Mercedes Erra a contribué, entre autres, au repositionnement santé de Danone, au message jeunesse d'Evian et à la vision d'Air France : «Faire du ciel le plus bel endroit sur terre». Elle a fondé et dirige BETC Euro RSCG, sacrée neuf fois l'agence européenne la plus créative. Mercedes Erra, 57 ans, dirige aussi le holding Havas (qui détient BETC Euro RSCG), la sixième agence de communication du monde.
Diane Bérard- La crise a entraîné une perte de confiance des citoyens envers les élus et des travailleurs envers les entreprises. Qu'en est-il des consommateurs envers les marques ?
Mercedes Erra- Les consommateurs sont aussi des citoyens et des travailleurs, leur méfiance (ou défiance) se manifeste partout. Ils sont plus informés, se montrent plus soupçonneux et plus interrogatifs. Les consommateurs sont conscients des enjeux derrière la comm [la communication] des entreprises. L'intelligence des consommateurs me renverse. En focus group, ils peuvent nous en montrer ainsi qu'à nos clients !
D.B.- Comment la nouvelle attitude du consommateur influence-t-elle la gestion des marques ?
M.E.- Nous devons passer d'un univers marketing où l'on proclame à un autre où l'on démontre. Au lieu d'annoncer les choses comme si elles étaient acquises, il faut les prouver. Les consommateurs réclament du concret. Autrefois, ils parlaient des marques. Aujourd'hui, ils mélangent de plus en plus la marque et l'entreprise derrière celle-ci. Lorsqu'ils évoquent une marque, c'est pour parler des gens qui y travaillent, de la façon dont on les traite. Nous voulons acheter des marques créées par des gens respectueux de certaines valeurs.
Qu'est-ce que la marque employeur ?
D.B.- Qu'est-ce que la marque employeur ?
M.E.- Au début, les entreprises développaient leur marque employeur pour faciliter le recrutement. Elles voulaient des campagnes qui les présentent comme des employeurs de choix. Depuis que les consommateurs associent l'entreprise avec ses marques et qu'ils exigent que ses produits soient fabriqués par de bonnes sociétés, la marque employeur dépasse les visées de recrutement.
D.B.- Vous évoquez la nécessité que les entreprises adoptent des «postures plus humbles». Comment faire accepter cela à des clients qui rêvent de coups d'éclat et de grandes campagnes ?
M.E.- Je consacre beaucoup de temps à l'expliquer. La comm et la pub sont des métiers d'intelligence et de compréhension. J'explique à mes clients que le monde a changé. Qu'ils sont confrontés à une non-acceptation d'un monde qui repose uniquement sur la croissance de la consommation. Les entreprises doivent justifier, prouver, démontrer. J'ajoute aussi que plus vous faites preuve d'humilité, plus on sera indulgent envers vous si les choses tournent mal.
D.B.- Dire non au client, c'est facile ?
M.E.- Mes équipes sont entraînées pour cela. Mon agence est devenue ce qu'elle est parce que nous osons dire non au client. Ou plutôt, parce que nous tentons d'être le plus authentiques possible. Il faut résister à la peur. Se tenir debout devant un client qui menace toutes les cinq minutes de nous mettre dehors. Expliquer qu'on ne peut pas créer quand on a peur, qu'on n'est pas bon. Et accepter le fait qu'on peut perdre ce client.
D.B.- Tous les produits peuvent-ils devenir des marques ?
M.E.- Oui. Une marque, c'est ce que l'on ajoute par rapport au réel. L'humain est fait pour les idées, pas pour le réel. Il veut que son morceau de fromage vienne avec une histoire. Créer une marque, c'est y mettre des idées qui font que l'on y croit. Créer un désir au-delà du réel. Les politiciens l'ont très bien compris.
La crise aurait pu avoir raison de l'industrie du luxe, mais celle-ci s'en est tirée en reconsidérant son message. Comment ?
D.B.- La crise aurait pu avoir raison de l'industrie du luxe, mais celle-ci s'en est tirée en reconsidérant son message. Comment ?
M.E.- Le luxe a réagi intelligemment. On a dit : «Le monde du bling bling est mort. Fini l'exposition de la richesse, vive la simplicité, l'authenticité !» Les représentants du luxe ont donc choisi de mettre en relief le travail de leurs créateurs, les artisans. Tous ces métiers où l'on tire fierté de la qualité de son travail. Et les consommateurs ont adopté.
D.B.- Vous vous inquiétez pour l'avenir de votre profession. Pourquoi ?
M.E.- Mon métier se dégrade. C'est en partie notre faute, nous l'avons mal défendu. Les gens ne le comprennent pas, ils y voient un travail superficiel. Et puis, j'ai de plus en plus de difficultés à recruter. J'embauche beaucoup d'analystes de marché et je puise dans le même bassin de candidats que les McKinsey de ce monde. Eux paient le double que ce que paient les agences de comm. Résultat : notre métier se féminise. Les gars vont travailler chez McKinsey et les filles en agence. La féminisation d'un métier n'est jamais positive. Elle s'accompagne toujours d'une dévalorisation.
«Mon agence est devenue ce qu'elle est parce que nous osons dire non au client. Ou plutôt, parce que nous tentons d'être le plus authentiques possible. Il faut résister à la peur. Se tenir debout devant un client qui menace toutes les cinq minutes de nous mettre dehors.»
LE CONTEXTE
Toutes les entreprises rêvent de transformer leurs produits en marques. Mais y parvenir devient compliqué. Le consommateur n'achète plus seulement la marque, il achète aussi l'entreprise derrière.
SAVIEZ-VOUS QUE
En 2002, Mercedes Erra a été décorée de la Légion d'honneur pour sa contribution à l'économie française et à l'évolution du rôle des femmes.
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Chaque semaine dans le journal Les Affaires, notre journaliste Diane Bérard réalise une entrevue avec une personne bien en vue ou une star montante de la scène économique mondiale. Pour la période des Fêtes, nous publions 10 des meilleurs entretiens menés par notre reporter.