L'audition de deux recours collectifs de fumeurs visant les trois plus importants fabricants de tabac du Canada et totalisant 27 milliards $ s'est ouvert lundi, à Montréal.
Il s'agit de la plus importante cause civile jamais entendue au Canada. C'est aussi la première fois que ces cigarettiers _ Imperial Tobacco Canada; Rothmans, Benson & Hedges; et JTI-Macdonald _ sont traduits en justice au Canada.
D'entrée de jeu, le juge Brian Riordan de la Cour supérieure, a cité un ex-directeur du Mossad, les services secrets israéliens, en indiquant que si on peut savoir quand une guerre commence, on ne sait jamais quand elle va finir. Le magistrat a ajouté que cette cause était encore plus complexe puisqu'il avait fallu attendre 14 ans avant de savoir quand elle s'amorcerait.
Le premier recours représente 90 000 fumeurs et ex-fumeurs québécois qui souffrent de cancers du poumon, de la gorge, du larynx ou d'emphysème. Le second représente les 1,8 million de personnes dépendantes du tabac au Québec.
Les plaignants reprochent aux cigarettiers d'avoir fabriqué un produit dangereux, de l'avoir mis en marché en toute connaissance de cause, d'avoir volontairement banalisé, nié, caché et menti relativement au danger que représentait le tabac.
Ils les accusent également d'avoir expressément voulu créer une dépendance et d'avoir délibérément évité de fabriquer un produit dont le taux de nicotine était assez faible pour mettre fin à cette dépendance.
Enfin, ils leur reprochent d'avoir conspiré pour empêcher la diffusion de l'information sur les dangers de la consommation du tabac et d'avoir, en bout de ligne, porté atteinte au droit à la vie, à la sécurité et à l'intégrité des requérants.
En présentant son exposé préliminaire, Me Bruce Johnston, au nom des requérants, a affirmé qu'il présenterait au tribunal près de 300 documents extrêmement incriminants. Il a avancé que les compagnies tiraient un cent (0,01 $) de profit par cigarette et qu'une personne mourait à chaque million de cigarette vendues, ce qui lui a fait conclure que ces compagnies chiffraient leur profit à une vie par tranche de 10 000 $.
Me Johnston a soutenu que les compagnies de tabac avaient créé leur propre science lorsque la science avait démontré la dangerosité de leurs produits. Il a ajouté que les scientifiques qui avaient contesté le réchauffement de la planète étaient les mêmes individus que ceux qui avaient préparé le dossier de l'industrie du tabac.
Du côté de la défense, l'avocate d'Imperial Tobacco, Me Suzanne Côté, a clairement établi en ouverture les deux axes principaux de sa défense, affirmant que les dangers du tabagisme sont connus depuis plusieurs décennies et que personne, depuis 40 ou 50 ans, ne pouvait prétendre avoir commencé à fumer sans savoir que la cigarette présentait un risque.
Il s'agit donc, selon elle, d'un choix fait en toute liberté et en toute connaissance de cause, motivé par la recherche des effets que procurent la nicotine et le goudron chez le consommateur. Sur le plan strictement légal, Me Côté a soutenu que les requérants seront incapables de faire la preuve que tous les fumeurs n'auraient pas commencé à fumer ou auraient arrêté s'ils avaient été mis en garde puisqu'ils l'ont été à maintes reprises de plusieurs façons.
Quant aux maladies imputables au tabagisme, Me Côté a fait valoir que ce ne sont pas tous les fumeurs qui en sont atteints, d'où l'impossibilité de démontrer que ceux qui sont malades, le sont à cause de la cigarette. Prenant l'exemple d'un fumeur qui aurait travaillé dans une mine d'amiante, elle s'est demandée comment on pourrait imputer un éventuel cancer du poumon davantage à la cigarette qu'à son milieu de travail.
L'avocat de JIT MacDonald, Me Guy Pratte, est allé plus loin, indiquant que c'est la liberté de choix qui définit l'être humain, même lorsque ces choix semblent irrationnels et que le devoir de la cour était de protéger cette liberté. Il a également prétendu que les fumeurs peuvent arrêter de fumer s'ils prennent la décision de le faire, tout en convenant que cela pouvait être difficile.
Le deuxième axe de défense est de blâmer le gouvernement fédéral, puisque c'est celui-ci qui a fixé les normes pour la conduite de l'industrie et que les fabricants ont scrupuleusement suivi ces normes. Me Côté a par ailleurs rappelé que c'est le gouvernement fédéral lui-même qui avait fait la recherche pour développer des types de tabac pour les cigarettes dites "légères" et "douces" que ce sont des variétés de tabac développées sous licence par Agriculture Canada qui devaient être utilisées pour ces produits.
L'avocate a donc mentionné que les entreprises ont toujours respecté les normes fixées par Ottawa, que ce soit en matière de fabrication, d'avertissements, de publicité et ainsi de suite et qu'on ne peut donc lui reprocher une activité qui s'est déroulée dans le plus strict respect des lois.