Après 35 ans à la barre de TC Transcontinental, comme président fondateur puis président du conseil, Rémi Marcoux vient de prendre officiellement sa retraite, le 16 février. C'est sa fille, Isabelle, qui lui succède à la tête du conseil. L'évolution de l'entreprise qu'il a créée coïncide avec celle du Québec économique moderne. Il revient ici sur les temps forts de sa carrière, tout en jetant un regard sur l'avenir de TC Transcontinental et du Québec dans son ensemble.
Les Affaires - Quand vous regardez ce que vous avez accompli, qu'est-ce qui vous rend particulièrement fier ?
Rémi Marcoux - En premier lieu, c'est d'avoir bâti une entreprise à la grandeur du pays tout en créant des milliers d'emplois. Et je suis également bien fier d'avoir fait la démonstration que les Québécois savent faire des affaires et que nous sommes aussi bons que les autres. Aujourd'hui, TC Transcontinental est une société financièrement très solide, ce qui permet d'assurer sa pérennité. Nous avons des usines efficaces, nous misons sur l'excellence opérationnelle, nos employés sont bien formés, ils sont mobilisés et fiers des produits qu'ils livrent.
L.A. - Quelle était votre vision, à l'origine, pour faire votre place à côté des géants qui étaient déjà dans l'imprimerie ?
R.M. - Nous avions peu de ressources, mais nous avons utilisé nos équipements de façon avant-gardiste. En 1976, nous avons débuté avec l'idée de développer le marché des circulaires, qui était alors pratiquement inexistant. La grosse percée s'est d'abord effectuée par notre entrée sur le marché de Toronto, en 1981, où il y avait une nouvelle génération de presses spécialisées. Nous nous sommes ensuite implantés à Calgary. Un client pouvait donc obtenir un produit uniforme d'un bout à l'autre du pays à coûts avantageux. Et nous avons encore une position de force dans ce marché des circulaires à travers le Canada.
L.A. - Voyez-vous d'autres virages décisifs dans l'évolution de TC Transcontinental ?
R.M. - Avant notre entrée en Bourse, en 1984, il y a eu l'achat du journal Les Affaires. Nous en étions l'imprimeur. Le propriétaire, Jean-Paul Levasseur, avait dû soudainement prendre la relève de son père qui venait de mourir. Il nous devait de l'argent. Nous avons fini par nous entendre sur une transaction. Après un intérim à la direction, Claude Beauchamp est arrivé en fonction, venant du Soleil, à Québec. Claude a monté une équipe, il est allé chercher Jean-Paul Gagné comme rédacteur en chef, tout le monde a travaillé très fort et le journal s'est redressé. Ça a été un moment décisif. Toujours dans le secteur de l'édition, nous avons acheté Télémédia en 2000 [qui édite par exemple Coup de pouce et Elle Québec]. La bouchée était grosse. Heureusement, nous avions de bonnes relations avec la famille de Gaspé Beaubien et la vente s'est bien déroulée. Ça a coïncidé avec notre implication dans les hebdos. Nous en avions peu, mais nous avons eu l'occasion d'en acheter des blocs de Cogeco, Télémédia et Unimédia, et nous avons foncé.
L.A. - Y a-t-il des choses que vous feriez autrement ?
R.M. - Fondamentalement, non. Mais sur le plan personnel, il est beaucoup question aujourd'hui de la conciliation travail-famille. À cette époque, ce n'était pas une préoccupation. J'ai été privilégié, parce que ma femme Carmelle s'est occupée des enfants. Avec tout le travail à faire, je n'étais pas souvent là. Je le regrette un peu.
L.A. - Comment voyez-vous l'avenir pour TC Transcontinental ?
R.M. - Nous avons une position très forte dans l'imprimerie, surtout avec l'autorisation que vient de nous donner le Bureau de la concurrence pour l'acquisition de Quad Graphics. C'est un curieux retour des choses, parce que Quebecor World a déjà été le plus gros imprimeur du monde avant de faire faillite. On ne peut plus s'attendre à de gros taux de croissance, nous sommes réalistes, mais l'industrie va se maintenir. Dans l'édition, nous avons des contenus extraordinaires que nous allons déployer sur des plateformes multiples. Notre futur est en partie là. L'équipe de direction comprend ces enjeux. Nous avons aussi une bonne situation financière, qui nous permet d'expérimenter certaines avenues.
