Interview avec Jean-Claude Marcourt, considéré comme le père du plan Marshall de Wallonie.
LES AFFAIRES - Depuis 2005, le plan Marshall et les pôles priorisés ont profité d'investissements publics colossaux, de quatre milliards d'euros. Ces dépenses sont-elles remises en question ?
Jean-Claude Marcourt - Non. Il est clair que la crise économique est douloureuse pour une partie de la population. Mais ça ne remet pas en cause son adhésion au plan initial. Il y a aujourd'hui, en Wallonie, un sentiment que l'avenir de la région repose sur la croissance des entreprises, la richesse générée par ces entreprises et leur capacité de créer des emplois.
L.A. - Après huit ans, est-ce que le plan Marshall fait face à une lassitude de la population ou de l'appareil politique ?
J.-C.M. - Pas vraiment. Il y a une volonté de poursuivre le plan Marshall. Je crois que le temps économique ne répond pas au temps politique, et qu'il est vain d'essayer de synchroniser les deux. Les changements économiques se déroulent toujours plus lentement qu'espéré. Un des grands fondements des opérateurs économiques est la continuité dans l'action. Ça ne sert à rien de dépenser beaucoup d'argent pendant deux ans et de tout arrêter. Il faut avoir des politiques de soutien jusqu'à ce que le besoin s'épuise. Bref, je crois qu'il devra y avoir un troisième plan Marshall en 2014-2019.
L.A. - Quels obstacles ce chantier a-t-il affrontés ?
J.-C.M. - Je vous donnerai deux exemples. Le premier est la rigidité des choses. Les gens et donc les organisations qu'ils dirigent ont peur du changement. Ça oui, il y a une formidable résistance au changement ! Le deuxième obstacle qui s'est posé est celui de l'attractivité. Comme le premier plan Marshall (2005-2009) a bien fonctionné, tout le monde s'est mis à vouloir faire partie de la deuxième mouture (plan Marshall 2.vert), ce qui a fait en sorte que sa lisibilité était moins forte que celle du premier. J'aimerais, à l'avenir, que l'on retrouve une plus grande sélectivité.
L.A. - Quel est le problème ? Cette mobilisation est pourtant un signe d'adhésion, non ?
J.-C.M. - Vous avez raison. D'autant que c'est légitime. Comme le plan Marshall a été considéré comme prioritaire, tout le monde a voulu faire partie de cette priorité. Toutefois, je pense qu'il faut garder en tête qu'un plan économique n'a pas pour mission de soutenir l'ensemble de l'économie d'un pays, mais plutôt celle de soutenir un certain nombre d'axes précis qui sauront ensuite tirer l'ensemble de l'économie vers le haut.
L.A. - Comment surmonter la peur du changement ?
J.-C.M. - Je crois beaucoup à l'exemplarité du succès. Il faut se montrer insensible aux critiques, insensible au fait que les choses prennent plus de temps que prévu, et être capable de montrer que ça marche.
L.A. - Est-ce que la partie de l'électorat qu'on peut qualifier de sacrifiée de la nouvelle économie, parce qu'elle n'a pas les moyens d'étudier ou de retourner à l'école, vous en a voulu ?
J.-C.M. - Je ne crois pas qu'elle m'en a voulu. Mais vous avez totalement raison, il faut résoudre la difficulté de ceux qui n'ont pas la chance de faire des études supérieures. Et dans les prochaines années, arriver à faire une sorte de plan Marshall de l'éducation pour parvenir à rendre l'éducation beaucoup plus inclusive. Je ne prétends pas que chacun doit faire des études supérieures, mais au moins profiter d'une formation qualifiante. Là-dessus, nous avons encore des choses à faire. Il faut aller à la rencontre des populations les plus fragilisées, les inclure dans la société. Et pour y parvenir, il faut les inclure dans l'éducation.
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Tableau: LA BELGIQUE EN BREF¹
Trois régions
Bruxelles-Capitale
Flandre
Wallonie
Langues parlées
Français (Wallonie et Bruxelles)
Néerlandais (Flandre et Bruxelles)
Allemand (partie est)
Population : 11,1 millions
Superficie : 30 528 km2
PIB
484,49 milliards de dollars (Canada : 1 818,32 G$)
PIB par habitant
43 667,89 $ (Canada : 52 209,92 $)
Taux d'inflation : 2,8 % (Canada : 1,52 %)
Taux de chômage : 12,1 %
Exportations canadiennes vers la Belgique : 2,4 G$
Exportations belges au Canada : 1,7 G$
La Wallonie en bref
Superficie : 16 844 km2 (55 % du territoire belge)
Population : 3,5 millions (31,7 % de la population belge)
¹ Données économiques de 2012, à l'exception de celles sur les exportations, qui concernent 2011. Montants convertis en dollars canadiens.
Sources : Gouvernement du Canada, Statistique Canada, FMI, EIU, BFP, UWE