Attendu depuis une quarantaine d'années, l'achèvement de l'autoroute 30 suscite beaucoup d'espoir dans nombre de villes situées le long de ce corridor de 145 kilomètres (km) qui relie maintenant Sorel-Tracy à Vaudreuil-Dorion, en Montérégie. Le dernier tronçon de 35 km, achevé il y a plus d'un an, fait en effet miroiter des investissements de plusieurs milliards de dollars et une augmentation du volume d'exportations à destination des marchés canadien et américain.
«Maintenant qu'on a un beau ruban neuf d'asphalte, qui a coûté plus de 1 milliard de dollars (G $) , on ne veut pas seulement voir passer des camions. Il faut aussi s'assurer d'en tirer profit pour créer des emplois et développer nos communautés», dit Gilles Meloche, maire de Delson.
Le rôle premier de l'autoroute 30 est d'être une voie de contournement de Montréal, par le sud, en offrant un itinéraire de rechange aux véhicules en transit et en réduisant ainsi la congestion routière dans la région métropolitaine. Mais elle présente aussi un nouveau corridor d'occasions économiques : amélioration du transport intermodal, implantation de centres de distribution et d'entreprises manufacturières ou de services, développement résidentiel et commercial.
Déjà des résultats
La 30 n'est d'ailleurs pas étrangère à la décision de Géomax de s'établir dans le parc industriel de Beauharnois. «Ça nous permettra de mieux desservir les marchés de la Rive-Sud et de l'Ouest métropolitain», dit Patrick Mailhot, président de cette nouvelle entreprise spécialisée en forage pour l'implantation de système de chauffage et de climatisation géothermique.
L'entreprise y a acquis un terrain pour aménager un garage et des locaux pour bureaux qui totaliseront plus d'un million de dollars d'investissements. L'autoroute 30 «va favoriser un développement sans précédent de la ville qui n'avait pas accès directement à des axes routiers majeurs», croit Claude Haineault, maire de Beauharnois et président de la Table des préfets et élus de la Couronne Sud.
Il note d'ailleurs une recrudescence de demandes d'information de la part d'entreprises qui s'enquièrent de la disponibilité des terrains et souhaitent s'établir dans la région. Beauharnois se trouve «dans la mire de plusieurs investisseurs et entrepreneurs», affirme-t-il.
Chloretec, une filiale du Groupe Prommel qui fabrique de l'hypochlorite de sodium (eau de javel), de même que Solumet, qui se spécialise dans la récupération et le traitement de métal contenu dans les résidus générés par l'industrie de l'acier inoxydable, viennent aussi d'opter pour Beauharnois afin d'y installer leurs pénates.
À quelques kilomètres de là, la ville de Salaberry-de-Valleyfield se réjouit également du potentiel économique qu'apporte l'achèvement de la 30. «Plusieurs entreprises se sont déjà implantées et d'autres ont montré un vif intérêt», souligne le directeur du développement économique, Mario Besner.
Deux entreprises de transformation de minéraux, Nemaska Lithium et Argex Titane, projettent d'y construire des usines qui pourraient mener à des investissements de quelque 600 M $ et à la création de 300 emplois au terme des diverses phases d'implantation.
Signe des temps : ces deux entreprises s'implanteront sur l'ancien site de la filature de Dominion Textile. À Beauharnois, l'hébergeur français de sites Web OVH a démarré ses activités dans l'ancienne usine de Rio Tinto Alcan.
«La région a eu des coups durs ces dernières années avec plusieurs fermetures d'usines, des ralentissements d'activités et des réductions d'emplois, mais on sent un nouveau souffle», dit M. Besner, dont les propos font écho à ceux de Claude Haineault.
Le Port de Valleyfield, dont le tonnage manutentionné ces 10 dernières années est passé de 229 000 à 460 148 tonnes, s'attend aussi à profiter de la situation. «Avec la 30 et l'implantation d'entreprises comme Argex, la conjoncture est certainement favorable pour accroître nos activités», souligne le pdg, Michel Gadoua.
Près de 1 G $ d'investissements industriels ont été annoncés dans la municipalité régionale de comté (MRC) de Beauharnois-Salaberry dans la foulée de l'achèvement de l'autoroute. La MRC de Roussillon a aussi son lot de nouvelles implantations. Comme l'entreprise allemande Blickle Räder+Rollen qui a choisi Candiac pour construire son premier centre de distribution en Amérique du Nord, ou Hewitt qui a aussi choisi cette ville pour son nouveau centre d'entretien et de distribution.
Un pôle logistique de transport
L'achèvement de l'autoroute 30 vient aussi consolider le rôle de la région métropolitaine de Montréal comme plaque tournante du transport des marchandises. De même, l'implantation de centres de distribution à valeur ajoutée, qui favoriseraient le traitement en sol québécois d'un plus grand nombre de conteneurs internationaux qui transitent par les ports ou les terminaux ferroviaires, est ainsi envisagée.
«La 30 est le chaînon manquant qui vient faciliter les échanges commerciaux avec le reste du Canada et les États-Unis», souligne Julien Turcotte, directeur du CLD Vaudreuil-Soulanges.
