Dix-huit mois se sont écoulés depuis qu'Ottawa a annoncé son intention d'abolir le crédit d'impôt pour les cotisations aux fonds de travailleurs. Arrivé à la tête du Fonds de solidarité FTQ en juin, Gaétan Morin refuse de déclarer forfait, persuadé que le fédéral devra battre en retraite. Le nouveau pdg a accordé à Les Affaires sa première entrevue éditoriale, quelques jours avant la prochaine assemblée générale annuelle des actionnaires, le 27 septembre.
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Vêtu d'un veston sobre et de lunettes à monture fine, Gaétan Morin, un grand mince de 54 ans, n'a pas la carrure du fier-à-bras. Son sourire serein et sa voix posée évoquent une assurance tranquille, celle que la promotion de la mission «incontournable» du Fonds FTQ suffira à convaincre le gouvernement de maintenir l'avantage fiscal dont profitent ses cotisants.
«Les conservateurs ont nettement sous-estimé la réaction que susciterait son projet, plaide M. Morin, installé à une petite table de réunion dans son bureau. Le milieu des affaires est avec nous. On ne lâchera pas !»
Le pdg a lui-même été «estomaqué» par l'ampleur de l'appui reçu. Les chambres de commerce, le patronat et les quatre principaux partis provinciaux ont tous dénoncé cette décision. Une pétition a permis de recueillir près d'une centaine de milliers de signatures contre ce projet. «D'entendre des entrepreneurs de partout au Québec expliquer pourquoi le Fonds était important pour eux, j'en avais la gorge serrée», confie-t-il.
À moins d'un changement de cap, le crédit d'impôt fédéral de 15 % passera à la trappe en 2017. D'ici là, il diminuera progressivement à 10 % en 2015 et à 5 % en 2016. La déclaration fiscale de 2014, soit celle que les Canadiens rempliront le printemps prochain, est la dernière dont le crédit est intact. Au provincial, le crédit reste à 15 %.
Ottawa veut plutôt soutenir le développement du capital de risque dans le secteur privé. Le ministère des Finances a décidé de mettre en place un soutien de 400 millions de dollars, répartis sur 7 à 10 ans.
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Un outil économique
Contrairement à son prédécesseur, Yvon Bolduc, qui dénonçait «une attaque idéologique» contre laquelle il avait l'intention de se battre, M. Morin adopte le ton de l'ami qui vous veut du bien. Les conservateurs et les hauts fonctionnaires du ministère des Finances n'ont tout simplement pas compris «l'importance» du Fonds pour le développement économique. «Le temps qui passe démontre la force de nos arguments», assure-t-il.
Il fait valoir que le Fonds de solidarité est actif sur plus d'un front. «Nous comblons plusieurs vides en investissant en région, dans le capital de risque et dans des secteurs de pointe ayant besoin de capitaux, comme les biotechnologies. Nous avons aussi soutenu les grandes entreprises lors des récessions, comme nous l'avons fait pour Bombardier et Transcontinental (éditeur de Les Affaires) après la crise de 2008.»
Le gouvernement devra se rendre compte que le Fonds ne pourra pas se montrer aussi actif si «on coupe le crédit», prévient Gaétan Morin. Il faut savoir que l'institution tire ses liquidités de deux sources : les cotisations des épargnants et le rendement de son portefeuille. Si confier son épargne-retraite au Fonds FTQ devient moins avantageux, les cotisations risquent de diminuer. «L'abolition du crédit d'impôt ne nous empêchera pas de racheter les parts de nos actionnaires qui partent à la retraite, insiste M.Morin. Mais ça affectera notre capacité à contribuer au développement économique, là où personne d'autre n'est là pour le faire...»
L'un des arguments qui résonnent fort en faveur de l'abolition du crédit au Canada anglais est le fait qu'il profite presque exclusivement au Québec. Près de 85 % des déductions apparaissent sur les déclarations de revenus de Québécois, actionnaires du Fonds FTQ ou de Fondaction de la CSN.
