Avec une capitalisation de 14 milliards de dollars américains, l'allemande Adidas est numéro 2 mondial derrière sa vieille rivale, l'américaine Nike (capitalisation de 44,5 G$ US). Une lutte féroce menée à coup de nouveaux produits et de commandites. Prochaine étape pour son pdg Herbert Hainer : réduire du quart la collection Adidas, qui compte 47 000 articles. Je l'ai joint au siège social de l'entreprise, en Bavière.
Diane Bérard - Adidas vise une croissance de 42 % d'ici 2015, pour atteindre 17 milliards de dollars américains de ventes. Comment vous y prendrez-vous ?
Herbert Hainer - La moitié de cette croissance proviendra de trois marchés : les États-Unis, la Chine et la Russie. Quant aux catégories, c'est la course, le basketball et les sports extérieurs qui devraient contribuer le plus à l'atteinte de notre objectif.
D.B. - Comment ferez-vous pour que cette croissance soit durable ?
H.H. - Je dirige Adidas depuis 10 ans. Une chose n'a pas changé : notre industrie carbure à l'innovation. Adidas doit lancer au moins un nouveau produit par année. Je ne parle pas d'ajouter une couleur à l'offre d'un modèle de souliers ou de t-shirt. Il est plutôt question de véritable innovation à laquelle le consommateur confère une valeur ajoutée. Comme la technologie associée à la course que nous lancerons au printemps 2013.
D.B. - En 10 ans, vous avez remis Adidas sur les rails deux fois, en 2001 et en 2008. Quelles leçons avez-vous tirées de ces redressements ?
H.H. - D'un côté, il faut comprendre notre consommateur parfaitement et le placer au centre de toutes nos décisions. Mais, de l'autre, il faut aussi le surprendre, susciter son enthousiasme. Personne n'a besoin d'une paire supplémentaire de souliers de course ou d'un nouvel habit d'entraînement. C'est pourquoi les innovations à la marge (me-too products) ne fonctionnent plus. Il faut donner au consommateur une véritable raison d'acheter un nouvel équipement sportif : plus de performance, un style plus contemporain, etc.
Ce n'est pas parce qu'on achète un vêtement ou des chaussures de sport qu'on est sportif. Quelle proportion de vos revenus provient de produits «style de vie» ?
D.B. - Ce n'est pas parce qu'on achète un vêtement ou des chaussures de sport qu'on est sportif. Quelle proportion de vos revenus provient de produits «style de vie» ?
H.H. - Le quart de nos revenus provient de produits qui mettent de l'avant le style. C'est un segment en croissance, ce qui explique que nous ayons rafraîchi notre look en nous associant à des designers comme Stella McCartney et Yohji Yamamoto. Toutefois, même si le segment style de vie croît un peu plus rapidement que le segment performance, ce dernier nous rapporte encore les trois quarts de nos revenus. Et nous croyons qu'il en sera toujours ainsi. Il constitue l'essence de la marque Adidas. C'est ce qui attire les consommateurs chez nous.
D.B. - Qu'est-ce qui distingue vos marques Adidas et Reebok ?
H.H. - Adidas est notre marque de produits performance. Reebok, notre marque de produit de mise en forme. Chacune possède son propre univers de design, ses références linguistiques, ses canaux de distribution et de communication. Tout est dicté par les habitudes de la clientèle. On trouve le client Adidas sur le terrain de football, la piste de course, le terrain de tennis. Le client Reebok, lui, suit des cours de yoga, de Pilates, de Zumba. Il appartient à une communauté qui cherche le bien-être. Nous rejoignons ces adeptes par leurs instructeurs. Nous annonçons dans les magazines spécialisés qu'offrent les studios proposant ces cours. Le client Adidas, nous le rejoignons plutôt par des publicités à la télé.
D.B. - Parlez-nous votre marque Neo, dont les porte-parole sont les mégastars Justin Beiber et Selena Gomez.
H.H. - C'est une marque destinée aux 14-19 ans qui désirent suivre la mode, mais dont le budget est limité. Nous avons ouvert plusieurs magasins Neo en Chine et en Russie et nous sommes distribués dans plusieurs boutiques américaines. Nous testons présentement l'intérêt des consommateurs allemands pour Neo, et nous réfléchissons à notre stratégie pour les autres marchés matures de l'Europe.
D.B. - Vous avez acheté Reebok en 2006 pour 3,8 G$ afin de percer le marché nord-américain. Cette acquisition porte-t-elle ses fruits ?
H.H. - Depuis trois ans, nos ventes nord-américaines croissent chaque année. L'année 2012 marquera un recul. Nous avons mis fin à notre relation avec la NFL pour des raisons stratégiques. [Nike a remplacé Adidas comme fournisseur des produits de la NFL pour les cinq prochaines années.] Mais nous croyons que la gamme 2013 présentée aux détaillants américains devrait assurer notre croissance à nouveau.
En quoi vos clients américains diffèrent-ils de vos clients européens ?
D.B. - En quoi vos clients américains diffèrent-ils de vos clients européens ?
H.H. - Un joueur de tennis ou de football européen achète une ou deux paires de chaussures de sport par année. Pas plus. Mais il désire ce qu'il y a de mieux et ne lésine pas sur le prix. Débourser 150 ou 170 euros [192 $ et 244 $] ne le gêne pas. Le sportif américain, quant à lui, se procure quatre à cinq paires de chaussures par année. Il n'est donc pas enclin à payer aussi cher. Ce qui explique une différence de prix entre ces deux marchés pouvant atteindre 30 %. Évidemment, nous offrons aussi nos produits haut de gamme aux clients américains. Mais cette gamme rapporte beaucoup moins qu'en Europe. Aux États-Unis ce sont les chaussures de 70 $ à 90 $ qui se vendent le mieux.
D.B. - Adidas fait partie du Dow Jones Sustainability Index et possède un programme de responsabilité sociale des entreprises (RSE) depuis 2001. Pourtant, vos revenus reposent sur l'obsolescence planifiée. En quoi ce modèle respecte-t-il la RSE ?
H.H. - C'est un défi. Il faut trouver l'équilibre entre notre désir de croissance et notre responsabilité sociale. Nous ne pouvons pas cesser de lancer de nouveaux produits. C'est pourquoi il importe tant que nous investissions dans la réduction de notre empreinte écologique. L'un et l'autre ne sont pas en opposition, ils sont liés.
D.B. - Adidas commandite de nombreux événements sportifs. Comment vous protégez-vous contre le risque associé à la corruption ?
H.H. - Nos contrats de commandites spécifient tous que, si un joueur est reconnu coupable de fraude, nous pouvons mettre fin à notre association immédiatement. Nous l'avons fait pour l'univers du cyclisme il y a quelques années déjà, parce que nous ne voyons pas le jour où ce sport s'affranchira du dopage.