Alors que le Massif de Charlevoix annonce cette semaine la relance du développement immobilier nécessaire à sa rentabilité, Daniel Gauthier admet, en entrevue avec Les Affaires, avoir connu un mauvais départ il y a deux ans. Une quinzaine de chalets avaient alors été construits, mais tout a été arrêté pour bâtir d'abord l'hébergement au pied de la montagne, ce qui pourra enfin se faire l'an prochain quand les travaux d'aqueduc et d'égouts seront entrepris à Petite-Rivière-Saint-François.
«Malheureusement, il y a eu un mauvais départ. Le temps a joué contre le projet. Nous avions créé un momentum, mais le projet n'a pas pu aboutir parce que nous n'avons pas eu les infrastructures. Et nous nous sommes retrouvés dans une situation financière qui nous a amenés à prendre des décisions difficiles», regrette Daniel Gauthier, président du conseil d'administration du Groupe Le Massif, qui doit aujourd'hui réanimer le rêve et la confiance.
«On espère que les gens comprendront la situation dans laquelle nous étions. Ça arrive même dans les grandes écuries de F-1 de connaître un mauvais départ, et on ne peut pas gagner toutes les courses. Mais à la fin, ce qui compte, c'est de gagner le championnat. Nous envisageons notre avenir à long terme, pas sur une année en particulier», a affirmé M. Gauthier. L'entrepreneur espère que tout le monde oubliera vite la dernière année, marquée par un conflit de travail, la fermeture du chalet de la base et un déficit d'exploitation de 4 millions de dollars à la station de ski.
«Il faut composer avec la nature, et l'an passé, il a fait très froid en janvier et il y a eu de la pluie ; tout le monde a souffert. Aujourd'hui, je suis content que la machine reparte. Ça ne va jamais assez vite pour un entrepreneur, mais j'ai appris à cultiver la patience.»
S'il pouvait revenir en arrière, Daniel Gauthier aurait bâti son projet comme il l'envisageait au départ : d'abord l'hébergement à la montagne, ensuite l'Hôtel La Ferme à Baie-Saint-Paul, puis le train. La séquence a été inversée. Pour toutes sortes de raisons, notamment parce que des subventions pouvaient être accordées dans certains délais. Mais aussi parce que le problème d'aqueduc et d'égouts a pris un temps fou à régler, ce qu'aucun des partenaires du projet n'aurait imaginé.
«En 2008, nous étions prêts à commencer sur la montagne et, si j'avais pu intervenir, la situation ne serait pas la même aujourd'hui. Si j'avais su que le maillon faible était la question des infrastructures, j'aurais dès lors mis mes toutes mes énergies là-dessus pour régler le problème. Mais tout le monde au gouvernement, à la municipalité et chez nous pensait que c'était juste une question d'ingénierie, et on n'envisageait pas que ça devienne si compliqué.»
Les ministères des Affaires municipales et de l'Environnement avaient d'abord demandé au Massif de Charlevoix de planifier ses besoins sur cinq ans. Ensuite, ils ont demandé une planification sur 10 ans, puis sur 20 ans.
«Forcément, quand tu te projettes à plus long terme, tes besoins [d'infrastructures] grandissent ! Mais là, c'est réglé et on relance le projet», se réjouit M. Gauthier, qui se donne jusqu'en 2020 pour réaliser la majeure partie du projet immobilier.
Avec ou sans Club Med
Les infrastructures qui doivent être construites à partir du printemps prochain, maintenant qu'un protocole a été signé entre la municipalité et le Groupe Le Massif, seront suffisantes pour accueillir, à terme, près de 1 300 logements à Petite-Rivière-Saint-François.
La première phase prévoit un peu plus d'une centaine de condos au bas des pentes, ainsi qu'un hôtel.
«On essaie de réunir les conditions pour le Club Med et on planifie un hôtel de 300 chambres. Mais même sans Club Med, nous exploiterions de l'hôtellerie. Compte tenu du succès de l'Hôtel La Ferme à Baie Saint-Paul, on en ferait une forme d'extension, comme un sixième pavillon à Petite-Rivière-Saint-François.»
