La métropole est bouleversée par une vague de chantiers, petits et grands, qui remodèlent son visage : construction de nombreux immeubles de bureaux, commerciaux et résidentiels, réfection et construction d'infrastructures majeures (rue Sainte-Catherine, échangeur Turcot, pont Champlain, etc.). Un dynamisme bien accueilli par les promoteurs.
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Toutefois, plusieurs experts et entrepreneurs, réunis lors d'une table ronde organisée par Les Affaires et le cabinet d'avocats Davies Ward Philips & Vineberg, craignent que nous soyons plongés dans une déferlante de programmes particuliers d'urbanisme (PPU), faute d'une grande vision concertée.
«Nous sommes plongés dans une mode "PPU"«, lance d'entrée de jeu Luc Fortin, vice-président, développement, de First Capital Realty.
«Il y a une prolifération d'annonces municipales», renchérit Cameron Charlebois, président de GPMC Montréal, une firme de service-conseil en immobilier. «Les annonces sont faciles à faire, mais la Ville a dépassé sa capacité de livrer», croit-il.
«Ils [la Ville] font de beaux plans, mais ils ne les réalisent pas, ou du moins, pas dans les délais prévus. Il y a des gens qui vont vivre dans des chantiers pendant 10 ans. Ne faites pas tout en même temps !» poursuit dans la même veine Stéphane Côté, président de DevMcGill, qui est derrière le projet de copropriétés Castelnau, près du parc Jarry, entre autres.
Précisons qu'un représentant de la Ville a été invité à participer à la table ronde et a décliné l'invitation. Nous avons joint des élus par la suite afin d'obtenir leurs points de vue.
«Montréal a les moyens de ses ambitions», répond Benoît Dorais, maire d'arrondissement du Sud-Ouest et chef de la deuxième opposition à l'hôtel de ville, en entrevue avec Les Affaires. «Mais on doit se doter des conditions gagnantes, précise-t-il. La planification, ce n'est pas juste un beau document de 50 pages avec de beaux dessins. Il faut livrer la marchandise.»
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Quand Sainte-Catherine soulève les passions
La capacité de remplir ses engagements. C'est justement ce qui inquiète la communauté d'affaires lorsqu'il est question des travaux majeurs qui attendent la rue Sainte-Catherine, un projet phare de la Ville. Les travaux sont estimés à 95 M$ pour une portion de 2,2 km entre De Bleury et Atwater. Échaudés par la saga du boulevard Saint-Laurent, promoteurs et autres experts se montrent pour le moins méfiants.
«Toutes les villes de classe mondiales ont un coeur commercial fort. Sainte-Catherine, ce n'est pas une rue, c'est une destination. Ce qui va se produire là sera déterminant», dit Claude Sirois, cochef de l'exploitation et vice-président exécutif, Québec, d'Ivanhoé Cambridge. Le bras immobilier de la Caisse de dépôt et placement du Québec est en train de construire la Maison Manuvie, un immeuble de bureaux de 27 étages situé sur le boulevard de Maisonneuve, au centre-ville.
«La critique est rapide», ajoute Jacques Vincent, coprésident du Groupe Prével, qui a réalisé le Lowney, l'Impérial, les Bassins du Havre et le Quai de la Commune. «Mais les travaux dans la rue Sainte-Catherine, ça m'inquiète. Avec ce qui s'est passé sur Saint-Laurent... La rue s'est vidée. Les commerçants ont besoin que l'argent rentre tous les jours. J'ai peur que l'on tue [l'activité commerciale sur] Sainte-Catherine.»
Des griefs bien connus par l'administration municipale. «Nous sommes parfaitement conscients des enjeux», soutient Richard Bergeron, conseiller de la Ville pour le district Saint-Jacques [Ville-Marie] et membre du comité exécutif responsable du centre-ville. «Mais nous n'avons pas le choix d'agir sur Sainte-Catherine ; les infrastructures sont finies.»
Faire moins, faire mieux
«Une ville n'a jamais assez d'ambition, souligne Michel Max Raynaud, directeur de l'Observatoire Ivanhoé Cambridge du développement urbain et immobilier à l'Université de Montréal. Mais nous sommes devant une liste d'épicerie, et non devant une vision globale.»
Alors que certains reprochent à la Ville son manque de vision, d'autres l'accusent d'en faire trop. «Ils veulent toucher à des choses sur lesquelles ils n'ont pas le contrôle, dit Claude Sirois. Occupez-vous de la propreté, de la sécurité, et laissez faire le reste.»
Même son de cloche de la part de M. Richard Hylands, président de Kevric. «Tout se ramasse au bureau du maire, et puis on attend... Il y a une limite à ce que le maire peut faire. Tu ne peux pas gérer une ville de cette taille-là comme ça !» lance-t-il.
«C'est normal qu'un promoteur arrive à Montréal et soit insatisfait, croit Richard Bergeron. On n'a pas la même liberté qu'à Brossard. Ici, on ne peut pas aligner des maisons à l'infini. Non seulement ça ne produira pas le type de développement qu'il nous faut, mais le projet ne fonctionnera pas.»
