Compressions des 300 M $, CLD menacés, CRÉ abolies, carrefours jeunesse-emploi fragilisés, réseau de la santé centralisé : les régions du Québec se sentent abandonnées par le gouvernement libéral. Aux mesures d'austérité qui leur sont imposées, elles réagissent par la mobilisation. Si la prospérité de Montréal est nécessaire pour la santé de la province, les régions font valoir que la leur l'est aussi : 370 000 emplois dans les villes dépendent de l'activité économique régionale, selon Solidarité rurale du Québec.
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«C'est une attaque sauvage !» s'exclame le préfet de la MRC de La Haute-Gaspésie, Allen Cormier.
«Il y a une incompréhension totale du territoire», ajoute Micheline Anctil, préfète de la MRC de La Haute-Côte-Nord et présidente de la Conférence régionale des élus (CRÉ) de la Côte-Nord.
«C'est un dépouillement des communautés rurales sur l'organisation de leur milieu de vie», déplore la présidente de Solidarité rurale du Québec (SRQ), Claire Bolduc, dont l'organisme perd 75 % de son budget.
Il y a longtemps qu'on n'avait entendu une telle grogne en région. La signature du pacte fiscal transitoire, le 5 novembre, a mis le feu aux poudres. Même l'association du Parti libéral du comté de Gaspé reproche au gouvernement Couillard de bafouer les valeurs libérales. Et plusieurs chambres de commerce dénoncent le sort réservé aux CRÉ et aux centres locaux de développement (CLD).
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«Ce qu'on vient de signer, ce n'était pas une négociation. On a été placé devant le fait que le gouvernement exigeait 300 millions de dollars de compressions, abolissait les CRÉ et coupait dans les CLD», explique Éric Forest, maire de Rimouski et président d'office de l'Union des municipalités du Québec (UMQ).
«On aurait pu partir en guerre et ne pas avoir de garanties, mais on a choisi la voie pragmatique en s'assurant de protéger l'avenir, pour qu'il n'y ait pas d'autres coupures. Et on a protégé les fonds dédiés au développement régional, les pactes ruraux, la péréquation», poursuit Suzanne Roy, mairesse de Sainte-Julie et nouvelle présidente de l'UMQ.
«On a gagné 50 M $ pour la réfection de la voirie locale dans les petites municipalités et obtenu l'engagement qu'il n'y aurait pas de compressions du côté du ministère des Transports. On a essayé de limiter les dégâts», ajoute Richard Lehoux, président de la Fédération québécoise des municipalités (FQM).
Le pacte fiscal transitoire pour 2015 a donc été signé à contrecoeur, sans véritable consultation préalable du milieu, et avant même que la commission parlementaire sur la révision des programmes, mandatée en juin, n'ait formulé de recommandations publiques sur les manières de réduire les dépenses gouvernementales.
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«On ne connaît pas les conclusions et on fait des coupes. Il y a un peu d'incohérence. On [le gouvernement Couillard] a demandé à être orienté et on nous a dit : on n'a pas besoin de vos lumières, on sait déjà quoi faire», constate Jean Dubé, professeur à l'École supérieure d'aménagement du territoire et de développement régional de l'Université Laval.
L'idée de confier aux MRC la responsabilité du développement économique reçoit des appuis, car elle respecte l'autonomie des régions. Ce qui est surtout décrié, c'est l'amputation de 55 % du budget autrefois alloué aux CLD. De 72 M $, celui-ci fond à 32 M $.
«Ça signifie un abandon des régions. On ne croit plus à la nécessité d'avoir des régions occupées et fortes pour définir et assurer l'avenir du Québec. C'est un recul historique majeur qu'on fait, uniquement pour poursuivre la quête de l'équilibre budgétaire, sans penser aux conséquences, sans penser à la vision que les gouvernements antérieurs ont voulu promouvoir», déplore Bernard Vachon, professeur retraité du Département de géographie de l'UQAM, spécialiste du développement territorial.
«C'est gravissime !» s'exclame Benoit Trépanier, directeur de Graffici, journal Web gaspésien, qui a lancé à titre de citoyen un mouvement de mobilisation en Gaspésie. Des rassemblements sont organisés à Carleton-sur-Mer, à Gaspé et en Haute-Gaspésie ces jours-ci dans l'espoir de renverser la vapeur.
Solidarité rurale, à qui le gouvernement vient de retirer le mandat d'instance-conseil, emboîte le pas et invite à la mobilisation des régions. Elle rappelle que 25 % de la population québécoise habite en milieu rural et crée 30 % du PIB provincial. «Il n'y a pas une multitude de structures dans les milieux ruraux, s'indigne Claire Bolduc. Il y a les CRÉ et les CLD. Et comment faire un Québec prospère si on prive les milieux ruraux des outils pour se développer ?»
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Regroupement de structures
Dans les grandes villes, d'autres organismes peuvent prendre le relais du développement économique. Le maire Régis Labeaume, favorable à l'abolition du CLD de Québec, a déjà évoqué l'idée que Québec International s'approprie le mandat. Dans les villes de taille moyenne, comme Rimouski, on cherche des solutions. Le maire Éric Forest a demandé aux directeurs de la MRC de Rimouski-Neigette, de la Société de promotion économique de Rimouski et du CLD de réfléchir ensemble.
«Je veux qu'ils pensent à l'outil de développement qui serait le plus efficace pour accompagner les entrepreneurs, penser notre développement économique et celui des petites communautés de la MRC qui ont besoin d'aide pour sauver leur station-service ou leur dépanneur», explique Éric Forest, anticipant un regroupement de structures.
