Revente, don, troc, location ou emprunt, l'économie du partage, ou collaborative, vieille comme le monde, a été réinventée par la révolution numérique. Et pour certains, utiliser au maximum les produits ne peut qu'avoir un impact positif sur l'environnement.
Cependant, une étude de l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), situé à Paris, remet en question les prétentions écologiques de l'économie du partage et cherche à savoir si les économies qui en découlent ne serviraient pas plutôt à consommer davantage. «Les études sur les motivations actuelles des usagers de l'économie du partage convergent vers [...] l'optimisation du pouvoir d'achat, même si les considérations environnementales ne sont pas absentes.»
L'étude de l'IDDRI, réalisée par Damien Demailly avec l'aide d'Anne-Sophie Novel, tous deux docteurs en économie, segmente l'économie du partage en trois modèles : le réemploi, la mutualisation et la mobilité partagée. En principe, ces pratiques permettent d'augmenter le taux d'usage de biens matériels et contribuent à réduire la quantité de biens à produire. Mais le bilan environnemental de ces pratiques suscite de nombreux doutes.
1 Le réemploi
L'idée selon laquelle le réemploi est positif d'un point de vue environnemental peut être illustrée par l'exemple de la poussette abandonnée à la cave. Monsieur X la revend à Madame Y sur Internet ou la lui donne. En principe, il y aura une poussette neuve de moins à produire ; l'impact environnemental sera donc positif. Mais les choses ne sont pas aussi simples. Pour que le bilan environnemental soit positif, il faut que certaines conditions soient respectées :
- Que le vendeur ou le donneur ne remplace pas ce bien par un autre achat ;
- Que l'acquéreur n'achète pas une autre poussette pour le plaisir ou la commodité d'en avoir deux ;
- Que, le réemploi ayant été prévu lors de lapremière acquisition du bien, l'acheteur ait initialement opté pour un bien à longue durée de vie.
Pourtant, les pratiques de réemploi remplissent rarement toutes ces conditions. Voilà pourquoi l'analyse environnementale est une tâche impossible, selon l'étude de l'IDDRI. «Le problème de ces modèles d'affaires est que la réduction du nombre de biens à produire, l'amélioration de leur qualité et de leur durabilité [...] ne sont pas nécessairement leurs objectifs.»2 La mutualisation
Prenons l'exemple classique de la perceuse. Plutôt que d'acheter une perceuse de mauvaise qualité, j'en loue une à un professionnel dans mon quartier ou je l'emprunte à mon voisin. À première vue, le bilan environnemental de cet exemple est positif.
Sauf que, si un bien utilisé deux fois plus souvent dure deux fois moins longtemps, alors le bénéfice environnemental disparaît.
3 La mobilité partagée Autopartage
Une voiture n'étant utilisée que 8 % du temps, selon l'IDDRI, on pourrait la partager et économiser des ressources financières et matérielles. Et la documentation regorge d'indications selon lesquelles une voiture partagée remplace de 4 à 8 voitures individuelles. Est-ce à dire que nous aurons à produire quatre fois moins de voitures ? Oui, si et seulement si :
la voiture partagée est plus durable, c'est-à-dire si elle ne dure pas quatre fois moins longtemps si elle est quatre fois plus utilisée, ce qui est loin d'être évident ; on n'utilise pas une voiture partagée pour parcourir plus de kilomètres en voiture ; on n'utilise pas l'autopartage plutôt que le transport en commun.
Covoiturage
Le covoiturage permet-il de réduire le nombre de voitures sur les routes ? Oui, si les passagers avaient pris leur voiture ou les transports en commun à la place.
En outre, l'étude souligne que, si l'autopartage et le covoiturage devenaient très populaires, l'intérêt à entretenir ou à construire de nouvelles lignes de transport en commun pourrait s'amoindrir.
L'effet rebond
L'effet rebond fait référence au risque que le gain de pouvoir d'achat généré par l'économie du partage serve à acheter des produits ou des services encore plus dommageables à l'environnement que la production des biens partagés. Par exemple, la personne qui covoiture utilise-t-elle ses économies pour acheter des légumes bios ou un billet d'avion pour les îles Vierges ?
Voilà les raisons pour lesquelles l'IDDRI conclut que «les différents modèles de l'économie du partage ne sont pas intrinsèquement durables».
> 7: Si les modèles de partage étaient utilisés au maximum, c’est 7 % du budget et 20 % des déchets des ménages qui pourraient être économisés. Source : Institut du développement durable et des relations internationales
Qu'en pense Laure Waridel ?
Bien connue pour son engagement dans la cause écologiste, Laure Waridel est convaincue des aux vertus de l'économie du partage. «Je ne suis pas du tout inquiète.»
Selon elle, il est faux de prétendre que, même si une auto dure quatre fois moins longtemps parce qu'elle est utilisée par quatre personnes, il n'y a pas de gain pour l'environnement : «Qu'on pense seulement aux trois places de stationnement en moins requises.»
Mme Waridel, qui prépare un doctorat sur l'émergence d'une économie écologique et sociale au Québec, explique qu'«il est simpliste de penser qu'une personne qui fait du couchsurfing [dormir sur le divan d'un hôte en voyage] va utiliser les économies ainsi réalisées pour s'acheter un iPad. La plupart des personnes qui font du couchsurfing ne pourraient pas voyager si elles devaient se payer un hôtel ; elles n'ont donc pas les moyens de se procurer un iPad.»
L'économie du partage, selon elle, repose sur l'équilibre entre le développement durable, l'économie et le social. «L'économie du partage favorise la création de liens entre les gens. Ce qui leur permet de répondre à leurs besoins sans qu'il y ait forcément échange de dollars, explique Mme Waridel. Comme aider un voisin à déménager. Entre autres bénéfices, l'économie sociale combat l'isolement et réduit les problèmes de santé mentale qui peuvent en découler.»
Enfin, Mme Waridel croit fermement que l'économie du partage se traduit par une diminution de la consommation, parce que «ceux qui s'y adonnent sont généralement plus sensibles à l'environnement que le reste de la population».