La productivité du travail du Québec, on le sait, accuse un important retard comparativement à celle du reste du Canada et de plusieurs pays industrialisés. Mais en y regardant de plus près, certaines régions s'en tirent beaucoup mieux que d'autres, révèle une étude réalisée par le Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal.
Ainsi, les régions ressources de la Côte-Nord, de l'Abitibi-Témiscamingue, du Nord-du-Québec et du Saguenay-Lac-Saint-Jean ont généré près du quart de la croissance de la productivité observée au Québec de 2002 à 2012, une contribution deux fois plus grande que leur poids dans le PIB de la province. La région du Nord-du-Québec se démarque même de ses consoeurs en affichant une croissance de 213 % !
Les régions de Laval et des Laurentides se trouvent pour leur part dans le peloton de queue, affichant même un déclin de leur productivité au cours de cette période. Et Montréal ? Malgré une croissance de sa productivité supérieure à la moyenne provinciale, sa contribution est inférieure à ce qu'une région de cette importance devrait produire, fait valoir cette étude qui jette un regard régional sur la productivité québécoise.
Cette analyse des gains de productivité du travail dans chaque région permet de «mieux comprendre et de mieux cibler les besoins propres à chaque région pour améliorer la performance globale du Québec en matière de productivité», estime Robert Gagné, directeur du Centre sur la productivité et coauteur de l'étude statistique intitulée «Croissance de la productivité au Québec : une perspective régionale».
Accroître la productivité... des programmes d'aide !
À l'aube des travaux de la Commission d'examen sur la fiscalité québécoise, Robert Gagné invite le gouvernement du Québec à augmenter la productivité de ses programmes d'aide. «L'État soutient largement les entreprises. Mais il applique souvent des mesures uniformes qui ne tiennent pas compte des caractéristiques des régions. Quand on est sur la rue Sainte-Catherine, on n'est pas sur la Côte-Nord», illustre M. Gagné en précisant que, si les programmes d'aide étaient mieux ciblés, ils auraient plus d'impact et coûteraient moins cher.
De 2002 à 2012, la productivité du travail au Québec est passée de 43,14 $ à 46,56 $ par heure travaillée, pour une faible croissance globale de près de 8 %. Cette performance est d'autant plus préoccupante que «la productivité joue un rôle important dans l'évolution du niveau de vie d'une société», rappelle M. Gagné.
«La performance québécoise reste faible par rapport à celle du reste du Canada. Mais les résultats observés dans certaines régions sont encourageants», commente Françoise Bertrand, pdg de la Fédération des chambres de commerce du Québec.
La bonne nouvelle : Montréal affiche une productivité supérieure à celle de la moyenne provinciale. La mauvaise : sa contribution se situe largement en deçà de son importance dans l'économie. «Le coeur de l'économie du Québec a de sérieuses déficiences», met en garde Robert Gagné.
«C'est très décevant. Les entreprises doivent être plus performantes. Le secteur privé n'est pas au rendez-vous et doit se remettre à investir dans les équipements», estime Mme Bertrand.Alors qu'elle génère un peu plus du tiers (35 %) du PIB de la province, Montréal n'engendre que 15 % de la croissance de la productivité au Québec. Cette contribution est aussi deux fois inférieure à son poids sur le plan des heures travaillées (32,6 %) dans la province. La diminution du poids de la région de Montréal relativement aux heures travaillées depuis 2002 a aussi réduit sa contribution à la croissance de la productivité au Québec, note l'étude.
«Il y a un déplacement de l'activité économique vers des régions périphériques, ce qui déteint sur la productivité de Montréal», dit M. Gagné.
Selon ce dernier, il ne faut pas sous-estimer la question de la mobilité des travailleurs. «Ce n'est pas facile de se déplacer à Montréal, c'est une vraie course à obstacles.»
Des régions ressources productives
Sans la contribution des régions ressources, la productivité du Québec aurait été encore plus faible. La Côte-Nord, l'Abitibi-Témiscamingue, le Nord-du-Québec et le Saguenay-Lac-Saint-Jean ont connu un important boom minier ces dernières années. Pourtant, malgré leur plus faible poids dans l'économie du Québec, ces régions affichaient en 2012 les niveaux de productivité du travail les plus élevés parmi les 17 régions administratives du Québec, avec des taux respectifs de 132,77 $, 96,88 $, 55,59 $ et 50,55 $.
Ces résultats, note l'étude «Croissance de la productivité au Québec : une perspective régionale», sont attribuables à l'importance de l'exploitation des ressources naturelles. «C'est un secteur d'activité à très forte intensité de capital, mais à faible coefficient de travail», dit Robert Gagné, du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal. «Ça reflète l'utilisation massive d'équipements et de machinerie dans cette industrie», dit Audrey Azoulay, directrice, affaires publiques et relations gouvernementales des Manufacturiers et exportateurs du Québec.
Dans son bilan 2013 de la prospérité et productivité au Québec, le Centre indique d'ailleurs que c'est en Norvège, parmi les pays de l'OCDE, de même qu'en Alberta que la productivité du travail et les niveaux de vie sont les plus élevés.En Montérégie et ailleurs au Québec
La Montérégie a contribué davantage que les régions de Montréal et de Québec à la croissance de la productivité du Québec ces dernières années. Une situation qui ne serait pas étrangère à l'attrait de la Rive-Sud pour un grand nombre d'entreprises qui ont choisi de s'y installer ou d'y déménager ces dernières années. «Pour celles qui exportent vers les États-Unis, c'est souvent plus rapide», fait valoir Robert Gagné, du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal, qui souligne que le parachèvement de l'autoroute 30 pourrait même accentuer ce mouvement.
Ces trois régions, les plus importantes en fait de poids économique, expliquent à elles seules plus de 45 % de la croissance provinciale de la productivité de 2002 à 2012, avec des contributions respectives de 17 %, 15 % et 14 %. À l'inverse, le Centre-du-Québec et l'Estrie affichent des contributions respectives de - 1 % et de - 2 %, et ont ainsi ralenti la croissance de la productivité au Québec. Outre la Montérégie, d'autres régions en périphérie de Montréal telles que Lanaudière (8 %), Laval (8 %) et les Laurentides (7 %) enregistrent près du quart de la croissance provinciale. Malgré cette contribution, les régions des Laurentides et de Laval ont vu la croissance de leur productivité décliner respectivement de - 10 % et de - 3 % au cours de cette période.