Elle a aussi a ravivé le projet d'implanter en Montérégie un pôle logistique de transport intermodal. Ce parc industriel «permettrait d'améliorer la chaîne logistique des entreprises manufacturières québécoises et d'ouvrir de nouveaux marchés d'exportation», indique un document de réflexion du gouvernement québécois portant sur le développement économique du corridor de l'autoroute 30.
Selon le gouvernement, ce pôle est susceptible d'attirer des investissements privés de 3,6 G $, tandis que les investissements publics sont estimés à 150 M $, échelonnés sur 10 ans.
La plateforme logistique et industrielle représenterait des investissements privés potentiels de 4 G $ et la création d'environ 25 000 emplois, estime pour sa part la MRC de Roussillon qui en souhaite l'implantation sur son territoire, au carrefour de l'autoroute 15 qui mène à l'État de New York et de la 30 qui rejoint l'Ontario.
La région de la Vallée-du-Haut-Saint-Laurent, située au coeur des corridors Québec-Ontario et Québec-New York, est l'un des territoires ciblés pour l'emplacement de ce futur pôle : 85 % des échanges commerciaux du Québec avec le reste de l'Amérique du Nord transitent par ce territoire qui regroupe entre autres les MRC de Beauharnois-Salaberry, Roussillon et Vaudreuil-Soulanges.
Guerre de clochers en vue ?
La MRC de Roussillon n'est pas la seule à convoiter ce futur pôle logistique de transport et les millions de dollars d'investissements publics qui l'accompagneront. La MRC de Vaudreuil-Soulanges et celle de Marguerite-D'Youville sont aussi dans la course.
Bien qu'elles tiennent à souligner l'importance d'un tel pôle non seulement pour leur propre région, mais aussi pour l'ensemble de la région de Montréal et même du Québec, chacune prend bien soin de prêcher pour sa paroisse. «Seulement 10 km de l'autoroute 30 sont situés dans Vaudreuil-Soulanges, mais il s'agit du point de jonction stratégique avec les autoroutes 20 et 40 dans le corridor de commerce Ontario-Québec», fait valoir son directeur, Julien Turcotte.
Il rappelle que la région accueille déjà le centre de distribution de Canadian Tire pour l'Est du Canada et qu'elle profite de l'accessibilité aux voies ferroviaires du Canadien Pacifique et du Canadien National.
La construction en cours d'un nouveau terminal intermodal de la société ferroviaire américaine CSX à Valleyfield, qui s'est aussi concrétisée grâce à la nouvelle autoroute 30, ajoute de l'eau au moulin. Ce terminal, qui génère des investissements de 100 M $, aura une capacité de transbordement annuel de 100 000 conteneurs et permettra aux convois d'être reliés au centre névralgique de CSX dans le nord-ouest de l'Ohio et de traverser une vingtaine d'États américains.
L'implantation d'un pôle est d'autant plus importante pour la région de Vaudreuil-Soulanges qu'elle subit une vive concurrence de la région ontarienne de Cornwall, située à quelques kilomètres. Celle-ci a d'ailleurs attiré récemment des investissements majeurs de la part de Walmart et Target pour des entrepôts desservant le Québec et l'Est ontarien. «Nous n'avions pas de terrains suffisamment grands pour les accueillir», reconnaît toutefois M. Turcotte. La MRC devra miser sur le dézonage de terres agricoles pour pouvoir accueillir le nouveau pôle logistique et la vingtaine des grands centres de distribution souhaités.
La situation géographique de la MRC de Roussillon lui confère aussi une position exceptionnelle pour devenir un important carrefour dans le transport de marchandises, affirment les différents acteurs économiques de cette région qui englobe entre autres les villes de Delson, Candiac et Châteauguay.
«Nous avions déjà un lien direct avec le Nord-Est américain. La 30 nous ouvre maintenant la porte des marchés de l'Ontario et du Midwest américain», souligne Louis Lacroix, directeur du développement industriel, du transport et de la logistique au CLD de Roussillon.
Outre les axes routiers, la MRC est aussi desservie par des réseaux de chemin de fer, de même que par le quai de Sainte-Catherine dont on prévoit une croissance potentielle de 45 % des activités. De plus, la région «possède un vaste potentiel foncier non exploité», ajoute Gilles Meloche.
Enfin, la MRC de Marguerite-D'Youville croit que «le développement économique de l'autoroute 30 passe inévitablement par la mise en place d'une plateforme intermodale de transport des marchandises à Contrecoeur».
Le projet d'expansion du Port de Montréal à Contrecoeur est une des cartes maîtresses évoquées. Il y a aussi la récente décision du Groupe Jean Coutu d'aménager son nouveau siège social et centre de distribution dans le parc industriel de Varennes, en bordure de l'autoroute 30. Le transporteur Groupe Robert a aussi annoncé la construction d'un terminal de 1 475 000 pieds carrés dans le Novoparc de Varennes, également en bordure de l'autoroute 30.
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