La nomination de Michael Sabia à la tête de la Caisse de dépôt et placement du Québec en mars 2009 avait déclenché une levée de boucliers au sein du Québec inc. et de la classe politique. Son mandat de cinq ans a été renouvelé sans problème en 2013, et le retour en force de la Caisse de dépôt depuis la crise financière de 2008 est salué par les analystes. Portrait d'un bourreau de travail.
*Écrit en collaboration avec François Normand, Antoine Letellier, Matthieu Charest et René Vézina.
Québec, vendredi 13 mars 2009. Le gouvernement libéral de Jean Charest crée une onde de choc : il nomme Michael Sabia, l'ancien patron de BCE, au poste de président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Un Ontarien à la tête du bas de laine des Québécois, c'est du jamais vu depuis sa création en 1965.
L'institution souffre alors des impacts de la crise financière de 2008, et aucun des membres du conseil d'administration n'a vu son mandat renouvelé. Trois semaines avant la nomination du nouveau patron, le 25 février, la Caisse déclarait un rendement négatif de 25,1 % pour l'exercice 2008, la pire performance de son histoire, bien inférieure à la médiane des caisses de retraite canadiennes (- 18,4 %). De plus, la Caisse est au coeur du fiasco du papier commercial adossé à des actifs (PCAA) qu'elle détenait avant la crise financière de 2008. Pour éponger cette perte, la Caisse a dû passer une charge (des moins-values non matérialisées) totalisant 5,9 milliards de dollars.
Michael Sabia prend donc la barre de la Caisse en pleine tempête, ce qui explique sans doute en partie pourquoi il a renoncé à son arrivée aux augmentations salariales annuelles et au régime de retraite. Son principal mandat à la tête de l'institution ? Récupérer les 39,8 G$ que la Caisse a perdus en 2008. Ce qu'il réussit à faire au cours de l'exercice 2011 (au 30 juin), année où l'actif net sous gestion s'établit à 158 G$. Avant la crise, il s'élevait à 155,1 G$.
«Aujourd'hui, les Québécois sont rassurés. Les résultats et la constance des rendements le démontrent. Michael Sabia a livré la paix», dit Diane Lemieux, ancienne députée péquiste et directrice générale de la Commission de la construction du Québec, nommée au conseil d'administration de la Caisse en 2014.
Pourtant, lors de sa nomination en 2009, les détracteurs de Michael Sabia sont nombreux au Québec. Jean-Martin Aussant, un député du Parti québécois ayant oeuvré en finance (il fondera plus tard Option nationale), met en doute ses compétences. «Michael Sabia ne possède ni expérience en gestion des investissements ni expérience en gestion du risque, ce qui va être très nécessaire à la Caisse dans son redressement.» L'ancien premier ministre Bernard Landry parle pour sa part d'une «provocation» du gouvernement Charest.
Chargée de recruter le nouveau patron de la Caisse, la ministre des Finances du Québec de l'époque, Monique Jérôme-Forget, affirme aujourd'hui que Michael Sabia était la personne toute désignée pour prendre les rênes de l'institution, en raison de son «intelligence», de ses «valeurs» et de ses «convictions».
À l'époque, Egon Zehnder International, un chasseur de têtes, soumet au gouvernement une vingtaine de noms. Cette liste passe rapidement à 5 candidats, puis à 3. Mais Monique Jérôme-Forget ne rencontre que Michael Sabia.
«À un moment donné, on se fait une idée de ce qu'on veut. Aussi, quand j'ai rencontré Michael, je savais que j'avais le bon candidat», dit celle qui est aujourd'hui conseillère au cabinet d'avocats Osler.
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De la TPS à BCE
Rien ne prédestinait vraiment Michael Sabia à diriger la Caisse de dépôt. Né à St. Catharines en Ontario en 1953, dans une famille de quatre enfants, Michael Sabia commence sa carrière au ministère des Finances du Canada en 1983. Il arrive à une époque charnière.
Le gouvernement conservateur de Brian Mulroney souhaite abolir la taxe manufacturière de 13,5 %, qui plombe les exportations canadiennes, alors que l'Accord de libre-échange avec les États-Unis s'apprête à entrer en vigueur, le 1er janvier 1989. Le ministère des Finances, Michael Wilson, confie à la recrue Michael Sabia la délicate tâche de concevoir et d'implanter une taxe de remplacement, la fameuse TPS.
Michael Sabia réussit à manoeuvrer ce dossier hautement politique et controversé, se souvient Paul Tellier, alors greffier du Conseil privé et secrétaire du cabinet. Selon lui, Michael Sabia a une grande qualité, rare dans les milieux politiques : il donne l'heure juste. «Il ne dit pas aux politiciens ce qu'ils veulent entendre, et c'est une chose que Mulroney acceptait et recherchait», dit celui qui est aujourd'hui administrateur de sociétés.
Michael Sabia quitte la fonction publique fédérale en 1993. Il suit son mentor Paul Tellier, lorsque ce dernier prend les rênes du Canadien National. À son arrivée, la société d'État perd alors 1 G$ par année, et elle est sur le point d'être privatisée.
Aux dires de Paul Tellier, le succès de la privatisation revient en bonne partie à Michael Sabia, principalement en raison de son intelligence. «C'est l'un des individus les plus intelligents que j'aie côtoyés.»
Fort de son succès au CN, Michael Sabia passe chez BCE, en 1999.
Jean Monty est alors président et chef de la direction de l'entreprise. Michael Sabia devient chef de la direction de Bell Canada International (BCI), une filiale de BCE. Et il se prépare à vivre des moments difficiles.
