La Wallonie lutte pour sa survie économique. Huit ans après l'instauration d'un véritable plan Marshall, à coup d'investissements de milliards d'euros, elle poursuit tête première sa stratégie des pôles de compétitivité pour transformer son économie. Avec des résultats, elle s'en rend bien compte, qui tardent encore.
Le géant de l'acier ArcelorMittal a déjà été un pilier de l'économie de la Wallonie, qui représente la moitié francophone de la Belgique. Mais c'est aujourd'hui un pilier fragile.
Depuis 2011, l'entreprise indienne a procédé à la fermeture de trois de ses usines belges (Seraing, Chertal et Ougrée). Elle prépare la fermeture de quatre autres sites (dont Marchin et Flémalle) et elle annonçait, fin mai, le report d'investissements promis de 32 millions d'euros, pour la mise à niveau de ses activités restantes.
Les Wallons ne comptent plus les cas de ces villes industrielles abandonnées par les multinationales des industries lourdes, comme ce fut le cas ailleurs, dans le Nord-Pas-de-Calais, en France, ou plus près de nous, à Chandler et Murdochville, en Gaspésie. En Wallonie, ces régions orphelines portent les noms de Charleroi, La Louvière ou Hainaut.
Le charbon, la sidérurgie, la construction métallique, la verrerie et la chimie lourde ont fait la richesse de la Wallonie et de la Belgique au 19e siècle et jusqu'à la fin des années 1960. Mais ces secteurs sont aujourd'hui ou bien disparus, ou bien devenus l'ombre de ce qu'ils étaient.
À la crise économique qui frappe durement l'ensemble de l'Europe, en Wallonie, s'ajoute une crise structurelle.
«Ce que vit la région constitue un drame humain et social qui me va droit au coeur, confie Thierry Bodson, secrétaire général pour la Wallonie de la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), attablé à une terrasse de Liège. La relance de l'économie viendra, poursuit-il. Mais qui pourra en profiter ? Malheureusement, je le crains, pas ceux qui ont perdu leur emploi.»
Six secteurs prioritaires
Les travailleurs qui ont vu leur emploi disparaître risquent d'avoir du mal à se reclasser dans l'un des secteurs sur lesquels la Wallonie a misé pour relancer son économie. Il y en a six : la logistique, l'aéronautique et l'espace, le génie mécanique, les sciences du vivant, l'agro-industrie et les technologies environnementales.
En 2005, alors que le taux de chômage excédait 19 %, le gouvernement wallon a lancé le plan de relance économique de la Wallonie, un ambitieux train de mesures, immédiatement surnommé par la presse locale de «plan Marshall» par analogie au programme d'aide destiné à stimuler la reconstruction de l'Europe après la Seconde Guerre mondiale.
Son objectif avoué, inspiré par les travaux sur les clusters de l'économiste américain Michael Porter : instaurer en Wallonie des pôles de compétitivité et favoriser l'émergence de synergies nouvelles entre les entreprises et l'univers de la recherche, dans l'espoir de faire naître une culture d'entrepreneuriat capable de compenser les emplois perdus.
«On a voulu radicalement changer les comportements, explique le ministre de l'Économie, Jean-Claude Marcourt, à qui on attribue la paternité de ce plan Marshall belge. Pour profiter de notre soutien, il fallait un projet impliquant un minimum de deux entreprises et de deux centres de recherche.»
Le gouvernement ne lésine pas sur les moyens. Une enveloppe de 1,5 milliard d'euros (G¤) a d'abord été consacrée à ce programme, à laquelle ont été ajoutés 2,5 G¤ pour sa reconduction (plan Marshall 2.vert), de 2009 à 2013.
Du financement pour une trentaine de projets de R-D
Dans ce sillon, une nouvelle génération d'entreprises tournées vers les six secteurs de pointe émerge.
Le pôle aéronautique et spatial, connu sous le vocable de Skywin, est l'un des plus importants. Il regroupe 120 entreprises, compte 6 400 emplois directs et a des ventes de 1 G¤ annuellement. Du nombre, aucun donneur d'ordres, mais des entreprises très nichées, dont quelques intégrateurs de premier rang capables d'alimenter les Airbus et Boeing.
L'une d'elles est incontournable : Sonaca, établie à Charleroi, aussi présente à Mirabel, qui se spécialise dans les bords d'attaque d'aile. Également, la société Amos, de Liège, dont les télescopes géants et les outils de test au sol pour satellite sont présents dans le monde entier.
Enfin, Techspace Aero, d'Herstal, filiale de la française Safran, fabrique des compresseurs basse pression, vendus 1 M$ US pièce, pour des moteurs d'avions. Aujourd'hui, environ 25 % de sa R-D est financée par des budgets du plan Marshall. Même chose pour Amos, confirme Jean-Pierre Chisogne, son directeur des ventes et du marketing.