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Les petits royaumes
Cela dit, les élus joints par Les Affaires s'accordent sur le point suivant : il y a place à l'amélioration. «À Montréal, on a tendance à tout vérifier, tout contrôler, tout gérer, explique François Croteau, maire de l'arrondissement Rosemont-La Petite-Patrie. On est capable de réduire les délais de l'obtention de permis, par exemple.»
Parmi les doléances qui font consensus : la complexité administrative héritée de la vague de fusions-défusions, au tournant des années 2000, et les variantes dans les exigences quant aux promoteurs pour chaque arrondissement. Ironie du sort, c'est l'arrondissement de François Croteau, Rosemont-La Petite-Patrie, qui est la cible de toutes les attaques, de part et d'autre de la table.
«Quand la Ville s'est décentralisée, c'est devenu l'enfer. Il y a des gens compétents à certains endroits, mais dans d'autres, il y a des power trips épouvantables. Certains arrondissements sont devenus des royaumes», lance Anik Shooner, associée chez Menkès Shooner Dagenais LeTourneux Architectes, une firme qui a conçu YUL, deux tours d'habitation de 38 étages au centre-ville.
«À Rosemont, on ne sent pas qu'il y a une volonté politique [pour accueillir des projets immobiliers]», affirme Jacques Vincent, de Prével, qui résume bien la pensée des intervenants de la table ronde. «J'ai l'impression qu'il n'y a personne pour analyser les dossiers. Je ne suis même pas sûr qu'ils ont une volonté de s'organiser», ajoute-t-il.
Le maire de Rosemont-La Petite-Patrie réfute les conclusions des invités. «Ce n'est pas une question de manque d'effectifs, nous a expliqué François Croteau. Mais nous sommes en plein boom immobilier à Rosemont. Je comprends l'impatience des citoyens et des promoteurs. Il y a des délais inacceptables, et je veux qu'on travaille là-dessus», promet-il.
Toutefois, certaines critiques ne l'émeuvent pas outre mesure. «C'est certain que quelques promoteurs ne sont pas heureux. Le temps où les promoteurs influaient sur les décisions politiques est révolu. Et certains "dinosaures" refusent de s'adapter. Reste que la plupart d'entre eux travaillent très bien avec nous.»
«Je ne veux plus de projets "bombes atomiques" qui défigurent un quartier, ajoute-t-il. Nous avons une vision claire et détaillée dans notre plan d'urbanisme. Nous voulons du développement, mais durable. De la place pour les piétons, du verdissement, de l'originalité.»
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Des solutions pour les délais trop longs
«Obtenir des approbations, c'est long, c'est compliqué», dit Cameron Charlebois, président de GPMC Montréal. «Si tu frappes un mur à l'arrondissement, ça finit là», explique-t-il.
Ce à quoi Richard Hylands, président de Kevric, répond : «Le problème ici, c'est qu'il n'y a pas de conséquences quand il y a des délais. À Toronto, la Ville doit répondre dans un délai de six mois, sinon le promoteur peut aller devant l'Ontario Municipal Board pour obtenir son permis. Pour éviter de "geler" de gros projets, il faudrait des conséquences si personne ne tranche», plaide le promoteur.
La question des délais problématiques revient sans cesse autour de la table. Et pour la régler ou, du moins, améliorer une situation intenable aux yeux des promoteurs, l'arrondissement du Sud-Ouest a coupé la poire en deux. «Quand je suis arrivé en 2009, j'ai fait la tournée des grands promoteurs pour leur dire que les choses allaient changer, raconte le maire, Benoît Dorais. On s'est assuré que notre cadence puisse supporter le développement économique. On est passé d'une à deux séances de conseil d'arrondissement par mois.»
Mais les délais administratifs découlent parfois d'un simple calcul. «Si le projet n'est pas bon, ça se peut qu'on "l'étudie" pendant longtemps. Le "noyer" avec le temps», nous a révélé Richard Bergeron.
Autre solution, qui est d'ailleurs déjà en place dans l'arrondissement Ville-Marie : le guichet unique. «Un arrondissement où ça va très bien, alors qu'ailleurs, c'est très difficile», souligne l'architecte Anik Shooner.
Le guichet unique consiste en une petite équipe multidisciplinaire et d'un coordonnateur, qui agit à titre de «guide-accompagnateur» pour le promoteur dès le dépôt d'un projet. Une méthode qui «fonctionne très bien», croit M. Bergeron. Ce qui ne signifie pas qu'il faille implanter le concept dans les 19 arrondissements. Selon lui, «les arrondissements n'ont pas tous les mêmes besoins. Le développement est inégal en fonction des différents endroits».
Immobilier et urbanisme
Série 1 de 3. Comment garantir un développement urbain qui répond aux multiples besoins de la population ? Nous avons réuni promoteurs et autres experts du secteur pour réfléchir à la question.
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