs courses», soutient Jean-François Breton, président de Carbonleo. Le promoteur immobilier, qui possède le Quartier Dix30, planche justement sur deux projets immobiliers mixtes à Montréal.
«La formule des projets mixtes maximise les chances de réussite d'un projet de développement immobilier», ajoute Richard Hylands, président de la Corporation immobilière Kevric.
Il donne l'exemple du populaire Columbus Circle, à New York, un ensemble de tours qui comprend l'hôtel Mandarin Oriental, des commerces, des bureaux et de multiples copropriétés. À Londres, le Shard abrite sous ses 95 étages l'hôtel Shangri-La, des bureaux et des résidences. «En fait, souligne M. Hylands, la formule mixte permet aux promoteurs immobiliers de respecter le zonage urbain sans avoir à demander de dérogation.»
Cette formule permet aussi d'avoir un meilleur appui des institutions financières. Tony Migliara, de la Banque Laurentienne, indique que son institution privilégie ce type de construction. «Compte tenu de la densification en milieu urbain et du coût élevé des terrains, la plupart des projets commerciaux financés par la Banque Laurentienne sont des propriétés qui abritent à la fois des commerces, des locaux pour bureaux et des appartements en copropriété. Cette formule, qui favorise une variété de locataires, limite les risques», souligne le vice-président, financement immobilier, région de l'Est, services aux entreprises, à la Banque Laurentienne. L'institution bancaire participe d'ailleurs au financement des phases I et III de l'Îlot 10, un projet de Devimco, dans Griffintown.
«Il n'y pas si longtemps, les banquiers étaient plutôt frileux lorsqu'on leur parlait de cette nouvelle tendance», fait remarquer Jean-François Breton, président de Carbonleo.
Jacques Métivier observe que la formule mixte répond beaucoup mieux aux besoins de la population urbaine. «La présence du transport en commun reste un enjeu important pour ce type de projet», rappelle le vice-président du conseil d'administration de la Société immobilière Landmark.
À chacun sa porte
La mixité des vocations demande toutefois une solide planification de gestion des entrées et sorties des occupants de ces immeubles et de la clientèle extérieure fréquentant les commerces qui y sont situés.
Jacques Vincent, coprésident d'Alliance Prével, peut en témoigner. Le Séville, situé rue Sainte-Catherine, abrite une épicerie Adonis. Une épicerie très populaire dans le quartier et dont le stationnement souterrain des clients partage la même entrée que celui des résidents. Résultat : des bouchons à certaines périodes plus achalandées, notamment les week-ends.
«On n'avait pas prévu cette situation. Au début, ça créait beaucoup de congestion. Et les résidents se sont plaints. Aujourd'hui, la situation s'est améliorée», rapporte M. Vincent.
Alliance Prével a appris de son erreur. Les autres tours immobilières en construction offrant de la mixité ont désormais deux entrées... sur deux rues différentes.
«Les propriétaires des unités résidentielles ne veulent pas croiser la clientèle qui vient de l'extérieur. Il faut donc des issues différentes pour les commerces et la section résidentielle», souligne Richard Hylands.
«On doit également prévoir des accès intérieurs aux commerces pour les résidents qui ne veulent pas ressortir pour magasiner», ajoute Stanislas Malecki, vice-président, développement Québec, chez Sobeys.
Les locataires comme les propriétaires veulent des accès contrôlés, ajoute Jean Laramée, vice-président principal, Capital immobilier, chez Ivanhoé Cambridge. «Jamais on ne verra dans nos immeubles mixtes un hall de bureaux en plein coeur d'un centre commercial. Les locataires de ces nouveaux immeubles mixtes ne veulent surtout pas voir des gens qui se sont égarés au 26e étage», soulève-t-il.
Une école au cinquième étage
Mais la mixité ne doit pas se limiter à une combinaison de commerces, de bureaux et de résidences. Il faut aussi penser aux écoles pour accueillir les enfants des familles qui viendront s'installer dans ces projets, insiste Richard Hylands, président de Kevric.
Avec la construction du CHUM et du CUSM, Montréal se retrouvera avec plusieurs bâtiments vides, notamment l'Hôtel-Dieu et l'Hôpital Royal Victoria. «Il est déjà question de nouveaux projets immobiliers pour ces lieux. On ne parle que du nombre de nouvelles copropriétés et du montant versé pour construire des logements sociaux. Et si cet argent servait plutôt à construire des écoles, des bibliothèques, des parcs ou des lieux de culte ?» suggère M. Hylands.
