EXCLUSIF. Pourquoi donner à un parti politique? Qu’est-ce que ça rapporte? Même lorsqu’on parle de contributions faites en toute légalité, ces questions rendent mal à l’aise alors que le gouvernement est au centre d’une polémique liée au financement des partis et à l’industrie de la construction.
Près du quart des pdg d’un échantillon de 95 dirigeants québécois ont contribué à un parti politique provincial en 2010, révèle une recherche menée par LesAffaires.com. Parmi les donateurs, 86% ont contribué au Parti libéral du Québec (PLQ). Moins de 6% de l’échantillon ont cependant donné à un parti fédéral.
Les pdg n’ont pas à avoir honte de collaborer à un parti, estime Hubert Bolduc, vice-président, communications et affaires publiques chez Cascades. «Avec les montants qu’un citoyen est autorisé à donner, il est illusoire de croire que l’on peut influencer un parti politique ou même acheter de l’écoute, ajoute-t-il. Il y a un moyen de discuter de politique avec les élus : c’est le lobbyisme. C’est une pratique légale et encadrée»
Les politiques économiques du PLQ pourraient expliquer les appuis qu’a eus le parti. «Il faut demander aux donateurs pourquoi ils contribuent, affirme Michel Rochette, directeur des communications du PLQ. Nous avons toutefois mis en place un plan économique qui nous a sortis de la crise. Ils ont peut-être reconnu que nous étions mieux placés pour assurer la croissance économique.»
Mes amis les politiciens
Mes amis les politiciens
Plusieurs personnes du milieu des affaires contribuent d’abord et avant tout par amitié envers d’anciens collègues, estime Yves-Thomas Dorval, président du Conseil du patronat du Québec. «Certains partis ont plus de membres issus du milieu des affaires», constate-t-il, sans nommer le PLQ.
C’est le cas pour les dirigeants de Cascades qui donnent selon leurs affinités personnelles. «Les frères Lemaire [la famille dirigeante de Cascades, ndlr.] ont donné à tous les partis que ce soit l’ADQ, le PQ ou le PLQ, explique M. Bolduc. Ils donnent à ceux qui le demandent.»
D’ailleurs, Alain Lemaire, pdg de Cascades, est le seul dirigeant de notre échantillon qui a contribué à la caisse des deux partis durant notre période d’étude. Il a versé le maximum permis en 2010 au PLQ, soit 3 000$, et a donné 400 $ au PQ.
Même son de cloche du côté de Claude Bigras, pdg de Groupe Distinction, et rare membre de notre échantillon à avoir choisi le PQ. «Je ne donne malheureusement pas d'entrevue, écrit-il dans un courriel. Je peux vous dire cependant que je suis apolitique et que mes contributions sont motivées par des amitiés personnelles.»
Aucun des autres pdg contactés n’a voulu émettre de commentaire.
Retour d’ascenseur?
Retour d’ascenseur?
Les contributions aux partis ne sont pas désintéressées, estime Réjean Pelletier, professeur en science politique à l’Université Laval. «Il n’y a pas de rentabilité immédiate à contribuer à un parti politique, mais ça permet d’avoir une oreille attentive, nuance le politicologue. En ce sens, les partis et le milieu des affaires n’y sont pas indifférents. Pour les dirigeants d’entreprises, c’est important d’avoir cette oreille attentive.»
À titre d’exemple, l’historique du financement politique indique que le PLQ profite davantage du pouvoir que le PQ. L’année dernière, Le Devoir a effectué une analyse des dons politiques versés aux partis entre 1994 et 2008. Le quotidien démontrait qu’en moyenne les dons versés au PLQ doublaient une fois au pouvoir. Le financement du PQ, quant à lui, est resté sensiblement le même qu’il soit au pouvoir ou dans l’opposition.
L’idée que le financement des partis politiques est systématiquement gangréné par la corruption n’est pas représentative de la réalité, commente Jean-Herman Guay, professeur en science politique à l’Université de Sherbrooke. «Même s’ils obtenaient des enveloppes brunes, les partis doivent quand même rapporter leurs dépenses au directeur général des élections. C’est très contrôlé tant pour les revenus que pour les dépenses.»
Un ménage à faire pour ne plus être embarrassé de contribuerUn ménage à faire pour ne plus être embarrassé de contribuer
Même si la collusion n’est pas généralisée, la situation est loin d’être rose et un coup de barre s’impose, affirme les partis d’opposition, qui réclament notamment une enquête publique sur l’industrie de la construction et sur le financement des partis politiques.
Le rapport Duchesneau produit par l’Unité anticollusion (UAC), qui a fui dans les médias la semaine dernière, soulève l’existence d’un système de financement occulte des partis politiques. Depuis deux ans, de nombreux articles font état de nouvelles liées à la corruption dans l’industrie de la construction.
L’année dernière, Québec solidaire avait dévoilé l’utilisation de prête-noms par la firme de génie-conseil Axor au cours de l’exercice 2008. La firme a plaidé coupable. «On ne peut pas incriminer les dirigeants qui contribuent, mais on est en droit de penser que d’autres entreprises contournent la loi, commente Françoise David, co-chef du parti de gauche. Il faut une enquête publique pour faire la lumière sur ce phénomène.»
En plus de réclamer une enquête publique, le PQ suggère qu’on déclare dans le cadre de quelle activité les donateurs contribuent. La semaine dernière, le Journal de Québec révélait que la ministre de la Famille, Yolande James, prévoyait tenir une activité de financement à laquelle n’étaient conviés que des propriétaires de garderie.
«On pourra constater s’il y a des apparences de collusion, explique Pascal Bérubé, député de Matane et président de la campagne de financement du PQ. Par exemple, il est légitime que plusieurs dirigeants d’un même secteur d’activité aient contribué à un parti. Ça ne le serait pas si on se rendait compte qu’il l’avait tous fait au cours d’une même soirée de financement organisée par un ministre responsable de leur industrie.»
Rappelons que l’Assemblée nationale a adopté en janvier des modifications à la Loi électorale afin de limiter les dons individuels à 1 000$ par parti à partir de 2011. Le maximum autorisé en 2010 était de 3 000$.