Croissance économique et progrès social ne vont pas toujours de pair. Certains pays offrent à leurs citoyens une société plus sécuritaire, plus égalitaire et plus salubre que des pays plus riches. Le Social Progress Imperative vient de publier la version 2014 du Social Progress Index (SPI). Michael Green, le pdg, explique en quoi cet indice est utile pour les gouvernements et les entreprises.
Diane Bérard - Le 10 avril dernier, votre organisation a dévoilé la seconde édition de l'indice de progrès social (SPI, Social Progress Index). De quoi s'agit-il ?
Michael Green - Le SPI mesure le niveau de développement humain et sociétal d'un État ou d'une région en fonction de 52 indicateurs. Ceux-ci sont répartis en trois groupes. D'abord, les besoins humains fondamentaux, soit la nutrition, l'accès à l'eau, le logement et la sécurité. Puis, les éléments requis pour atteindre un certain niveau de bien-être, soit l'accès à l'éducation, l'accès à l'information et aux communications, la santé et la salubrité de l'environnement. Enfin, le potentiel d'améliorer son sort, soit les droits politiques, la liberté, la tolérance, l'inclusion et l'accès à l'éducation supérieure.
D.B. - En quoi le SPI diffère-t-il des autres indices de développement ?
M.G. - Il ne repose sur aucun facteur économique. Même l'indice de bonheur national brut (GNH) est calculé selon une combinaison de facteurs économiques et sociaux. En créant le SPI, nous avons voulu isoler les indicateurs sociaux pour comparer la croissance économique et le développement social. On conclut généralement qu'à chaque augmentation du PIB, le sort des citoyens s'améliore. Ce n'est pas toujours le cas.
D.B. - Le coefficient de GINI mesure déjà l'inégalité des revenus dans un pays. Qu'est-ce que le SPI apporte de plus ?
M.G. - Le coefficient de GINI varie de 0 à 1. La note 0 signifie l'égalité parfaite des revenus, et 1, l'inégalité totale. C'est une mesure utile pour comprendre la répartition et la captation de la richesse dans un pays. Mais cela ne nous dit pas si l'air est vicié, si les filles sont forcées de se marier en bas âge ou si le taux d'homicide est élevé.
D.B. - Qui est à l'origine du SPI ?
M.G. - Le Social Progress Imperative, une organisation non gouvernementale [ONG] américaine.
D.B. - Pourquoi le milieu des affaires s'intéressait-il à un indice de développement qui ne contient aucun indicateur économique ?
M.G. - Notre président du conseil est Michael Porter, le célèbre professeur de Harvard et gourou de la compétitivité. Notre ONG est pro-entreprises, pro-affaires, pro-croissance et pro-capitalisme. M. Porter s'est joint à notre conseil parce qu'il est convaincu que le progrès social est bon pour les affaires. Un État dont l'indice de progrès social est plus élevé connaît une croissance plus robuste à long terme.
D.B. - Comment mesurez-vous les 52 indicateurs ?
M.G. - Nous avons mis deux ans pour produire une version bêta du SPI. Nous utilisons des données existantes, comme le sondage mondial Gallup, qui mesure certains indicateurs sociaux. Nous interviewons des experts, dont des spécialistes en droits de la personne. Pour chaque indicateur, nous avons choisi de donner préséance à l'expérience réelle des citoyens plutôt qu'à la loi. La sécurité, la liberté et l'égalité peuvent être prônées officiellement par un gouvernement, mais peu appliquées.
D.B. - Doit-on comparer les pays pauvres entre eux et les pays riches entre eux ?
M.G. - Surtout pas ! Un humain est un humain. Et objectivement, il est plus agréable de vivre en Norvège qu'en Afrique. Les indicateurs de développement social s'appliquent à tous. C'est ce qu'il faut retenir et mettre en avant.
D.B. - Comment doit-on interpréter les résultats du SPI ?
M.G. - Les pays devraient comparer leur niveau de développement économique avec leur niveau de développement social. Cela permet de voir si un État, une société, tire profit des fruits de son développement économique. Les États-Unis, par exemple, sous-performent socialement par rapport à leur niveau de richesse, alors que le Rwanda sait tirer beaucoup plus d'une richesse bien plus faible. Le Costa Rica, pour sa part, affiche un SPI plus élevé que l'Italie tout en ayant un PIB trois fois moindre. Cela signifie que le Costa Rica investit son capital plus efficacement.
D.B. - Jusqu'à quel point une société plus riche est-elle plus développée sur le plan social ?
M.G. - Règle générale, plus une société s'enrichit, plus l'indice de progrès social grimpe. C'est surtout vrai dans les pays pauvres. Là-bas, tout accroissement du PIB se traduit automatiquement par plus de médecins et plus d'eau potable, par exemple. Mais au-delà d'un certain seuil, la corrélation entre progrès économique et progrès social est inversée. Les sociétés plus riches connaissent des problèmes de santé, d'obésité par exemple. Et le niveau de pollution augmente.
D.B. - Les pays au SPI plus élevé sont-ils mieux gouvernés ?
M.G. - Pas nécessairement, chaque histoire est différente. Plusieurs acteurs peuvent influer sur le développement social d'un pays. Prenez le cas du Pakistan et du Bangladesh. Le Bangladesh affiche un SPI plus élevé que le Pakistan. Pourtant, le gouvernement du Bangladesh n'est pas particulièrement impressionnant. Par contre, l'entrepreneuriat social bangladais est vigoureux. Peut-être que ces entrepreneurs ont contribué à réduire les problèmes sociaux et environnementaux.
D.B. - À qui et à quoi sert le SPI ?
M.G. - En décembre 2014, le Paraguay a été le premier pays à élaborer à la fois un plan de croissance économique et un plan de croissance sociale. Pendant ce temps, le gouverneur de l'État de Para, dans la forêt amazonienne brésilienne, s'est donné pour objectif de rendre son SPI comparable à celui des régions les plus avancées du Brésil.
D.B. - En quoi le SPI peut-il être utile à une entreprise ?
M.G. - Certaines entreprises s'en servent pour prioriser leurs investissements communautaires. La revue du pointage de chacun des indicateurs sociaux permet à l'entreprise de déterminer les besoins les plus pressants et de mieux cibler ses interventions. Coca-Cola et la société de cosmétiques brésilienne Natura font partie des sociétés qui s'appuient sur le SPI.
D.B. - Vous «franchisez» le SPI ; qu'est-ce que cela signifie ?
M.G. - Nous estimons que le SPI est un bien public qui doit être disponible pour tous. Nous mettons donc notre méthodologie à la disposition des États ou des régions qui le désirent. La Commission européenne est en train de développer son propre SPI - pour déterminer les enveloppes d'aide aux régions - de même que l'État du Michigan. Et certaines provinces canadiennes viennent de nous approcher.
D.B. - Comment le Canada se classe-t-il en matière de SPI ?
M.G. - Les deux points faibles sont l'obésité et les abonnements à la téléphonie mobile. Le Canada se classe 102e sur 133 pays pour ce qui est du pourcentage d'obésité. Et il occupe la 101e place quant à la proportion d'abonnements à la téléphonie mobile. L'obésité est un problème de pays riches et de pays qui s'enrichissent. Le faible score du Canada en matière d'abonnements au mobile s'explique plus difficilement.