Le promoteur Paul Jarquin, de la firme REI France, a soumis six projets au chantier «Réinventer Paris», lancé en novembre 2014. Les 850 équipes soumissionnaires sont invitées à innover pour donner vie à 23 sites parisiens d'exception. L'équipe du constructeur Paul Jarquin, 31 ans, et de son complice, l'architecte Alain Renk, planche sur le premier immeuble wiki (wiki building). Un bâtiment inspiré de la philosophie collaborative.
Diane Bérard - Le 3 novembre dernier, la mairesse de Paris, Anne Hidalgo, a lancé le chantier «Réinventer Paris». De quoi s'agit-il ?
Paul Jarquin - «Réinventer Paris» est un vaste appel de projets urbains innovants. Le bureau de la mairesse a ciblé 23 sites qu'il souhaite métamorphoser. Ceux-ci sont répartis également entre le centre et la périphérie. Plus de 850 équipes ont répondu à l'appel.
D.B. - Quelle est la contribution de votre firme de construction, REI France ?
P.J. - REI France a monté une équipe avec l'architecte Alain Renk, de la firme Host. Nous avons présenté six projets.
D.B. - En quoi votre contribution diffère-t-elle de celle des autres équipes ?
P.J. - Notre équipe est la seule à proposer un wiki building [immeuble wiki]. Nous voulons le construire sur un terrain situé près de la Gare Masséna, à quelques mètres de la Grande Bibliothèque, dans le 13e arrondissement.
D.B. - Vous proposez un projet de wiki building. En quoi cela consiste-t-il ?
P.J. - Le wiki building s'inspire des principes de la philosophie wiki : la collaboration, la transparence et la transversalité des expertises. C'est la symbiose entre l'architecture et le pouvoir collaboratif du numérique. Nous conjuguons toutes les méthodes du numérique : agilité, réversibilité, conception itérative, etc. C'est une idée d'Alain Renk à laquelle j'ai tout de suite adhéré, car elle correspond à mes valeurs. Le numérique n'a pas encore investi le secteur de la construction ni l'architecture. Les architectes, par exemple, utilisent encore des logiciels de type AutoCAD. Il y a tant d'innovations à intégrer pour faire évoluer les techniques et l'écologie de la construction.
D.B. - Le wiki building est modulable et évolutif. Dites-nous-en plus...
P.J. - Le wiki building se dessine à chaque réunion. Et il se construira avec l'équipe aussi bien qu'avec les futurs occupants. Nous ne sommes pas dans l'innovation, nous sommes dans l'invention. Nous travaillons très en amont pour que le wiki building soit adapté aux besoins et aux expériences des habitants du lieu. Nous songeons à des balcons désolidarisés de la structure pour que leur usage puisse évoluer. Il s'agit en quelque sorte d'un immeuble vivant.
D.B. - Construire un wiki building rassemble une équipe plus diversifiée qu'un projet de construction traditionnel. Pouvez-vous l'illustrer ?
P.J. - En effet, parmi nos partenaires, nous comptons Orange, le fournisseur de services de télécoms. Sa division santé s'intéresse à la possibilité d'inclure des objets connectés pour permettre aux médecins de suivre en temps réel la santé des aînés qui résideraient dans le wiki building. Nous sommes aussi associés à Numa, des spécialistes des espaces de travail partagé. Et nous songeons à recruter un philosophe qui nous aidera à réfléchir sur la nouvelle relation entre les humains et l'habitat.
D.B. - À 31 ans, vous appartenez à une nouvelle génération de constructeurs. Que souhaitez-vous réinventer ?
P.J. - J'aspire à plus que créer de beaux logements. Je veux contribuer à la ville intelligente. Je souhaite m'inscrire dans les mouvements de société, comme l'économie du partage et la collaboration. Par exemple, je ne veux pas bâtir de stationnements traditionnels. Je veux équiper mes bâtiments de stationnements peuplés de voitures électriques en covoiturage. Et dès que les autos sans conducteur de Google seront disponibles, je les intégrerai.
D.B. - Vous voulez ajouter un volet social au secteur immobilier. Expliquez-nous.
P.J. - Nous travaillons présentement sur un projet d'immeuble qui remplit un besoin concret pour une clientèle qui dispose de peu de moyens. Ce projet peut apporter beaucoup au quartier qui l'accueillera. Nous proposons donc à la ville de nous vendre le terrain au rabais pour que ce projet voie le jour. De notre côté, nous réduirons nos marges, car le terrain nous coûte moins cher et que notre risque est minime, puisque nous avons déjà des occupants pour l'immeuble. Pour ce projet, nous innovons en développant un rapport avec notre métier qui va au-delà du rendement financier. C'est une logique de développement durable.
D.B. - Votre firme ne réalise que des constructions en bois, pourquoi ?
P.J. - Le bois est le matériau le plus écologique. Le bois emmagasine le dioxyde de carbone et émet de l'oxygène, alors que le béton rejette du dioxyde de carbone. Et puis le bois est bien plus isolant que le béton.
D.B. - Mais le bois, c'est plus cher que le béton...
P.J. - Tout comme, pour l'instant, les automobiles électriques sont plus chères que celles à essence. Mais, dans les deux cas, on gagne à faire la transition. C'est pourquoi Tesla persiste et fait ses preuves pour passer à une production plus importante et réduire ses coûts. Nous avons débuté avec deux immeubles, soit 20 logements. En 2015, nous en avons livré 100 et nous comptons en construire 150. Notre rythme s'accélère.
D.B. - Le bois brûle facilement, non ?
P.J. - Le bois est inflammable, certes, mais il met plus longtemps à brûler et son temps de combustion est prévisible. Le béton en feu peut craquer à n'importe quel moment. On ne sait jamais quand il causera l'effondrement de la structure de l'immeuble. C'est aussi le cas de l'acier. Aujourd'hui, lorsqu'un entrepôt contient des matières inflammables, on recommande qu'il soit construit en bois.
D.B. - En France comme au Québec, le secteur du bois pourrait certainement profiter d'un regain de la construction en bois...
P.J. - En France, le secteur du bois représente 450 000 emplois directs et indirects. Lorsque le gouvernement a créé la filière bois, il a donné comme premier objectif de promouvoir l'utilisation de ce matériau. Il est évident que les économies locales y gagneraient. Mais la planète aussi. Car le secteur de la construction est un grand consommateur d'énergie grise, soit l'énergie cachée générée par les activités industrielles. Lorsqu'un promoteur français achète du bois chinois transformé en Russie au lieu du bois local, il fait grimper son bilan d'énergie grise.
D.B. - Quelles sont les prochaines étapes du chantier «Réinventer Paris» ?
P.J. - À la fin de février, les équipes ont toutes eu accès au data room [salle d'information] pour connaître les informations spécifiques à chacun des sites. Le 11 mai, nous devrons remettre nos plans en mettant en avant l'aspect innovant de notre bâtiment. En juillet, le jury dévoilera les trois équipes retenues pour chacun des 23 sites. Et en décembre, un jury international révélera l'équipe lauréate pour chaque site. Chaque équipe pourra ensuite acheter le terrain et amorcer la construction.
D.B. - Et si votre projet de wiki building n'est pas retenu par le jury de «Réinventer Paris» ?
P.J. - J'aurai vécu une expérience de R-D extraordinaire ! Et puis nous le construirons peut-être malgré tout, à Paris ou ailleurs. Car le wiki building nous a valu des coups de fils de plusieurs villes. Elles en veulent un.