Le Fonds FTQ a un impact dans le reste du pays, se défend M. Morin. Il donne l'exemple de Lumira Capital, un fonds de capital de risque canado-américain qui investit dans les biotechnologies. «L'argent que nous investissons a été déployé au Québec, mais nos investissements ont permis à Lumira de fermer son capital et d'investir ailleurs au Canada.»
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Un changement de cap possible
M. Morin pense que le terrain devient de plus en plus favorable à sa cause. Il rappelle que Joe Oliver n'était pas aux commandes du ministère des Finances lorsque la décision a été prise par le ministre de l'époque, Jim Flaherty, décédé le printemps dernier. Des élections devront avoir lieu d'ici un an. Les députés et les hauts fonctionnaires ont aussi eu l'occasion de mesurer le plein impact de cette décision, selon lui.
À l'approche de la campagne électorale, le pdg mise d'abord sur les partis d'opposition, qui pourraient peut-être former le nouveau gouvernement.
Pour ce qui est des discussions avec le gouvernement en place, Gaétan Morin laisse croire qu'il garde une carte dans son jeu. Il n'a pas encore sollicité de rencontre avec le ministre des Finances, mais il compte le faire dans les «prochains mois». «On n'est pas encore rendu là dans notre agenda», se limite-t-il à dire en esquissant un sourire.
Un géologue chez les financiers
Lorsqu'il est arrivé au Fonds de solidarité FTQ en 1989, Gaétan Morin ne pensait y rester que pour quelque temps... Vingt-cinq ans plus tard, le géologue de formation se retrouve à la tête d'une organisation qui souhaite tourner une page difficile de son histoire.
Recruté pour créer un fonds spécialisé dans l'exploration minière, le détenteur d'une maîtrise en géologie à l'UQAM se rend vite compte que l'aventure ne serait pas viable. Le jeune professionnel prend les devants. Il rencontre son superviseur pour lui dire qu'il ne lui sera plus d'aucune utilité. Son patron lui propose plutôt un poste d'analyste financier. «À 30 ans, je n'aurai jamais pensé faire carrière au même endroit toute ma vie, se souvient-il. C'est une idée terrifiante à cet âge...»
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Séduit par les valeurs de son employeur, cet adepte de la voile et de la randonnée pédestre gravira les échelons jusqu'au poste de vice-président des investissements vers le milieu des années 2000. «C'est une mission tellement noble d'encourager les Québécois à épargner en vue de la retraite, affirme-t-il. À coup de modestes contributions, on réussit à amasser des dizaines de millions qu'on retourne dans l'économie du Québec. C'est pour ça que je me lève tous les matins.»
Ce portrait idyllique a été malmené par les affaires de corruption entendues à la commission Charbonneau. La FTQ a été forcée de revoir la gouvernance du Fonds de solidarité en février. Par exemple, le président de la centrale syndicale ne préside plus le CA du Fonds. C'est maintenant un administrateur indépendant, Robert Parizeau, qui occupe ce rôle. Yvon Bolduc, l'ancien pdg du Fonds, s'est aussi fait montrer la porte après avoir été éclaboussé par la commission. Gaétan Morin a officiellement pris le relais en juin.
«Ça a été difficile, reconnaît-il. Lorsque j'entrais au bureau, je disais à mon adjointe que «les fondations sont bonnes», raconte-t-il. Si je n'avais pas cru à notre rôle, je n'aurais pas pris la job. C'est important de faire un travail qui a un sens...»
Gaétan Morin doit ainsi veiller à l'adoption d'un nouveau plan stratégique pour le Fonds de solidarité FTQ afin «d'assurer sa pérennité pour les 20 prochaines années». S'il ne veut pas trop s'avancer sur ce qui ressortira de cet exercice avant la fin de la réflexion, il souhaite, entre autres, se pencher sur les façons d'attirer les jeunes épargnants tandis que son actionnariat vieillit, à l'image de la société québécoise.
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