Devant l'étendue de la fraude fiscale, l'Agence du revenu du Canada (ARC) se fait davantage tatillonne et curieuse - trop, selon certains. Mais il n'y a pas que les fraudeurs qui en pâtissent...
À la suite de plusieurs scandales bancaires et d'enquêtes journalistiques, les techniques modernes de fraude et d'évasion fiscale ont été mises au jour, et la crise des prêts à haut risque (subprimes) a achevé de braquer les projecteurs sur ces stratagèmes, beaucoup plus courants qu'on ne le croyait.
«Il y a sept ans, si on savait que certains se prévalaient de paradis fiscaux, on avait tendance à penser qu'il s'agissait d'un mouvement marginal», indique François Morin, avocat fiscaliste au cabinet montréalais Borden Ladner Gervais.
Dans ce mouvement international de lutte contre la fraude fiscale, le gouvernement a voulu donner des dents à l'ARC, qui a ainsi intensifié l'examen des informations fiscales confidentielles. «Beaucoup de fiscalistes et d'entreprises se plaignent de l'agressivité des autorités fiscales», raconte M. Morin. Et ce durcissement a un effet pervers : ceux qui font de l'évitement fiscal - stratégie fiscale certes peu morale, mais bien légale - sont ainsi mis sur le même plan que les fraudeurs qui font de l'évasion.
La conséquence pour les entreprises sous investigation et qui respectent la loi, c'est le coût : lorsqu'elles n'ont pas déjà de service à l'interne, elles doivent faire appel à des fiscalistes pour essayer de justifier leur situation et leurs comptes. «Mes clients se plaignent notamment de la méconnaissance de la loi par les fonctionnaires et de leur lenteur à prendre une décision et à traiter une demande, affirme M. Morin. Et même quand tout est au point et qu'on n'a rien à se reprocher, il y a toujours un moment d'incertitude pas très agréable.»
Au détriment des PME ?
À la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI), on dit recevoir de nombreux appels de membres au sujet d'investigations très poussées, voire intrusives.
«Dans le cadre des vérifications de train de vie, certaines personnes se font poser des questions très personnelles, tandis que d'autres entreprises ont eu à communiquer la liste de leurs fournisseurs, indique Martine Hébert, vice-présidente principale. C'est un excès de zèle qui n'est pas nécessaire et qui se fait souvent au détriment des plus petites entreprises.»
Dans son rapport de 2014, l'ARC dit pourtant adapter ses investigations en «centrant ses ressources de vérification sur les cas qui présentent le risque le plus élevé parmi les grandes entreprises et en réduisant le fardeau lié à l'observation pour les entreprises à faible risque».
«Ces investigations sont aussi une perte de temps, soutient M. Morin. Avant, je passais 5 % de mon temps à régler des problèmes qui n'existent pas avec les autorités fiscales ; aujourd'hui, j'en consacre 25 %.»
Faut-il pour autant revenir à la façon de faire plus douce, quand la stratégie d'espérer ne pas se faire prendre était gagnante pour les fraudeurs ? «En tant que citoyen, je préfère le zèle au laxisme. C'est une façon pour la société d'être plus juste et équitable», pense l'avocat.
Pour Martine Hébert, les agences du revenu provinciale et fédérale auraient intérêt à avoir une perspective d'accompagnement des entreprises, pour les aider à se conformer aux lois fiscales, souvent complexes.
C'est ce qu'assure faire l'ARC : «Nous favorisons l'observation en faisant en sorte que les contribuables comprennent mieux leurs obligations fiscales en leur procurant des activités de sensibilisation et une aide ciblée, ainsi qu'en les renseignant sur leurs responsabilités en matière de déclaration».
La question est aussi de savoir quels bénéfices retire vraiment l'État par rapport aux ennuis causés aux entreprises en règle, qui y perdent du temps et de l'argent. Dans son dernier rapport annuel, l'ARC indique avoir ainsi recouvré 16 milliards de dollars - en ayant dû augmenter ses ressources financières de plus de 22 millions de dollars.
La curiosité accrue de l'ARC n'a pas encore atteint son maximum, selon M. Morin : «Les autorités fiscales ne font que commencer à comprendre ce qui se passe dans les grandes entreprises. Et elles en sont fascinées...»