Une semaine après un jugement confirmant la saisie de ses biens, Georges Marciano s’est départi pour la première fois de certaines de ses 18 propriétés patrimoniales du Vieux-Montréal. La vente des 422, 424 et 428, Place Jacques-Cartier, a pris ses propres avocats par surprise, et la cause promet de faire jurisprudence.
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Informé de la transaction par Les Affaires, l’avocat des créanciers, Bernard Boucher, dit vouloir prendre «les recours appropriés» dans les prochains jours pour éviter que le fondateur de Guess Jeans ou l’une de ses compagnies associées ne vende d’autres propriétés. Ses clients, d’anciens employés de Georges Marciano, ont un jugement de 64 M$ US contre l’ex magnat du jean délavé. Ils l’ont mis en faillite aux États-Unis et ont fait nommer un séquestre pour administrer ses biens au Québec.
Bernard Boucher veut aussi récupérer le produit de la vente des trois copropriétés, soit 1,4 M$. «En principe, on a le droit de saisir les comptes des entreprises» liées à Georges Marciano, dit l’avocat du cabinet Blakes, chargé de faire appliquer sa faillite californienne au Québec.
En septembre 2011, la Cour supérieure a désigné le séquestre PricewaterhouseCoopers comme responsable du dossier. La firme a alors saisi les biens de l’homme d’affaires, mais un juge a invalidé l’opération deux mois plus tard.
Le 23 octobre dernier, la Cour d’appel a réordonné la saisie. PWC conserve donc les luxueuses collections de l’homme d’affaires, dont un diamant de 16 M$, 700 peintures et 375 montres, 10 Ferrari et deux Rolls-Royce. Mais le magistrat a jugé inutile de faire saisir ses immeubles : la reconnaissance de la faillite américaine suffit, selon lui.
Seulement voilà : PWC n’a pas publié ses droits sur les édifices dans le registre foncier. C’est ce qui a permis à une compagnie à numéros de Georges Marciano de vendre les 422, 424 et 428, Place Jacques-Cartier. Rien n’empêchait le notaire de signer l’acte. « Il aurait fallu qu’on s’enregistre comme séquestre », admet Christian Bourque, responsable du dossier chez PWC.
Le nouveau propriétaire, Antony Antonopoulos, veut construire une extension de son hôtel dans les condos. Il était certain de pouvoir les acquérir. «Je savais que Georges Marciano avait des problèmes, mais le notaire a vérifié tout ça, et il a dit que c’est correct…»
«Tout-à-fait légal»
«Tout-à-fait légal»
Georges Marciano, ses sociétés et sa fiducie ont mis pas moins de quatre cabinets d’avocats à contribution pour les défendre. Chez Stikeman Elliott, Jean Fortin travaille pour la compagnie à numéros 9211-9882 Québec inc., qui a vendu les copropriétés de la Place Jacques-Cartier. Lui aussi ignorait tout de cette transaction. Mais après vérifications, il assure qu’elle est tout-à-fait légale, puisque la Cour d’appel a prononcé une mainlevée sur les immeubles en question
Et de toute façon, le fruit de sa vente reste dans les comptes de l’entreprise, insiste Jean Fortin. «L’argent ne s’en va nulle part !» dit-il.
En fait, le jugement de la Cour d’appel contient des zones grises, selon Jacques Deslauriers, spécialiste en faillite et insolvabilité à l’Université Laval. «Légalement, avec la mainlevée, le propriétaire des immeubles recouvre le droit de les vendre, dit-il. Mais s’il est en faillite étrangère, en vertu de la loi, il ne peut pas disposer de ses biens hors du cours ordinaire des affaires.»
Comme la compagnie 9211-9882 fait dans la gestion d’immeubles, son avocat plaidera qu’il est normal pour elle de vendre des édifices. Depuis leur acquisition en février 2009, la compagnie a réalisé un profit de 40 % sur les 422, 424 et 428, Place Jacques-Cartier.
D’un autre côté, le jugement confirme la garantie de premier rang de PWC sur tous les biens de Georges Marciano, ses compagnies à numéros et sa Fiducie familiale CKSM, ce qui inclut les immeubles
Ancien courtier chez Cushman Wakefield, Michel Bensmihen a déniché pour le fondateur de Guess Jeans ses immeubles du Vieux-Montréal et est aujourd’hui administrateur du bien d’autrui de la Fiducie famille CKSM. «Appelez nos avocats», a-t-il dit avant de raccrocher lorsque Les Affaires l’a joint au téléphone.
Nous avons également tenté de parler à Georges Marciano, sans succès. Sa boîte vocale est pleine depuis des mois.