Le vieillissement de la population et la rareté de la main-d'oeuvre dans certains secteurs d'activité poussent de plus en plus d'entreprises à recruter à l'étranger. Celles qui se lancent dans l'aventure relèvent plusieurs défis. Voici les cinq principaux enjeux et des solutions pour les surmonter.
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1. Se démarquer pour attirer les candidats
Des vêtements aux couleurs de l'entreprise, des friandises à l'érable, des vidéos enregistrées par les employés québécois pour souhaiter de bonnes entrevues aux candidats étrangers... Effenti, une entreprise de Québec spécialisée dans les technologies de l'information, met les petits plats dans les grands pour attirer des candidats lors des missions de recrutement international organisées par Montréal International et Québec International. L'enjeu : se démarquer des autres organisations.
«Les candidats viennent nous rencontrer, mais vont aussi voir nos concurrents. Quand on repère un talent, il faut faire vite, car la compétition est forte», dit Jérôme Marquis, directeur, acquisition de talents, au Mouvement Desjardins, qui participe aussi régulièrement à ces missions et recrute de 12 à 25 personnes par an à l'étranger.
C'est pour cette raison que des entreprises comme Ludia (jeux pour appareils portables), Frima (divertissement numérique) et Nurun (agence conseil en design et technologie numérique) sont très présentes sur les réseaux sociaux comme Facebook et LinkedIn. Une vitrine qui permet de susciter des candidatures spontanées. «C'est très important de développer une marque employeur forte, reconnaissable et distinctive, notamment sur les réseaux sociaux. Il faut afficher qu'on est une firme immigrant friendly», souligne Florian Pradon, stratège en acquisition de talents chez Nurun.
«Pour cela, il faut, par exemple, faire du relationnel et rencontrer les immigrants qui nous joignent pour venir travailler chez nous même quand on n'a pas de poste libre. Ça permet de leur glisser des conseils et d'augmenter notre bassin de candidats potentiels ; d'autant qu'entre eux, les immigrants vont faire passer le message que Nurun est ouverte à l'emploi d'immigrants», dit M. Pradon, lui-même originaire de France.
L'enjeu est encore plus crucial pour les PME en région. «Leur défi consiste à réussir à attirer des candidats loin des grands centres», souligne Marie-Josée Chouinard, directrice, attraction de talents, à Québec International. Un écueil que rencontre même la région de Québec, victime de l'attraction naturelle de Montréal. La stratégie gagnante : «Faire valoir les atouts de la région comme les grands espaces, la possibilité de vivre dans des propriétés avec des jardins, à l'écart des embouteillages et dans un milieu sécuritaire, auprès de gens qui sont ouverts à de nouvelles aventures», ajoute Mme Chouinard.
2. Bien évaluer les coûts et les délais
Il coûte plus cher d'embaucher un travailleur étranger qu'un employé originaire du Québec. Les coûts incluent notamment la participation à une mission, le cas échéant, les procédures d'immigration, la relocalisation de l'employé (billet d'avion, parfois prise en charge d'une partie du loyer ou des frais d'hébergement lors d'un séjour pour faire passer des tests à un candidat, etc.) ainsi que les ressources à l'interne pour l'accompagnement du travailleur étranger avant et après son arrivée.
Peu d'entreprises ont calculé à combien s'élèvent ces dépenses, mais elles les évaluent à plusieurs milliers de dollars par personne recrutée, d'autant que les frais d'immigration pour les travailleurs temporaires ont augmenté récemment.
Pour des PME, c'est parfois prohibitif. Toutefois, «le recours à un chasseur de têtes ou les pertes pour l'entreprise en cas de postes non pourvus représentent des dépenses importantes aussi», fait valoir Marie-Josée Chouinard.
