En 2007, l’Église de scientologie de Montréal achète l’édifice La Patrie, qui appartient alors à l’UQAM, pour 4,25 M$. Situé en plein cœur du Quartier Latin, l’immeuble doit être transformé en «ideal org» [organisation idéale], un lieu de culte couplé à un centre de services ultra-moderne.
Mais près de huit ans plus tard, aucune rénovation n’a encore été entreprise. Et alors que l’Église dit récolter des fonds auprès de ses membres pour réaliser son projet, elle n’arrive pas à payer les taxes foncières, d’environ 125 000$ par année (pour 2015). Selon ce que Les Affaires et Métro ont appris, l’organisation a accumulé des retards de paiements pour près de 120 000$.
Pourtant, questionné au sujet de l’avenir de l’édifice, Jean Larivière, de la branche montréalaise de l’Église de scientologie, persiste et signe: «[Le projet] est toujours sur les rails et il soulève toujours l'enthousiasme de notre communauté religieuse. […] nous sommes en phase de faire des levées de fonds [sic] pour financer les rénovations.»
Échéances mouvantes
Quant à l’échéance prévue pour réaliser cette nouvelle église, M. Larivière ajoute qu'il n'y a «pas de date précise quant au début de travaux que nous aimerions commencer d'ici, ou au cours de l'an prochain [2016]».
Pourtant, en 2009, un quotidien citait le même homme, qui disait alors en être «encore aux étapes préliminaires et à la collecte de fonds». Le projet avait déjà été reporté de 2008 à 2009.
Puis, en 2010, selon un autre quotidien, les travaux ne sont toujours pas commencés. Ils sont alors reportés en 2011.
Aujourd’hui, en 2015, rien n’est fait. Seule une galerie d’art temporaire a occupé une partie des lieux. Mais selon la Ville, rien, aucun travail de rénovation n’a été accompli à l’intérieur.
Modus operandi erratique
Ainsi, pourquoi un groupe qui peine à payer ses taxes foncières et à réaliser les rénovations s’entête-t-il à acheter des biens immobiliers ?
«Certaines personnes assument que c’est un stratagème d’investissement immobilier, nous a expliqué le journaliste américain Tony Ortega, qui enquête sur cette Église depuis 1995. [Mais] certains experts me disent que ce ne sont pas de très bons investissements. Ce sont de vieux bâtiments qui nécessitent beaucoup d’entretien et de rénovations, et rien n’assure qu’ils pourront être revendus à profit.»
Selon M. Ortega, il s’agit plutôt d’une stratégie de relations publiques. «[Le leader de l’Église] croit que s’il ouvre ces bâtiments luxueux dans les centres-ville des plus grosses métropoles du monde, les gens vont penser que la scientologie prend de l’expansion, même si c’est le contraire.»
Le mystère plane
Le mystère plane
Bref, le mystère plane quant à l’avenir de l’édifice de 6 étages de Montréal. Des dépenses difficiles à justifier [taxes], un usage inconnu, un échéancier sans cesse repoussé. «Moi, ça ne me surprend pas que les Scientologues n’agissent pas de façon très logique avec cet édifice», lance Izhar Perlman, auteur du blogue «Idle Orgs», et scientologue indépendant, qui documente et répertorie le parc immobilier scientologue à travers le monde.
«[…] Ils extorquent de l’argent à leurs membres, et ils la dépensent en achetant de gros immeubles dispendieux.» Et quant à l’idée de demander des exemptions de taxes : «ça ne leur servirait à rien, croit-il. Leurs comptes bancaires sont remplis, et ils ne s’en servent pas».
Exemption
Pourtant, l’Église pourrait demander une exemption des ces taxes. Pour ce faire, il suffit de remplir un formulaire et de débourser 205$. Rien ne garantit que la demande serait acceptée. L'édifice doit d'abord être occupé et servir à l’exercice du culte.
Mais si le passé est garant de l’avenir, les probabilités d’un tel résultat semblent bonnes. Leurs locaux actuels, sur l’avenue Papineau (près du pont Jacques-Cartier), sont déjà exempts de taxes municipales. À Toronto, seule une partie des taxes municipales sont prélevées sur l’un de leurs édifices. Là aussi, l’immeuble, inoccupé, tombe en désuétude.
La machine à rumeurs
«Il n’est pas dans les habitudes du groupe [scientologues] de ne pas demander d’être reconnu comme Église», nous a expliqué Marie-Ève Garand, directrice générale du Centre d'écoute et d'interprétation des nouvelles recherches du croire, qui spécialise notamment dans l’étude des nouvelles religions. «Selon quelques sources, l’hypothèse la plus probable serait que le groupe voudrait rouvrir un centre de désintoxication Narconon dans la région, ou encore un bureau de la Commission des citoyens pour les droits de l’Homme (une organisation antipsychiatrique).»
Un parc immobilier impressionnant
Selon des informations rapportées par le magazine Fortune, les avoirs de cette organisation avoisineraient les 1,75G$ US. De cette somme, 1,5G$US serait investi dans un parc immobilier à travers le monde.
Et celui-ci est impressionnant. Seulement au Canada, l’Église détient des édifices à Toronto, Québec, Vancouver, Montréal et Winnipeg, entre autres. Et si à Québec une «ideal org» a déjà vu le jour, c’est la même histoire qu’à Montréal qui se répète ailleurs. À Toronto, leur immeuble, rue Yonge, serait évalué à – au moins – 4 M$, tandis qu’à Winnipeg, la valeur de leur immeuble frôlerait 900 000$. Et dans les deux cas, ils ne servent strictement à rien.