Série 3 de 3 - L'immobilier fait face à d'importants enjeux dans la métropole. Voici notre deuxième série consacrée à ce secteur stratégique.
Montréal jouit d'une réputation de ville de design dans le monde. L'UNESCO lui a d'ailleurs attribué ce statut en juin 2006. Pourtant, en matière de développement immobilier, son bulletin est loin d'être reluisant.
La métropole manque de cohérence et de vision en matière de développement urbain, s'entendent à dire les spécialistes interrogés. «À Montréal, on bricole depuis des années. Comme on a toujours bricolé ailleurs au Québec», soutient Gérard Beaudet, professeur titulaire de l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal.
Bien sûr, précise-t-il, il y a de bons coups. Le développement du Quartier des spectacles constitue à ses yeux une réussite. «Mais c'est un projet ad hoc. On ne sent pas d'approche intégrée à Montréal», insiste Gérard Beaudet.
Selon lui, l'urbanisme n'a jamais été la priorité des élus, ni des citoyens d'ailleurs. «En fait, le vrai problème vient d'en haut. Le gouvernement provincial émet des directives qu'il n'applique pas.» Il cite en exemple les subventions provinciales offertes pour revitaliser le centre-ville de Montréal. «En même temps, le réseau de la Société des alcools du Québec, une société d'État, continue de multiplier l'ouverture de succursales dans les banlieues afin de rendre ses commerces plus accessibles aux consommateurs en voiture», rapporte l'universitaire.
Christian Savard, directeur général de l'organisme Vivre en Ville, qui vise à privilégier des milieux de vie favorables à la santé et à la qualité de vie des résidents, s'inquiète lui aussi du manque de cohérence que présente le développement urbain de Montréal.
Manque de milieux de vie pour les familles
«Oui, il y a beaucoup de grues en action. Mais elles servent essentiellement à construire des tours spectaculaires. On a l'impression que Montréal ne se développe qu'en tenant compte des jeunes couples sans enfant et des baby-boomers qui veulent revenir en ville. On oublie de construire des milieux de vie pour les familles», soulève Christian Savard.
Il fait remarquer que le projet Griffintown, qui prévoit la construction de 8 000 logements dans le sud-ouest de la métropole, ne comprend toujours pas d'école dans ses plans de développement.
«Ce n'est pas qu'on oublie de créer des milieux de vie : on les exclut», soutient Danielle Pilette, professeure associée au Département d'études urbaines et touristiques de l'École des sciences de la gestion de l'UQAM. La valeur des terrains est devenue tellement élevée dans les quartiers centraux que les promoteurs n'ont pas avantage à prévoir de l'immobilier public, tels des écoles, des parcs ou des installations sportives. «Les promoteurs préfèrent construire près des écoles qui existent déjà», précise Mme Pilette.
Aux yeux de cette universitaire, Montréal privilégie la construction résidentielle et de bureaux, et délaisse les services et les commerces de proximité. Même le centre-ville, constate-t-elle, n'est plus une garantie de prestige pour de nombreux commerces. Ils préfèrent souvent s'établir dans les centres commerciaux en banlieue.
«Pourtant, une ville, c'est comme une forêt. Elle a besoin d'une biodiversité pour être en santé», soutient Christian Savard.
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La gouvernance et les taxes d'abord
L'administration du maire Denis Coderre est consciente du chemin à parcourir. Mais elle dit privilégier une approche par étape. «On a commencé par régler nos problèmes d'intégrité et par réduire le fardeau fiscal. Ces deux initiatives ont pour but ultime de nous faire réaliser des économies de plus de 250 millions de dollars, et ce, afin d'améliorer les infrastructures de Montréal», indique Pierre Desrochers, président du comité exécutif à la Ville de Montréal.
Il admet que le développement de projets résidentiels doit s'ajuster davantage aux réalités d'aujourd'hui. «Les futurs projets résidentiels dans le secteur Namur-Jean-Talon, sur le site de l'ancien hippodrome, devront prévoir des écoles dans leurs plans de développement. Un élément essentiel pour conserver les familles en ville», assure-t-il.
Mais, pour redevenir cohérente en matière de développement urbain, la Ville de Montréal devra bénéficier d'un réel statut de métropole, estime-t-il. Un statut que la Ville sollicite auprès du gouvernement provincial. Montréal, insiste Pierre Desrochers, a besoin de plus d'autonomie et d'une meilleure gestion de son immigration pour assurer l'intégration des nouveaux arrivants. Elle doit aussi être maîtresse du développement de son transport en commun et bénéficier de meilleures sources de financement. Pour le moment, les revenus municipaux reposent essentiellement sur les taxes foncières.
Selon l'urbaniste Gérard Beaudet, ce modèle de financement nuit à la cohérence et à une meilleure vision du développement urbain. «En ne reposant que sur les taxes foncières pour leur financement, plusieurs municipalités, y compris Montréal, sont tentées d'accepter n'importe quel type de projet. On doit changer cette façon de faire.»
Des cours d'école sur les toits
Depuis 2006, la ville compose avec un baby-boom qui n'est pas sans causer des maux de tête aux commissions scolaires de l'île, responsables de la gestion des immeubles. Particulièrement dans les écoles primaires. «On prévoit accueillir un millier de nouveaux élèves par an au cours des dix prochaines années», indique Catherine Harel-Bourdon, présidente de la Commission scolaire de Montréal (CSDM). Pour pallier la situation, la CSDM procède à plusieurs travaux d'agrandissement, principalement dans les quartiers NDG, Ahuntsic et Parc- Extension. Déjà cette année, quatre projets d'agrandissement ont été réalisés. Une vingtaine d'autres sont prévus d'ici les quatre prochaines années dans le réseau scolaire montréalais.
Mais ça ne suffit pas. Catherine Harel-Bourdon souhaite que la planification d'écoles intervienne dans les prochains projets immobiliers majeurs avant la première pelletée de terre. «On interpelle actuellement le maire Coderre pour qu'il remédie à cette situation. On tente de démontrer qu'une école ne sert pas qu'à l'enseignement scolaire. Elle sert également à la pratique de sports et de loisirs, le soir et les week-ends.»
Catherine Harel-Bourdon concède que la configuration des écoles traditionnelles devra s'adapter aux nouvelles réalités immobilières urbaines. «On ne peut plus construire des écoles sur de grands terrains, comme on en construit dans les banlieues et en région. Le ministère de l'Éducation, qui impose les mêmes règles à tout le monde, devra faire preuve d'ouverture», indique-t-elle.
Les plans de l'école du 21e siècle ne sont pas encore dessinés. N'empêche que Catherine Harel-Bourdon imagine déjà pour Montréal des écoles en hauteur avec des ascenseurs, des sorties de secours et des cours d'école sur les toits, soit des écoles comme on en voit déjà à Tokyo ou à New York.
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