L.A. - Et quels développements entrevoyez-vous pour les médias écrits ?
R.M. - Ils vont demeurer, mais on doit s'attendre à une fusion entre le papier et l'électronique. L'un va alimenter l'autre et vice-versa. Regardez le Globe and Mail, un journal national qui déploie ses contenus sur bien des plateformes et qui est en croissance. C'est une voie d'avenir.
L.A. - Récemment, TC Transcontinental a reconcentré ses activités au Canada. Est-ce à dire qu'elle renonce à l'international ?
R.M. - Nous avons une base solide qui génère de l'argent et qui nous permet d'investir dans les nouvelles technologies. Je suis convaincu que nous allons retourner en force aux États-Unis. Nous aurons les moyens de le faire. Nous aurons autant les sous que l'expertise.
L.A. - Vous êtes au nombre des entrepreneurs pionniers qui ont bâti de grandes entreprises au Québec. Y en aura-t-il d'autres ?
R.M. - Je vous dirais ceci : lorsque Transcontinental est devenue une compagnie cotée en Bourse, il y avait un buzz sur le marché. Ça bougeait beaucoup. Il me semble qu'on ne retrouve pas la même agitation aujourd'hui. Bien sûr, le REA [régime d'épargne-actions] a aidé. On dirait qu'il y a maintenant une réticence à aller en Bourse. C'est vrai qu'aujourd'hui, le capital de risque est plus présent et le financement privé, plus abondant. Mais ce n'est pas nécessairement du financement à long terme. On ne refera pas le REA, mais il faudrait penser à quelque chose d'autre.
L.A. - Quel conseil offririez-vous aux pdg qui nous lisent ?
R.M. - Je trouve qu'il n'y a pas suffisamment de continuité. Les pdg ont souvent une optique à court terme, et les systèmes de rémunération favorisent le court terme. C'est une tendance qui nous est venue des États-Unis, en majeure partie. Pour une entreprise, il faut une vision à long terme. Et je pense que celle-ci se retrouve davantage dans les entreprises contrôlées par des familles. Vous savez d'ailleurs que mes enfants demeurent très impliqués dans l'entreprise.
L.A. - Et que diriez-vous aux jeunes qui pensent à se lancer en affaires ?
R.M. - Il ne faut pas hésiter à plonger. Aujourd'hui, les jeunes sont très bien formés. Ils sont bilingues, sinon trilingues, et leur terrain de jeu, c'est le monde. Je leur dirais donc : «Osez ! Et vous avez le droit à l'erreur. Vous allez simplement acquérir de l'expérience. Mais soyez patients.» Aujourd'hui, on veut devenir riche dès la première année. L'argent viendra. Mais il ne faut pas que ce soit la préoccupation de départ.
L.A. - Est-ce que ce sera difficile de regarder aller vos successeurs ?
R.M. - Quand nous avons recruté un pdg, les gens ont dit : «Rémi va passer son temps à regarder par-dessus son épaule». Bien, je me suis fait un devoir de laisser aller l'équipe. Ils ont parfois dû prendre des décisions qui auraient été différentes si ça avait été de moi, mais je me suis dit : «Allez-y.» C'est dans la tête que ça se passe. Ils sont dans le feu de l'action, ils ont l'information journalière et ils sont bien placés pour agir.
L.A. - Et qu'allez-vous faire maintenant ?
R.M. - J'aimerais faire un peu de mentorat auprès de jeunes entreprises. Je parlais récemment à l'ancien président d'UAP, Jacques Landreville, qui s'est donné ce mandat, et il l'aime bien. Je pourrais donner un coup de main sans charger mon agenda comme avant ! À plus court terme, en mars, je veux faire un dernier tour des unités de l'entreprise pour remercier les gens. Vous savez, j'ai été très présent. Nous avons eu du fun à bâtir. Je vais leur dire dans un langage très simple : «Notre succès, c'est votre succès. Vous y avez collaboré de près. Je veux vous dire merci.»
Rémi Marcoux a fondé Transcontinental en 1976 et en a assuré la direction jusqu'en 2004, année où il est devenu président exécutif du conseil.
Aujourd'hui, TC Transcontinental emploie 10 500 personnes.