Daniel Gauthier garde toutefois confiance d'en arriver bientôt à une entente avec le Club Med, même si, là encore, tout est plus long que prévu. Évidemment, il n'était pas question pour les deux parties de signer une entente sans la construction du réseau d'aqueduc et d'égouts. «On est dans les études de faisabilité ; on a franchi plusieurs étapes. On espère pouvoir annoncer une entente dans les six prochains mois. On se donne jusqu'au printemps pour amorcer le chantier, et après, on prévoit 18 mois pour construire l'hôtel», précise M. Gauthier.
Le Massif travaille maintenant avec l'agence internationale Sotheby's pour vendre son offre d'hébergement, espérant attirer des investisseurs au Québec, mais aussi en Ontario, dans l'est des États-Unis et même en Europe. Il offrira aux futurs propriétaires de condos un service de location pour maximiser la rentabilité des investissements, ainsi que le nombre de skieurs sur les pentes.
Le dossier est dirigé par Jean-Pierre Miramont, qui a été responsable du développement immobilier dans les belles années de Mont-Tremblant. Ce dernier a convaincu l'équipe du Massif d'arrêter la construction des chalets-forêt au sommet de la montagne, pour d'abord construire la base, où seront concentrées les activités quatre saisons, donc la vie de la station.
Sous la pression de la performance, Le Massif avait amorcé il y a deux ans la partie du projet qui pouvait se réaliser sans les infrastructures, soit les chalets-forêt au sommet de la montagne et les maisons-fleuve au bord de l'eau, avec puits artésien et fosse septique.
«M. Miramont nous a convaincus de remettre ça dans l'ordre», souligne Daniel Gauthier.
Une fermeture dommageable
Pour rendre son offre d'hébergement plus attrayante et redonner satisfaction à sa clientèle, le Massif rouvrira l'hiver prochain son chalet de la base.
«L'impact de la fermeture a été plus négatif qu'on ne pensait sur le taux de satisfaction de la clientèle. On avait restreint les services, ne sachant pas combien de temps il faudrait pour relancer les projets immobiliers à la base [essentiels à la rentabilité]. Là, on peut se projeter dans le temps et supporter l'opération. Dans l'incertitude, l'an passé, on a cherché à économiser pour être certains de pouvoir faire tout le parcours qu'il restait à faire.»
Les deux dernières années ont été particulièrement ardues pour Daniel Gauthier ; il ne s'en cache pas. La pression la plus difficile à supporter, dit-il, est celle de se rapprocher du succès.
«Il y a eu selon moi des réactions parfois exagérées dans la population, mais c'est normal que les bailleurs de fonds, le gouvernement et les actionnaires posent plus de questions. Si j'étais un investisseur, j'en poserais autant, sinon plus. La pression vient de ce que le temps joue contre nous. C'était stressant, parce que nous n'étions pas en contrôle de tous les tenants et aboutissants, donc c'est devenu difficile avec le personnel. Le doute, ce n'est pas bon. Il faut être convaincu, mais il faut que ça avance pour garder ses convictions, garder le momentum et l'enthousiasme.»
Dans l'adversité, Daniel Gauthier voit néanmoins les aspects positifs : personne n'a quitté le bateau et les partenaires gardent confiance, même si la prévision du rendement du grand projet de 300 M$ est repoussée à 2017. En outre, l'équipe de gestion a appris à exercer un contrôle plus serré de ses dépenses. «Quand tu es en développement, tu mets beaucoup d'énergie sur cet aspect, et donc tu en mets moins pour rendre les opérations plus efficaces, plus rentables. Dans la dernière année, tout le monde a appris à gérer plus serré, et ça a réconforté le monde financier.»
La leçon la plus importante dans l'aventure ? Ne jamais rien tenir pour acquis, affirme Daniel Gauthier.