Au prix auquel se vend le pied carré en ville, ces écoles devront modifier leur conception traditionnelle. Leur aménagement devra être plus créatif. «À New York, il n'est pas rare de voir une école primaire et ses aires de jeu établies au 5e étage d'un immeuble», rapporte M. Hylands. Un beau défi d'aménagement !
Si on veut attirer les jeunes familles en ville, soutient le président de Kevric, les nouveaux projets mixtes devront prévoir ce type de services. À Toronto, dit-il, où le concept est bien implanté, il y a même des garderies pour enfants... et même pour animaux, dans ces complexes multifonctionnels.
Selon le président de Carbonleo, la formule des projets mixtes tend à plaire aux jeunes générations. «Les moins de 30 ans sont prêts à sacrifier la deuxième voiture pour s'offrir un style de vie dans un milieu densément peuplé, près des services, du travail et des activités de loisir», signale Jean-François Breton.
L'impact du commerce électronique
Les lieux de vie doivent donc s'adapter, mais également les espaces commerciaux. Le développement du commerce électronique change par ailleurs la donne. Le Québec compte de plus en plus de cyberacheteurs. En 2013, les Québécois ont dépensé plus de 7 milliards de dollars en ligne, selon les plus récents résultats de l'Indice du commerce électronique au Québec du CEFRIO. Un comportement qui incite, voire oblige, les promoteurs et gestionnaires immobiliers à s'adapter à cette nouvelle réalité.
«On sent déjà que le commerce en ligne tend à faire diminuer le nombre d'espaces commerciaux sur le marché», souligne Jean Laramée, d'Ivanhoé Cambridge.
La restructuration des magasins Sears, Best Buy, Future Shop et autres grands noms du commerce de détail en font la démonstration. Ils ont de plus en plus une fonction de vitrine. On y vient surtout pour voir le produit, le commander et se le faire livrer plus tard, surtout pour les objets encombrants. «Ça ne tuera pas pour autant les centres commerciaux. Les gens veulent encore toucher ce qu'ils achètent, mais on sent la tendance et on va devoir changer nos façons de faire», concède M. Laramée.
Jean-François Breton élabore actuellement les plans de deux nouveaux projets mixtes dans l'île de Montréal (dont les emplacements exacts sont tenus secrets). Pour chacun d'eux, le promoteur prévoit l'aménagement d'un espace au coeur des sections commerciales, où les consommateurs, qu'ils résident ou non dans l'immeuble, pourront venir récupérer leurs commandes effectuées en ligne.
L'impact du commerce électronique risque de changer le portrait de la location commerciale. «Les détaillants vont favoriser les centres commerciaux de classe A, qui offrent une facture plus moderne, mieux adaptée et surtout basée sur l'expérience client», soulève M. Breton. Par exemple, des tableaux géants style iPad pourraient être installés dans les aires commerciales afin de permettre aux clients de faire leurs commandes en ligne.
Service de concierge
Le phénomène du commerce électronique fait aussi réfléchir les promoteurs immobiliers résidentiels. «Le service de conciergerie va devenir une nécessité. Désormais, de plus en plus de propriétaires de copropriété exigent la présence d'une personne 24 heures sur 24 pour recevoir leurs colis. Déjà, certains résidents nous ont demandé l'installation de casiers pour leur livraison d'épicerie», rapporte Richard Hylands.
Selon Jacques Vincent, l'embauche d'un portier 24 heures par jour ferait bondir les frais de copropriété. À la place, le personnel qui effectue l'entretien ménager de l'immeuble pourrait se charger de recevoir les marchandises. «On est en train de peaufiner la formule. Ces employés, qui assureraient la réception des colis 12 heures, voire 16 heures par jour, pourraient ensuite les entreposer dans un local réservé à cet effet», dit-il.
De son côté, le secteur de l'alimentation commence déjà à prévoir des réductions de superficie de magasin. «Les commandes d'épicerie par Internet en sont encore à leurs balbutiements, mais d'ici 10 ans, voire 15 ans, on s'attend à ce que ça devienne la norme. Surtout pour les aliments secs, tels que les céréales et les conserves», soutient Stanislas Malecki.
Déjà, les épiceries Sobeys de la Place Dupuis et du Complexe Desjardins, à Montréal, reçoivent tous les jours des commandes en ligne d'employés de bureaux qui travaillent dans le même immeuble et qui viennent chercher leurs sacs à la fin de la journé