La bulle techno éclate en 2000. De plus, la société mère, BCE, affronte une multitude de problèmes. Outre la conjoncture qui plombe BCI, Michael Sabia fait face aux conséquences des décisions de Jean Monty, qui se sont révélées désastreuses. L'investissement de 7,5 G$ dans l'opérateur interurbain Téléglobe a causé des pertes importantes pour l'entreprise.
Jean Monty est finalement poussé vers la sortie en 2002. Son poste est scindé en deux. C'est Michael Sabia qui le remplacera comme chef de la direction, et le conseil sera présidé par Richard Currie.
Ensuite, pour tenter de sortir la tête de l'eau, la direction de BCE supprime près de 8 000 emplois et se départit de plusieurs actifs, notamment du Groupe Pages Jaunes et de Telesat. La situation ne s'améliore pas assez rapidement au goût de Teachers'. «Nous n'étions pas des fans de Michael Sabia», confie l'ancien patron du régime de retraite des enseignants de l'Ontario, Claude Lamoureux.
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Teachers' signale son intention d'acheter BCE. Michael Sabia tente de l'en dissuader, sans succès. Le patron de BCE décide alors de faire monter les enchères. Il fait naître une alliance, formée entre autres de la Caisse de dépôt et du Régime de pensions du Canada.
En 2007, le groupe piloté par Teachers' sortira vainqueur de cette guerre d'enchères. Malgré tout, 18 mois plus tard, en pleine crise financière mondiale, l'entente ne tient plus en raison de l'augmentation des coûts d'emprunt. Après une saga judiciaire, Teachers' réussit à se sortir d'une entente devenue rebutante.
Le bilan de Michael Sabia chez BCE est donc contrasté, car il n'est pas vraiment parvenu à créer de la valeur pour les actionnaires, d'où la fronde menée par Teachers'.
La méthode Sabia
Michael Sabia arrive à la Caisse de dépôt alors que l'ambiance lui est hostile. D'une part, parce qu'il est anglophone et ne fait pas partie de «la gang de Québec inc.», le bassin naturel dans lequel le gouvernement du Québec puise les dirigeants de la Caisse. D'autre part, en raison de son bilan chez BCE.
Jean-Pierre Ouellet, qui était alors vice-président de RBC Marchés des Capitaux, trouve que les critiques sont sévères.
«Les gens oublient que lorsqu'il est arrivé en 2002, après Jean Monty, la situation était d'une précarité dont on n'a pas idée et que BCE était au bord du précipice», dit-il.
En 2009, les préjugés à l'égard de Michael Sabia sont donc tenaces.
C'est pourquoi Brian Mulroney - qui le connaît très bien - organise quelque temps après sa nomination un souper privé à Montréal, au Club Mont-Royal, pour le «présenter» au Québec inc.
L'ex-premier ministre du Canada convie alors une quarantaine de grands patrons, dont Pierre Karl Péladeau, de Québecor, et Paul Desmarais junior, de Power Corporation.
«Je leur ai dit : on est très chanceux nous, Québécois, d'avoir un grand monsieur de talent qui accepte cette responsabilité publique, raconte- t-il. Lorsque vous regarderez son bilan, dans 5, 10 ou 15 ans, vous direz que le choix de Sabia comme président de la Caisse était réussi.»
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Six ans après sa nomination, rares sont ceux qui critiquent encore Michael Sabia.
«Il a concentré les activités de la Caisse dans les domaines où elle ajoutait de la valeur, comme les placements privés, l'immobilier et les actions canadiennes», dit Claude Garcia, ancien président de la Standard Life au Québec et membre du conseil d'administration de la Caisse, de 2005 à 2009.
Il a aussi grandement amélioré la gestion des risques de placement de l'institution, affirment plusieurs observateurs, dont Claude Bergeron, premier vice-président et chef de la direction des risques à la Caisse de dépôt.
L'institution a par exemple investi afin de doter les analystes et les gestionnaires de portefeuille des meilleurs outils de mesure. «Tout cela ne vise qu'une chose : faire naître ou perdurer une culture de gestion des risques», souligne Claude Bergeron.
Yvan Allaire, président de l'Institut sur la gouvernance des organisations privées et publiques, souligne que Michael Sabia a constaté que la Caisse devait agir comme un investisseur à long terme, soulignant les investissements dans CGI, SNC-Lavalin ou WSP. «Il a compris qu'il ne faut pas laisser les entreprises à la merci des investisseurs touristes, qui vont et qui viennent», dit celui qui a siégé au conseil d'administration de la Caisse avant la nomination de Michael Sabia.
L'ancien patron de la Caisse, Richard Guay (nommé le 5 septembre 2008, il a démissionné le 5 janvier 2009, après avoir été mis au repos par son médecin le 12 novembre), souligne la constance des «bons» résultats de l'institution depuis l'arrivée de Michael Sabia. «C'est excellent pour la Caisse, les déposants et le Québec tout entier, écrit-il dans un courriel. Pour un observateur de la Caisse, il ne fait pas de doute que M. Sabia est un bon président avec de bons résultats et qu'il est un bon communicateur.»
Certains de ses détracteurs, comme Bernard Landry, font même amende honorable. «Toutes mes réserves ont disparu», dit-il.
Selon lui, Michael Sabia a fait du bon travail, car il a notamment compris que la Caisse joue un rôle important dans l'économie du Québec. «L'idée de financer les infrastructures, par exemple, est à la fois intelligente et audacieuse, pourvu qu'on procède au cas par cas.»
Même l'ex-patron de Teachers', Claude Lamoureux, reconnaît la contribution de Michael Sabia. «Il s'est adapté, il a diminué les risques, et il a calmé la situation.»
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