La hausse rétroactive du taux d’imposition des contribuables gagnant plus de 130 000$ ne sera pas suffisante pour remplacer l’abolition de la taxe santé, selon des experts consultés par LesAffaires.com. D’autres changements seront donc à prévoir.
Le gouvernement Marois veut adopter deux nouveaux paliers d’imposition : un pour les revenus supérieurs à 130 000 $, et l’autre pour ceux gagnants plus de 250 000 $. Le tout sera instauré rétroactivement, a annoncé la directrice des communications de Pauline Marois, Shriley Bishop, dans une entrevue au journal Le Soleil. Autrement dit, les déclarations de revenus pour l’année en cours seront touchées par cette décision.
En entrevue avec un collègue du journal LesAffaires, Mme Bishop a précisé que les augmentations de l’impôt sur le gain en capital et sur les dividendes seraient aussi adoptées rétroactivement.
L’abolition de la taxe santé représente une perte de près de 1 G$ pour le trésor québécois. Selon le plan financier du Parti québécois (PQ), la mesure permettrait d’aller chercher 610 millions $. Les changements du côté des gains en capitaux et des dividendes permettraient d’aller chercher 395 millions $, pour un total de 1 G$.
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Pour Yves Chartrand, fondateur du Centre québécois de formation en fiscalité (CQFF), le gouvernement ne parviendra pas à aller chercher les sommes prévues. « C’est de belles théories, mais en pratique ça ne marche pas, déplore le fiscaliste. Ce n’est pas efficace. »
M. Chartrand donne en exemple le cas anglais. En 2008, le gouvernement britannique a décidé d’augmenter sensiblement l’impôt des plus fortunés (le fameux 1%). Ce taux est passé de 40% à 50%. La mesure devait rapporter 3 milliards de livres (4,7 milliards canadiens) au trésor public. Finalement, l’opération a terminé à effet nul.
Selon lui, le gouvernement ne prend pas en compte les changements de comportements que provoque une hausse d’impôt. « Les travailleurs peuvent aller ailleurs, travailler moins, travailler au noir, cotiser davantage à leur REER ou reporter d’importantes décisions financières », énumère M. Chartrand. « Au bout du compte, c’est la classe moyenne qui devra payer! »
Pour Guillaume Hébert, de l’Institut de recherche et d'informations socio-économiques (IRIS), la mesure du gouvernement permettrait d’aller chercher 500 millions de nouveaux revenus, selon une estimation prudente. « Il est trop tôt pour dire si le gouvernement réussira à atteindre l’équilibre budgétaire en 2013-2014 », explique M. Hébert, qui est en faveur d’une augmentation de la progressivité de l’impôt. « On peut dire que cette seule mesure ne sera pas suffisante pour combler l’écart. »
M. Hébert n’a cependant pas pris en compte les changements prévus pour l’impôt sur le dividende et le gain en capital. De plus, il note qu’il reste 500 millions $ en changement à identifier en raison de l’abolition du ticket modérateur par le gouvernement libéral.
Une rétroactivité qui surprend
La décision d’adopter ces changements fiscaux rétroactivement surprend. Il faut remonter à 1993 pour trouver un cas semblable avec le gouvernement libéral provincial de l’époque. « On change les règles du jeu, dénonce Youri Chassin, économiste à l’Institut économique de Montréal. Ce n’est pas légitime. »
Pour M. Chassin, la décision crée de l’incertitude en plus d’inciter les talents à quitter le Québec. « Pour les années suivantes, les contribuables vont se demander si leur taux d’imposition va changer pour 2013 ou 2014 », s’inquiète-t-il.
Yves Chartrand, lui aussi, juge « odieux » qu’on n’ait pas laissé les contribuables faire leur planification financière en conséquence.
Guillaume Hébert, pour sa part, ne se formalise pas de la décision d’agir rétroactivement, même si la décision est inusitée. « Après les élections, le gouvernement peut se permettre de faire une rupture avec le gouvernement précédent», défend-il.
La décision d’ajouter de la progressivité à l’impôt n’est pas déconnectée comme le dénoncent certains puisqu’elle est dans l’air du temps, répond M. Hébert. « C’est un choix responsable qui est dans l’air du temps, constate-t-il. Des riches ont même plaidé en ce sens. Pas par altruisme, mais parce qu’ils se rendent compte que c’est la manière de faire fonctionner le système. »
L’an dernier, le célèbre gestionnaire de portefeuille américain Warren Buffett a plaidé en faveur d’une augmentation de la contribution fiscale des plus fortunés. Le dirigeant de Berkshire Hathaway avait dénoncé que son taux d’imposition était inférieur à celui de sa secrétaire en raison des crédits d’impôt sur les dividendes et les gains en capitaux.
L’abolition des baisses d’impôt pour les plus aisés est l’un des thèmes clés de la campagne du président américain sortant, Barack Obama. Le nouveau président français François Hollande propose, lui aussi, une augmentation des impôts des « riches ».