«Nous sommes inquiets.» Ainsi s'ouvrait le manifeste «Pour un Québec lucide» publié il y a 10 ans. Mais pour l'économiste Pierre Fortin, l'un des principaux ténors du groupe de signataires, il ne fait aucun doute que les dépenses en santé figurent maintenant au sommet des préoccupations exposées à l'époque.
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«On n'a pas le choix. Avec la vitesse de croissance des dépenses en santé et du vieillissement de notre population, le financement de la santé dans l'avenir est devenu pour moi une source majeure d'inquiétude», a admis Pierre Fortin, professeur émérite au Département des sciences économiques de l'Université du Québec à Montréal (UQAM), en entrevue avec Les Affaires.
Dans le budget 2015-2016 du gouvernement du Québec, la santé représente le plus grand poste de dépenses, à 32,9 milliards de dollars, comparativement à 16,9 G$ pour l'éducation.
«Je ne veux pas être méchant, mais tous les efforts du gouvernement actuel ne changent pas grand-chose à notre système de santé, affirme M. Fortin. Le gouvernement ne fait que peser sur le couvercle pour empêcher l'explosion de la croissance des dépenses et permettre aux ministres Martin Coiteux et Carlos Leitao d'atteindre l'équilibre budgétaire promis.»
Vers un mur
De 2007 à 2014, les dépenses en santé se sont accrues de 5 % par année, souligne M. Fortin. Pendant ce temps, le PIB du Québec n'a grimpé en moyenne que de 3 %, et toutes les autres dépenses du gouvernement, de 2,5 %.
À cette augmentation s'ajoute le vieillissement de la population, qui va de pair avec une réduction exponentielle de la population active (les 18 à 64 ans). Le Québec perd naturellement de 3 000 à 5 000 citoyens actifs par année. Or, les études montrent qu'un citoyen de 65 ans et plus coûte cinq fois plus cher en soins de santé que le reste de la population.
«Je ne suis pas un expert du secteur de la santé. Mais en tout respect, si tu vois un rhinocéros foncer à 100 km/h dans un mur de ciment, tu n'as pas besoin d'être un expert en zoologie pour prédire que ça va mal finir. Et je peux même vous dire que ce n'est pas le mur qui va écoper, mais le rhinocéros. C'est pareil en santé. À laisser les choses aller, les risques sont grands que ça finisse mal.»
Si une mise à jour du manifeste devait être faite aujourd'hui, Pierre Fortin affirme qu'elle serait probablement consacrée en grande partie au problème de l'explosion prévisible des dépenses dans ce secteur.
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«C'est épouvantable ! Des bulletins de tous les organismes internationaux nous disent que le Canada a une des pires performances en santé parmi les pays avancés. Ce n'est pas des farces, poursuit-il, nous sommes ceux qui dépensons le plus en santé et aussi, par ailleurs, ceux qui performent le moins bien. On n'a pas le choix, il faut se poser des questions.»
Pierre Fortin précise par contre que le modèle québécois n'est pas en cause dans son ensemble. Toutes les dépenses de l'État québécois, hormis celles en santé, augmentent moins rapidement que le PIB. Mais comme les autres provinces, le Québec doit composer avec la Loi canadienne sur la santé, qui limite les possibilités de réforme et conditionne les versements fédéraux (34 G$ annuellement) dans ce domaine aux provinces.
Le retard économique
L'économiste est d'avis que le retard économique du Québec ne se pose presque plus aujourd'hui. Surtout, selon lui, par rapport à l'Ontario, où le PIB par habitant n'est plus que légèrement supérieur à celui du Québec. Mais lorsque l'on considère que presque tout ce qui est vendu dans cette province coûte plus cher qu'ici, les Québécois en sortent gagnants, estime-t-il.
Cela dit, si le Québec rejoint le niveau de productivité des autres provinces, elle reste de 15 % inférieure à celle des États-Unis. Cette situation préoccupe M. Fortin. Il ajoute qu'il n'existe pas de solution miracle : «C'est comme un monstre qu'on veut éliminer dans un jeu vidéo. Ça prend parfois 60 tirs avant qu'il explose. C'est pareil avec la productivité. À force de travailler sur le problème, on finira par y parvenir.»
Pas découragé
Pierre Fortin est particulièrement fier d'avoir pu, grâce à la publication du Manifeste et au bruit médiatique qui a suivi, parvenir à faciliter la prise de certaines décisions par le gouvernement.
C'est le cas de l'adoption, par les libéraux, de lois obligeant les gouvernements à dégager des surplus budgétaires et instituant le Fonds des générations. «Je crois que nous avons exercé une influence claire sur la prise de ces deux décisions par le gouvernement de Jean Charest.»
Évidemment, tout n'est pas parfait. La majorité des suggestions présentées par les Lucides il y a 10 ans ont été rejetées par le gouvernement ou sont restées lettre morte.
Découragé ? «Bien non, je ne suis pas découragé. Une condition fondamentale de la vie publique est d'être prêt à pousser tout le temps et à prendre les revers pour des encouragements. On pousse et on pousse, comme lorsqu'on essaie de sortir une voiture d'un banc de neige.»
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