Serge Goulet veut générer 900 millions de dollars d'investissement grâce à son nouveau fonds immobilier privé. De Québec à Montréal en passant par Brossard, portrait d'un développeur capable de faire surgir des quartiers entiers, et coup d'oeil sur ses mégaprojets à venir.
Dans le bureau des ventes d'O'Nessy, son tout nouveau projet immobilier comprenant un mélange de copropriétés et de logements locatifs sur le boulevard René-Lévesque Ouest, Serge Goulet n'a pas, ne serait-ce que l'étincelle, d'un doute. Pour le président de Devimco Immobilier, il est parfaitement clair que son nouveau bébé de 175 millions de dollars, voisin du Centre canadien d'architecture, est appelé à se distinguer de la concurrence féroce qui sévit dans le centre-ville de Montréal. «Trois coups de pédale du Centre Bell et les acheteurs économisent 100 $ du pied carré. C'est incroyable !» lance-t-il en boutade. L'ouverture des ventes semble lui donner raison : 50 % des condos ont trouvé preneurs dès la première journée, le 11 octobre, indique l'entreprise.
La confiance de l'entrepreneur n'a rien de surprenant. Depuis plus de 25 ans, tout ce que touche M. Goulet se transforme en mégasuccès.
Retour en arrière. Né en 1963 à Saint-Joseph-de-Beauce, Serge Goulet fait ses débuts en immobilier, en 1988, dans la région de Québec, après des études en finances à l'Université Laval et à l'Université du Québec à Trois-Rivières. En 1998, il fonde Devimco avec Jean-François Breton - qui a quitté Devimco en 2013 pour fonder Carbonleo. Les deux hommes flairent la bonne affaire : la vague des power centers, qui déferle partout aux États-Unis, est sur le point d'atteindre le Québec. «On a pris possession des meilleurs terrains avant tout le monde», relate M. Goulet.
En quelques années, Devimco sature la Vieille Capitale de trois mégacentres. En 2006, l'entreprise déménage ses bureaux à Brossard, où les deux partenaires ont déjà entrepris la construction du Quartier Dix30. Cette fois-ci, Devimco renouvelle la formule. Sur d'anciennes terres agricoles pousse un centre commercial à ciel ouvert (lifestyle center) qui comprend restaurants, rue commerciale, hôtel et salle de spectacle. Malgré certaines critiques, le Dix30 connaît un énorme succès, attirant 22 millions de personnes par année. «Avec ce projet, Serge Goulet a démontré qu'il était un précurseur, transposant la formule américaine des centres commerciaux à ciel ouvert au Québec. Du coup, il a créé un centre-ville pour la Rive-Sud de Montréal, alors que Laval s'en cherche un depuis 30 ans», affirme Daniel Gill, professeur d'urbanisme à l'Université de Montréal.La crise le pousse vers le secteur résidentiel
Devimco met la main dans les années 2000 sur de grands lots dans Griffintown, un quartier montréalais adjacent au centre-ville, oublié de l'histoire. Là encore, ce Beauceron apparaît là où on ne l'attend pas. Si personne ne croit alors à la relance de ce quartier, lui s'inspire de la revitalisation du quartier Saint-Roch, à Québec. Cependant, son ambitieux projet se brise sur un écueil : la crise financière de 2008. «Elle nous a forcés à redéfinir notre projet», admet-il. Et elle transformera substantiellement Devimco. Spécialisé dans les centres commerciaux, Serge Goulet se lance soudainement dans le développement résidentiel, alors qu'il n'avait jamais bâti de maison avant 2010.
M. Goulet ne se contente pas de construire des tours de condos. Innovateur, il façonne des milieux de vie dans des projets intégrés, comprenant restaurants, épiceries, banques et locaux pour bureaux. Toutefois, bâtir des immeubles à usage mixte se révèle complexe. «Peu de gens osent le faire, mais cela me procure un net avantage : la concurrence y est bien moindre», dit l'homme d'affaires qui emploie une soixantaine de personnes.
Pierre Pelletier, vice-président investissement immobilier chez Centria, qui travaille avec Serge Goulet depuis six ans, explique le succès de l'homme par sa capacité à s'entourer de gens compétents, son sixième sens pour prévoir les tendances, et par ses talents de négociateur. «Après une discussion enflammée, on continue à avancer et on cherche une solution. Il n'est pas du genre rancunier, un énorme atout», explique M. Pelletier.
Et il a de la conviction. Pour Serge Goulet, le projet de District Griffin, inspiré de l'aménagement axé sur le transport en commun (transit-oriented development ou TOD) qui a cours aux États-Unis, représente la voie de l'avenir en immobilier.
«Si on veut densifier la ville pour contrer l'étalement urbain, on n'a pas le choix», dit-il. À Griffintown, sur chaque pied carré au sol, on bâtit 9 pi2 de bâtiment !Argent frais pour le secteur locatif
Alors que les grues s'activent plus que jamais dans le sud-ouest de Montréal, Serge Goulet a annoncé, au début d'octobre, la finalisation d'une première ronde d'investissement de 70 M$ pour sa filiale Devimco Investissement, avec la participation du Fonds d'investissement immobilier Centria. Deux autres rondes d'investissement du même ordre seront effectuées sous peu. Chaque tranche de 70 M $ générera 300 M $ d'investissement, prévoit l'entrepreneur.
Que va-t-il faire de cet argent ? Alors que depuis 30 ans, rares sont ceux qui construisent des immeubles locatifs, à l'exception de résidences pour aînés, Serge Goulet veut bâtir 2 000 logements locatifs, en ville et en banlieue, dans un horizon de cinq ans. Ce parc immobilier sera ensuite offert aux investisseurs institutionnels qui recherchent, depuis la débâcle de 2008, des placements sécuritaires. «À terme, notre portefeuille de 2 000 portes vaudra beaucoup plus cher que quatre immeubles de 500 portes», soutient-il.
En plus du résidentiel, Devimco Investissement reluque toute propriété attrayante, peu importe où elle se situe au Québec. «Puisque les bonnes propriétés sur le marché n'existent plus, on les bâtira nous-mêmes pour créer de la valeur», dit-il. Deux projets ont déjà été annoncés : la construction d'un nouveau centre commercial à La Prairie et le complexe résidentiel O'Nessy, dans le centre-ville de Montréal. «Pour réussir aujourd'hui, il faut sortir des sentiers battus», conclut-il.Devimco en bref
> 1998 Fondation de Devimco
> 2004 Début de la construction du Quartier Dix30
> 2006 Déménagement du siège social de Devimco, de Québec à Brossard
> 2010 Début des travaux dans Griffintown
> 2013 Séparation des deux partenaires de Devimco. Jean-François Breton devient président de Carbonleo. Serge Goulet conserve le nom de Devimco et s'associe à l'avocat Mathieu Jobin.
> 2014 Lancement d'O'Nessy, premier projet montréalais de Devimco Immobilier en dehors de Griffintown
Projets en cours
> Griffintown (Montréal)
Construction de bâtiments à usage mixte sur une période de 7 à 8 ans. À terme, on y trouvera 1 700 portes et 600 000 pi2 de superficie commerciale. Investissement de 850 M$.
> Centre-ville de Montréal
Construction du complexe O'Nessy, comprenant 250 condos et 295 logements locatifs. Investissement de 175 M$.
> La Prairie (Rive-Sud de Montréal)
Construction d'un centre commercial de 210 000 pi2 de superficie locative, à l'angle de l'autoroute 30 et du chemin Saint-Louis. Investissement de 44 M$.