Québec fait volte-face dans le dossier de l'exploration et l'exploitation des gaz de schiste, une filière dont l'avenir n'est plus du tout assuré. Soudainement, le mot moratoire n'est plus tabou.
La fuite décelée dans un puits de gaz de schiste de la région de Lotbinière a été la goutte qui a fait déborder le vase.
Visiblement excédé, le ministre du Développement durable, Pierre Arcand, juge désormais que l'industrie ne contrôle tout simplement plus la situation.
En point de presse vendredi, en marge d'un caucus des députés libéraux à Lac-Beauport, près de Québec, le ministre Arcand n'a pas voulu répéter la position officielle du gouvernement dans ce dossier.
Jusqu'ici, tout moratoire relatif à l'exploration et l'exploitation des gaz de schiste était exclu par le gouvernement Charest. Le Québec avait "un rendez-vous avec l'histoire" dans ce dossier, disait la ministre des Ressources naturelles, Nathalie Normandeau, pour justifier le développement de la filière.
Mais à compter de maintenant, Québec semble être ouvert à tout scénario. "Il y a différentes formules qui peuvent exister", s'est contenté de dire M. Arcand, sans vouloir élaborer.
Québec devra aussi tenir compte du fait que les entreprises impliquées possèdent des permis d'exploration et ont déjà investi énormément d'argent dans ce projet.
Mais chose certaine, le ministre s'est décrit comme un homme "extrêmement préoccupé par ce qui se passe". Il dit commencer à se "poser des questions".
Au Québec, l'exploitation des gaz de schiste "se fera correctement ou il n'y en aura tout simplement pas", a tranché M. Arcand, qui lui aussi parlait jusqu'alors d'encadrer le développement de cette industrie, mais pas de remettre en question sa pertinence.
En conférence de presse de clôture des travaux du caucus libéral, le premier ministre Jean Charest a renchéri sur le même ton. "Il y aura de l'exploration et de l'exploitation des gaz de schiste à la condition que ça puisse être fait correctement", a-t-il dit.
L'accumulation d'incidents, d'infractions, de contestations et d'interrogations de la part de la population semblent avoir eu raison de la patience du ministre Arcand, qui jusqu'à maintenant se montrait inflexible, rejetant tout moratoire.
"Je sens que l'industrie n'a pas le contrôle de la situation", a-t-il pourtant reconnu vendredi. Il s'est dit prêt à "arrêter" l'industrie, s'il jugeait la santé ou la sécurité de la population menacées.
Sa collègue des Ressources naturelles, Nathalie Normandeau, qui a défendu depuis des mois le dossier des gaz de schiste bec et ongles, sur toutes les tribunes, était absente du caucus libéral jeudi et vendredi.
Québec ne prendra cependant pas de décision dans ce dossier tant qu'il n'aura pas reçu le rapport du BAPE (Bureau d'audiences publiques sur l'environnement), attendu en février.
Il faut rappeler à ce propos que le gouvernement avait confié un mandat restreint au BAPE, qui n'a pas à se prononcer sur la pertinence d'exploiter ou non ces gaz, mais uniquement d'encadrer le développement de l'industrie, de manière à minimiser son impact sur l'environnement.
Selon le directeur de l'Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ), Stéphane Gosselin, Québec n'a pas retourné sa veste. "Pour moi, un volte-face aurait été que le gouvernement annonce aujourd'hui un moratoire", a-t-il affirmé, ajoutant qu'il avait entendu à maintes reprises les propos du ministre Arcand.
"Aujourd'hui, il a tout simplement répété un message que je l'ai souvent entendu répéter et même que l'industrie a souvent répété, c'est qu'on souhaite que cette industrie-là s'implante, mais en respectant l'environnement et qu'elle adopte les meilleures pratiques", a-t-il ajouté.
M. Gosselin se dit donc d'accord avec Pierre Arcand. "Les membres de l'Association veulent développer une industrie qui va être là pour des dizaines et des dizaines d'années. On veut pas débarquer là et au bout d'un an avoir un problème environnemental. Cela va contre les investissements que l'on voudrait faire", a-t-il conclu.
Pendant ce temps, dans Lotbinière, la compagnie Talisman Énergie travaille depuis plusieurs semaines à réduire les émanations de gaz dans un puits de Leclercville.
Lors d'une inspection réalisée l'automne dernier, le ministère des Ressources naturelles a détecté des émanations de gaz supérieures aux normes.
Nature Québec demande pour sa part la fermeture complète du puits et un moratoire sur l'industrie du gaz de schiste.
"M. Arcand semble se réveiller, tant mieux, et jouer son rôle de ministre de l'Environnement, mais il va falloir plus que ça, a dit Christian Simard, directeur général de l'organisme, en conférence de presse. Donc, on arrête totalement ce puits, qu'on fasse un moratoire et qu'on soit d'une transparence absolue."
M. Simard a tout de même constaté qu'il s'agit d'un "changement de ton" de la part du gouvernement.
En marge de la conférence de presse, Serge Fortier, membre et porte-parole du Comité de vigilance sur le gaz de schiste (Lotbinière-Bécancour), a accueilli favorablement les propos du ministre Arcand, tout en conservant un certain scepticisme.
"Ça montre que le gouvernement se rend compte de ce qu'on constate et des inquiétudes qu'on a depuis longtemps, a-t-il dit. Reste à voir maintenant si ça va être appliqué ou si c'est juste des mots."
Pour ce qui est de l'ensemble des 28 autres puits présentement en activité, le ministère a dépêché ses inspecteurs pour constater l'état des lieux et la conformité aux normes, a dit le ministre Arcand.
"Je surveille ça de façon constante", a-t-il dit.