La MRC de La Côte-de-Beaupré a été la première du Québec à annoncer la sauvegarde de son CLD. Mais le préfet Jean-Luc Fortin cherche toujours la façon de boucler le budget, avec une compression de 160 000 $. Son CLD, qui a contribué à créer ou maintenir 75 emplois l'an dernier, en plus de gérer le transport collectif et un fonds de microcrédit dans la région, a aboli un de ses neuf emplois et rationalisé ses opérations pour un effort de 100 000 $. M. Fortin cherche à créer des alliances avec ses proches voisines de Charlevoix et de l'île d'Orléans pour économiser encore en partageant certains services.
«C'est capital pour nous de garder notre CLD. On a perdu 400 emplois avec la fermeture de la papeterie de Beaupré [en 2009] ; on a eu des coups durs. On veut soutenir l'entrepreneuriat, et notre milieu était unanime : le CLD doit rester en vie. C'est là que les entrepreneurs vont chercher de l'aide, de la formation et du microcrédit. C'est là qu'on aide les gens à passer à l'action», soutient M. Fortin, ajoutant que 50 bénévoles, gens d'affaires et élus participent à la mission du CLD local en offrant leur temps et leur expertise.
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Mais chaque MRC a une réalité différente, et c'est pourquoi l'aspect uniforme des compressions gouvernementales choque autant. Difficile de partager des services avec les MRC voisines sur des territoires vastes et moins peuplés. Les centaines de kilomètres à parcourir pour donner ou recevoir des services seraient dissuasives. Sur la Côte-Nord, par exemple, certaines municipalités ne sont même pas liées par la route.
«On nous disait que le gouvernement allait nous accompagner dans notre prise en charge. C'est ce qu'on veut faire, prendre en charge notre développement. Mais il faut avoir l'espace décisionnel et les fonds pour le faire. Actuellement, on a l'impression d'avoir peu d'importance pour le gouvernement. On fait du mur-à-mur sans moduler les interventions et ça, ça n'a jamais fonctionné», déplore Micheline Anctil, qui est aussi mairesse de Forestville.
«Si un enfant a des difficultés particulières dans une famille, on lui offre une attention particulière», renchérit Allen Cormier, le préfet de la MRC de La Haute-Gaspésie, un territoire où six des huit municipalités affichent le pire indice de dévitalisation.
«Il fallait continuer d'investir en développement, et on fait tout le contraire. Je ressens un mélange de crainte, de colère et d'incertitude. Je ne comprends pas pourquoi on s'attaque aux plus faibles. On ne peut pas taxer davantage nos citoyens pour garder nos CLD, ils sont déjà au bout de leur capacité de payer», ajoute-t-il.
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Affaiblir davantage des zones déjà fragilisées par le vieillissement de la population, l'exode vers les villes-centres et l'évolution de l'économie risque de les faire mourir, craignent plusieurs. Et c'est oublier le plan d'action gouvernemental à l'intention des municipalités dévitalisées, adopté en 2008 par le précédent gouvernement libéral. «On avait considéré qu'elles étaient vulnérables et on leur avait offert des vitamines par des structures et des budgets adaptés. Il n'y a pas eu d'abus ni de fantaisies dans ces budgets», plaide Bernard Vachon, rappelant que la vitalité dépend des PME et que celles-ci s'installent là où il y a des structures d'appui et des services.
«Le développement économique et la création d'entreprises ne peuvent pas se faire dans un désert social et culturel, et c'était un volet de la mission des CLD : créer un environnement propice au développement. La réduction des budgets sape leur mission», fait-il valoir.
Le ministre des Affaires municipales et de l'Occupation du territoire, Pierre Moreau, comprend mal le mécontentement et affirme de son côté avoir reçu plusieurs réactions positives face au pacte fiscal.
«On décentralise vers les MRC. Elles choisiront elles-mêmes les gouvernements suprarégionaux qu'elles veulent maintenir», précise le ministre, en ajoutant répondre ainsi aux demandes des associations municipales.
Sur la question des fonds qui accompagnent le transfert de responsabilités, M. Moreau reconnaît qu'il y a rationalisation, mais ne croit pas que cela enlèvera le pouvoir d'agir des régions sur leur développement économique.
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«Les CRÉ coûtaient 48 M $, dont 17 M $ en gestion. Ça n'avait pas d'allure !» plaide-t-il, convaincu qu'il y a moyen de faire des ententes intermunicipalités moins chères.
«Les CLD, eux, recevaient 72 M $ pour gérer des fonds de 25 M $ [Fonds locaux d'investissement]. On transfère ces fonds sans réduction», ajoute-t-il. Quand on lui fait remarquer que la mission des CLD dépassait la gestion de fonds et visait l'accompagnement des entrepreneurs, il répond qu'il reste 32 M $ pour le faire.
Pour rassurer les inquiets, les représentants des municipalités à l'UMQ et à la FQM disent que ce pacte fiscal est transitoire, qu'il n'aura cours qu'en 2015 et qu'ils chercheront à faire des gains l'année suivante. Mais les dissidents continuent de douter.
«On n'est pas dupes ! Il y a des décisions irréversibles, comme l'abolition des CRÉ», s'exclame Micheline Anctil.
C'est pourquoi, avant qu'il ne soit trop tard, SRQ réclame un temps d'arrêt. «L'objectif de l'équilibre des finances, on peut y contribuer, soutient Claire Bolduc. Mais donnons-nous un temps d'arrêt pour réfléchir au comment.»
> L’amputation de 55 % du budget autrefois alloué aux CLD est décriée. De 72 M $, celui-ci fond à 32 M $.
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