Le principal défi des entreprises reste les délais entraînés par les démarches d'immigration. «Quand un nouveau projet émerge, nous avons habituellement un an pour le développer. Si les procédures pour recruter le personnel nécessaire à l'étranger prennent quatre ou cinq mois, comme c'est généralement le cas, on perd un temps précieux», dit Jean-Sébastien Boulard, directeur des ressources humaines et des communications chez Ludia. Cette entreprise montréalaise a embauché 10 personnes à la suite de sa participation aux Journées Québec à Paris les 30 et 31 mai derniers.
Cependant, les procédures sont accélérées pour près d'une quarantaine de professions dont le gouvernement du Québec reconnaît qu'elles souffrent d'un manque de main-d'oeuvre, comme les ingénieurs, les spécialistes des ressources humaines et les programmeurs en médias interactifs. Toutefois, «il y a peu de façons de réduire les délais, ce qui pose un grand problème aux entreprises qui attendent un expert étranger pour réparer une machine en panne, par exemple», indique Audrey-Anne Chouinard, avocate spécialisée en immigration et mobilité internationale des gens d'affaires chez Norton Rose Fulbright.
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3. Se tenir à l'affût des changements dans la réglementation
«Faire les procédures d'immigration, c'est comme dans Les 12 travaux d'Astérix, lance dans un rire Émilie Villemure, conseillère principale en acquisition de talents au Mouvement Desjardins. Ça change tout le temps et il y a beaucoup d'incertitude : on ne sait jamais si ce qu'on présente va être accepté.»
Audrey-Anne Chouinard en sait quelque chose, puisqu'elle assure une veille de l'évolution réglementaire pour ses clients dans ce domaine.
En cela, 2014 a été une année particulièrement riche en changements, notamment en ce qui concerne les procédures pour les permis de travail temporaires, dont certaines parties entrent en vigueur cette année.
«Désormais, les entreprises, qui devaient déjà prouver sauf exception qu'il n'y avait pas de Canadiens sur le marché du travail pour le poste à pourvoir, doivent en plus établir un plan d'intégration qui prévoit quelles actions elles comptent mener pour former la main-d'oeuvre canadienne, explique l'avocate. Au moment de la demande de renouvellement du permis de travail temporaire, il faudra prouver qu'elle a mis en place ces activités ou qu'elle a soutenu le travailleur dans sa demande de résidence permanente», ajoute-t-elle.
Ce qui est en jeu : «la protection du marché des travailleurs canadiens», précise Audrey-Anne Chouinard, qui observe que «les programmes deviennent de plus en plus fermés, de sorte qu'il est plus difficile de se qualifier, car les critères sont plus restreints».
Cette situation incite certaines entreprises à se poser des questions sur leur présence au Québec. VegPro compte 600 employés au Québec et 200 en Floride. Chaque année, l'entreprise du secteur agroalimentaire a besoin d'embaucher 250 personnes pour des postes ne demandant pas de qualifications particulières (emballage, manutention, travail dans les champs).
«Il est difficile de trouver localement des employés intéressés à accomplir ces tâches. Nous sommes donc obligés d'aller recruter à l'étranger», explique Chantal Teasdale, directrice des ressources humaines. La nouvelle réglementation fédérale sur le travail saisonnier ne touche pas les 180 Mexicains que VegPro fait travailler dans les champs tous les ans. Mais ceux qui s'occupent de la manutention et de l'emballage n'ont pas le même permis, et la loi impose désormais une diminution progressive de leur nombre, jusqu'à ce qu'ils ne représentent plus que 10 % du nombre total d'employés en juillet 2016.
«J'en ai 120 en ce moment, je n'aurai le droit que d'en avoir 50 l'an prochain», s'exclame Chantal Teasdale. L'entreprise montérégienne multiplie les démarches pour sortir de l'ornière. «Si on n'a plus ces travailleurs, on ne pourra plus continuer ici», affirme-t-elle.