Jusqu'à maintenant, le plan Marshall a financé une trentaine de projets de R-D, pour quelque 150 M¤. Il aura aussi permis le dépôt d'une vingtaine de brevets et la création d'un peu moins d'une dizaine d'entreprises du secteur, dont Coexpair, de Namur, se réjouit Jean-Jacques Westhof, directeur des exportations de l'Union wallonne des entreprises (UWE).
Un autre pôle à succès : celui des sciences du vivant (connu sous le nom de BioWin), estime Philippe Suinen, grand patron de l'Agence wallonne à l'exportation et aux investissements étrangers (AWEX), et ce, tant sur le plan de l'implantation d'entreprises étrangères - mentionnons simplement Johnson & Johnson, dans le Brabant wallon - que sur celui de la croissance d'entreprises existantes.
C'est le cas d'Eurogentec et de Mithra, deux entreprises issues des services de transfert technologique du GIGA, un important centre de recherche en biotechnologies associé à l'Université de Liège. Mithra, qui a créé plusieurs centaines d'emplois, se spécialise dans la conception de produits contraceptifs et de produits de lutte contre les cancers de l'utérus et du sein. Grâce à un modèle d'entreprise unique, Mithra poursuit son expansion internationale dans 43 pays d'Europe, d'Asie et d'Amérique du Sud.
Des résultats encore peu concluants
En tout et partout, on estime que le pari wallon aurait permis de créer 46 388 emplois, d'apporter 31 165 aides directes aux entreprises et de financer les travaux de 1 793 chercheurs, selon le dernier bilan du gouvernement. Depuis 2009, le plan Marshall a également permis le financement de 19 sociétés issues de l'essaimage, en soutien à la création de nouvelles activités, à haute valeur ajoutée.
Il n'empêche que les résultats concluants continuent à se faire attendre en Wallonie, tandis que les grandes entreprises de l'ancienne économie lui tournent toujours le dos.
Et les emplois continuent de se faire rares... Rares et précaires. Des 20 000 travailleurs et plus que la sidérurgie faisait vivre dans la région liégeoise, il n'en reste plus que le quart.
Résultat : un taux de chômage excédant toujours 16 % en Wallonie, le double de sa voisine néerlandophone, la Flandre (8 %). Il atteint même 25 % dans certaines «poches de pauvreté». Le chômage touche particulièrement les plus jeunes et les plus de 50 ans, dont la réintégration dans l'économie du savoir n'est pas gagnée.
«Bien sûr que ça ne nous satisfait pas. On espérait des résultats plus rapides. Mais il y a des éléments exogènes à la Belgique [la crise économique] dont il faut tenir compte», rappelle M. Suinen, de l'AWEX.
Outre des problèmes de chômage, de manque d'emplois (seulement 26,5 % des emplois salariés du pays s'y trouvent) et d'une main-d'oeuvre jugée trop peu multilingue, la Wallonie traîne un triste taux de décrochage scolaire de 14,7 % (9,6 % en Flandre), un non-sens pour un pays qui a tout misé sur les secteurs de pointe.
L'insaisissable regain de confiance
Ces chiffres ne rendent pas encore justice aux changements - lents - en cours, s'entendent les observateurs. D'autant qu'au-delà des statistiques, c'est le retour de l'espoir dans la population, un genre de «Yes, we can» manière wallonne, qui serait pour le moment le résultat le plus évident de la longue marche initiée il y a huit ans.
«On observe un changement de mentalité, reconnaît le syndicaliste Thierry Bodson, d'un naturel critique. Il y avait un fatalisme ambiant qui est en train de disparaître, au fur et à mesure qu'émergent des success stories comme Mithra ou EVS Broadcast Equipment.»
Une nouvelle étude de l'Agence de situation économique montre justement que les jeunes Wallons auraient aujourd'hui repris massivement goût à l'entrepreneuriat ; un jeune de 17 à 30 ans sur deux projetterait aujourd'hui de démarrer sa propre entreprise. «En Wallonie, on considère maintenant que l'audace est réaliste», se réjouit M. Suinen.
Mesurant les changements survenus au fil des ans, Jacques Smal, vice-président, stratégie de Techspace Aero, en remet : «Là où on nous demandait de l'argent il y a 30 ans, on nous demande aujourd'hui des technologies. Nous étions des hommes du métal et, l'air de rien, nous devenons peu à peu des chimistes !»
Notre journaliste s'est rendu en Belgique à l'invitation de l'Agence wallonne à l'exportation et aux investissements étrangers.
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