La hauteur et l'ampleur du projet Le Phare ne laissent personne indifférent ; la tour de 65 étages à l'entrée des ponts, à Québec, annoncée début février, fait couler beaucoup d'encre et alimente les conversations. Ce colosse de 600 millions de dollars n'est pourtant pas le seul projet d'envergure du Groupe Dallaire, qui construira à Québec des structures comme on n'en a jamais vu dans l'histoire de la province.
Dans un horizon d'un an, le propriétaire foncier le plus important de la région de Québec devrait amorcer la construction d'un immense développement immobilier dans le quartier Chauveau : 27 millions de pieds carrés, 6 000 unités d'habitation et trois millions de pi² d'espaces commerciaux et industriels légers.
«Ce n'était jamais arrivé dans l'histoire du Québec qu'un promoteur privé développe un territoire aussi vaste. Nous devrons nous-mêmes installer des écoles élémentaires, un centre communautaire. De 15 000 à 18 000 habitants viendront y vivre», précise Michel Dallaire, président de Groupe Dallaire et président et chef de la direction de Cominar, qui entrevoit que la construction du quartier au complet se fera sur un horizon de 12 à 15 ans.
Sur la rive sud de Québec, à la tête des ponts, Groupe Dallaire fera pousser un quartier encore plus vaste de 45 millions de pi², sur un ancien terrain d'Irving acheté il y a une dizaine d'années.
«Je dis souvent à mes employés que si on construit sur 25 ans, c'est impossible que ça ne prenne qu'un an à planifier», dit l'homme qui a appris de son père Jules la patience, la vision, l'audace et la prudence.
Au total, Groupe Dallaire détient 160 millions de pi² à développer dans la région métropolitaine de Québec pour des projets résidentiels, commerciaux et industriels. «J'en ai pour les 30 prochaines années et plus. Il y a des terrains que mon père a achetés, et j'en ai acheté aussi pour que ceux qui nous suivront puissent continuer», raconte Michel Dallaire, qui considère avoir diminué son risque en achetant aux quatre coins de la ville, visant des clientèles diverses.
Aux projets en planification, il faut ajouter Le Faubourg du Moulin, à Beauport, en construction depuis une dizaine d'années. Deux mille unités d'habitation avec l'intégration d'une garderie et d'une résidence pour personnes âgées, de manière à favoriser une mixité sociale.
«On a refait le concept il y a cinq ans, avec une approche qui intégrait le développement durable et les énergies renouvelables. On a créé des milieux de vie. On a décidé d'arrêter de construire des immeubles entourés d'immenses parcs de stationnement, donc 70 % des stationnements sont aménagés sous terre», explique l'homme d'affaires de 53 ans, ingénieur de formation, qui affirme être constamment à la recherche de nouvelles façons de faire. D'ailleurs, en 1990, alors que personne ne parlait encore de gestion énergétique, il formait une équipe d'ingénieurs pour réduire la charge immobilière la plus importante après les taxes foncières.
Redonner, une nécessité
Sa grande innovation, outre l'idée de bâtir à Québec la plus haute tour à l'est de Toronto, a un but philanthropique. En décembre dernier, M. Dallaire annonçait un autre grand projet, celui de construire sur des terres qui appartenaient anciennement aux Soeurs de la Charité un quartier entier au profit des organismes communautaires. Il prévoit bâtir 6 500 unités d'habitation pour accueillir jusqu'à 20 000 citoyens. Tous les bénéfices des ventes seront versés à la Fondation Jules-Dallaire et à la Fondation des Soeurs de la Charité.
«En 15 ans, 150 M$ de bénéfices seront transférés aux fondations. En les capitalisant et en distribuant les revenus annuels, on bâtit un autre Centraide à Québec», anticipe M. Dallaire.
L'homme d'affaires travaille avec plusieurs organisations caritatives, préside des campagnes de financement et fait du bénévolat depuis 20 ans au centre communautaire catholique Patro Roc-Amadour. À force de côtoyer des gens démunis, des enfants handicapés ou de jeunes toxicomanes, le père de trois enfants devient chaque jour plus conscient de l'importance qu'il y a à redonner. «J'essaie de redonner, parce que je considère que j'ai une dette envers la vie. J'ai beaucoup de chance. Ça fait partie des valeurs familiales aussi», dit-il.
«Je pense avoir une assez bonne connaissance de l'immobilier pour concevoir un projet à des fins caritatives et j'espère que d'autres hommes d'affaires dans d'autres secteurs emboîteront le pas. Je pense qu'on a un devoir de profitabilité à l'égard de nos actionnaires, mais je pense qu'on peut aussi utiliser nos talents et les mettre au service de ceux qui ont moins de chance dans la vie.»
Malgré toutes ses bonnes intentions, Michel Dallaire trouve de l'opposition à son projet, qui condamnerait des terres agricoles. Le voilà confronté à un choix, entre l'aide aux gens dans le besoin et la survie de l'agriculture urbaine, défendue notamment par l'UPA.
«Honnêtement, je ne l'avais jamais vu venir, cette volonté de protection. Quand la Communauté métropolitaine de Québec [CMQ] a refait son plan directeur, il y a eu des consultations. Où étaient ces gens-là ? Nous, on a pris le schéma de la CMQ, et ces terres sont définies comme des "zones agricoles à réintroduire dans le périmètre urbain" pour faire du développement. Alors on a démarré le projet sur cette base. Je ne sais pas comment réagir.» À l'heure actuelle, cette définition de zonage demeure.