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4. Aider toute la famille à s'intégrer
Après tant d'efforts pour faire venir un travailleur étranger et parfois sa famille, les entreprises ne souhaitent qu'une chose : qu'il reste ! Sur ce plan, une dirigeante de PME - qui demande de ne pas être nommée - se dit «déçue» : «On fait tout ce qu'on peut pour embaucher des gens à notre image, mais il est difficile de concurrencer les grandes entreprises sur le plan des conditions de travail. Si bien qu'au bout d'un an et demi, parfois, ils nous quittent».
Oui, cela se produit, de la même façon qu'avec des travailleurs locaux, nuance Florian Pradon. Et peut-être même moins : le taux de rétention des immigrés est généralement très bon, car «ils sont reconnaissants à leur entreprise de leur avoir tendu la main et sont donc souvent très fidèles», dit Delphine Folliet, directrice générale d'Immigrant Québec, qui organise le Salon de l'immigration et de l'intégration tous les ans à Montréal.
La clé pour conserver ces employés se trouve dans l'intégration, tant professionnelle que personnelle. C'est pourquoi il est parfois nécessaire de déployer d'importants efforts pour accompagner les recrues et leur famille avant et après leur arrivée.
«On les entoure beaucoup : on les aide à trouver un logement, on va les chercher à l'aéroport, etc. Les gens se sentent pris en charge et cela crée tout de suite un sentiment d'appartenance, ce qui aide à la rétention», explique Gabrielle Pilote, conseillère en ressources humaines et recrutement chez Frima. Elle a concocté à l'intention de ses employés immigrés une brochure qui regroupe les informations pratiques à savoir.
«Beaucoup d'entreprises ont recours au parrainage, au mentorat ou au jumelage pour accompagner les débuts du travailleur immigré et s'assurer qu'il se sente bien dans l'entreprise», constate Delphine Folliet.
Le Mouvement Desjardins va jusqu'à proposer du parrainage entre enfants ! «On va souvent au-delà de notre rôle professionnel. Par exemple, nous visitons des appartements pour vérifier leur état. Une fois, on a envoyé un toutou des Canadiens à un enfant qui était un peu inquiet à l'idée de déménager», raconte Émilie Villemure. Un de ses trucs : s'enquérir de la profession du conjoint pour l'aider à trouver du travail.
«La mauvaise adaptation du conjoint et de la famille est la cause des retours dans le pays d'origine», observe Jean-Sébastien Boulard, de Ludia. Fort de ce constat, il a amélioré le programme d'intégration des travailleurs étrangers en accentuant l'accompagnement des familles. Ainsi, Ludia fait affaire avec des agences spécialisées pour aider les nouveaux venus à trouver une garderie, un logement, un travail au conjoint, etc.
5. Acquérir l'expertise de recrutement international
«L'entreprise qui veut recruter à l'étranger doit se demander si son équipe de ressources humaines [RH] est capable de traiter des dossiers de mobilité internationale», précise Marie-Josée Chouinard. Son organisation, Québec International, offre diverses formations aux professionnels en RH et a créé une communauté de pratique.
Le problème est crucial pour les petites entreprises qui, souvent, n'ont pas de fonction RH. Elles font souvent appel ponctuellement à des avocats spécialisés dans l'immigration ou à des agences comme Québec International ou Montréal International pour les procédures et gèrent le reste avec les moyens du bord.
Les plus grandes entreprises développent souvent l'expertise à l'interne. Ludia compte quatre conseillers spécialisés en RH. Devant le nombre de recrutements à l'international (une vingtaine dans les deux dernières années), Frima a embauché pour sa part un conseiller en immigration au début de 2015.
Si les procédures d'immigration semblent d'emblée l'étape la plus complexe, la sélection des candidats présente également des écueils. «Les professionnels des ressources humaines doivent être formés non seulement pour être ouverts aux travailleurs étrangers, mais aussi pour comprendre les CV des étrangers qui ne sont pas rédigés de la même façon qu'au Québec,», souligne Delphine Folliet.
> 31 000 : Nombre maximal de travailleurs qualifiés étrangers qui pourront être sélectionnés par le Québec en 2015. Source : Immigration, Diversité et Inclusion Québec
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