Un appui de la population
L'entrepreneur paraît moins troublé par les critiques sur Le Phare, venues de l'École d'architecture de l'Université Laval, de professeurs et d'étudiants en architecture. Trop haut, trop gros, accentuera les vents dans un climat déjà très froid, disent-ils.
«Je ne peux pas comprendre comment quelqu'un peut aujourd'hui parler de ce que fera le vent sur la place publique, alors qu'il n'a pas les plans entre les mains ! Contrairement à ce que certains disent, nous sommes des professionnels et nous savons faire les choses. Nous n'investirions pas des millions de dollars dans une place publique pour créer un environnement inutilisable», réagit M. Dallaire, ajoutant que le projet présenté constitue une vision, et non un plan de construction définitif.
Avant de dessiner des plans, il attend le feu vert de la ville de Québec, car pour réaliser Le Phare, il faudra obtenir un changement de zonage dans un secteur où la hauteur maximale avait été fixée à 29 étages. M. Dallaire semble confiant ; la population le soutient. Un sondage paru dans Le Journal de Québec a montré que 72 % des gens appuient le projet, et que 80 % en aiment l'architecture. Mais s'il le faut, il se montre ouvert à des ajustements.
Il l'a fait de lui-même dans le cas du Complexe Jules-Dallaire, situé tout près, sur le boulevard Laurier, et achevé en 2013.
«De retour d'un voyage à Chicago en 2005, j'avais dit à mes employés de jeter les plans à la poubelle et de recommencer. J'avais découvert là-bas une autre façon de faire : un immeuble mixte. Dans ce complexe, on a 15 étages résidentiels au-dessus de 15 étages de bureaux. Il n'y a pas de mixité de cette envergure à Québec, et on ne pensait pas à ça en 2004 quand on a commencé. Alors oui, on évolue», affirme celui qui prévoit une mixité encore plus importante dans Le Phare.
Le complexe de quatre tours, qu'il veut commencer à bâtir en 2016 sur un horizon de 10 ans, comprendra un hôtel de 300 chambres, mille unités de logement (condos et appartements), 270 000 pi² d'espaces commerciaux et de bureaux, ainsi qu'un observatoire au sommet et un parc public à la base, avec fontaines l'été et patinoire l'hiver.
«Dans nos plans, on avait ces espaces de parc au-dessus d'un basilaire pour les résidents des tours, mais la ville nous a demandé qu'ils soient ouverts au public. On a trouvé que ça avait bien de l'allure, et c'est là que j'ai pensé au Rockefeller Center de New York, à l'idée d'animer la place à l'année. On le fait à l'échelle de Québec, on est loin du Rockefeller Center, mais on peut se connecter sur les milieux qui nous entourent», croit celui qui veut aussi faire profiter les citoyens et les touristes de la belle vue au sommet.
À ceux qui lui reprochent de construire trop gros et de freiner pour un bon moment d'autres projets potentiels dans le secteur, Michel Dallaire réplique que Le Phare est un petit projet à l'échelle des besoins futurs d'une ville en croissance, où il se construit 4 000 unités de logement par an depuis une quinzaine d'années.
«On va construire là 1 000 unités d'habitation sur 10 ans. C'est 100 par an, un quarantième de la demande. Et s'il y a une place où on doit construire des bureaux, c'est bien au centre-ville !»
Acteur de la congestion routière, Le Phare ? Michel Dallaire affirme qu'au contraire, attirer des gens en ville, près des lieux de travail, dans un axe où le transport en commun est bien implanté, est la voie de l'avenir. Mais il aurait souhaité un tramway pour Québec dans le plan de mobilité durable présenté au début de mars par le maire Régis Labeaume.
«La préoccupation du transport en commun est importante et on est en retard à Québec. Si on veut demeurer une ville agréable, il faut s'occuper de ça rapidement, considère le coprésident de Québec 2050, colloque sur l'avenir immobilier de la ville. Mais je comprends les enjeux budgétaires et je suis content qu'on ait au moins opté pour une solution qui est un pas dans la direction du tramway, grâce au service rapide par bus [des autobus articulés qui circulent sur une plateforme installée au centre de la chaussée sur 38 km, et qui pourrait accueillir plus tard un tramway].»
Michel Dallaire se réjouit du fait que Québec a choisi de développer l'ouest de son territoire, car il tient à la préservation du patrimoine du Vieux-Québec. Quant à sa propre empreinte sur la ville, il dit qu'il ne s'est jamais arrêté à ce qu'on en retiendra, mais qu'il obéit à sa passion de construire et de créer des milieux de vie agréables.
250 mètres: La hauteur du Phare, à Québec, sera de 250 mètres, soit 50 mètres de plus que le 1 000 de la Gauchetière, au centre-ville de Montréal. Source : Groupe Dallaire
Profil du Groupe Dallaire
Activités: Développement immobilier
Siège social: Québec
Fondation: 1960
Groupe Dallaire est une entreprise immobilière verticalement intégrée. Elle compte plusieurs filiales : Dalcon construction, Alpha Architecture et MLM Signature (aménagement de cuisines et de salles de bain). À Québec, Groupe Dallaire est régulièrement partenaire du Fonds de placement immobilier Cominar, dont le statut fiscal n’autorise comme seuls revenus que ceux des loyers. La famille Dallaire possède 7 % des parts de Cominar, qui détient 45 millions de pieds carrés d’espaces locatifs au Canada.