Croître pour atteindre des objectifs de rendement prédéterminés, ce n'est pas dans l'ADN de la coopérative laitière Agropur. Et pourtant, vous trouverez peu d'entreprises québécoises de cette envergure aussi actives sur le chemin de la croissance. Huit acquisitions en deux ans, dont trois en juillet. La plus récente, celle de l'américaine Davisco Foods International, a permis à Agropur, qui commercialise les marques Natrel, Québon, Sealtest, Oka et Iögo, notamment, de se hisser au top 5 des entreprises de transformation laitière en Amérique du Nord. Son chiffre d'affaires passera, avec ces récentes acquisitions, de 3,8 à 5,8 milliards de dollars.
À lire aussi:
Une librairie où les employés prennent la relève
Les coopératives scolaires se mettent à table
«On ne croît pas juste pour croître chez Agropur, dit Robert Coallier, chef de la direction. Pour nous, dire de combien on grandit n'est pas nécessairement un critère. On vise des acquisitions stratégiques qui permettent d'assurer la pérennité de l'entreprise.»
M. Coallier note que la croissance de la coopérative fondée à Granby en 1938 s'est faite de manière organique, bien sûr, mais aussi par plus de 130 fusions et acquisitions au cours de son histoire. L'achat de Davisco, dont le chiffre d'affaires atteint 1 G$, est toutefois la plus grande transaction jamais réalisée par Agropur.
«On assiste à une consolidation importante dans l'industrie laitière, autant nord-américaine que mondiale. Nos membres veulent qu'on s'assure de la pérennité de leur entreprise et, dans un contexte de consolidation, on pense que la pérennité nous oblige à être un joueur significatif dans l'industrie», explique M. Coallier, ex-haut dirigeant de Molson et de Dollarama, arrivé chez Agropur en 2012.
À lire aussi:
Une librairie où les employés prennent la relève
Les coopératives scolaires se mettent à table
Une présence accrue aux États-Unis
L'acquisition de Davisco permet à la coopérative québécoise de doubler ses activités américaines de transformation et d'accroître de 50 % son approvisionnement en lait. Devenu un grand acteur au Canada grâce à de précédentes acquisitions, comme les capacités de transformation laitière de Sobeys (356 millions de dollars en juillet 2014), Agropur le devient aussi aux États-Unis ; une étape cruciale pour son avenir.
«Nos clients B2B pour qui on fabrique à forfait [par exemple, Kraft] rationalisent de plus en plus leur nombre de fournisseurs, et ils veulent s'assurer de transiger avec ceux qui sont capables de les suivre dans leur croissance, en volume et par territoires. Si on a l'habileté, ça permet de bâtir des relations très fortes avec eux», explique M. Coallier.
Lors de la dernière assemblée annuelle, l'hiver dernier, M. Coallier a lancé qu'il visait le top 10 mondial des entreprises laitières, duquel fait partie le géant québécois Saputo. Le dirigeant avait précisé ensuite la différence entre l'ambition et les objectifs, la première étant un facteur de motivation. Après, il faut parfois beaucoup de temps pour concrétiser le rêve.
«Jusqu'à présent, et avec nos acquisitions récentes, le développement international pour nous passe par les exportations à partir des États-Unis. L'acquisition de Davisco nous a ouvert des marchés en Asie auxquels nous n'avions pas accès auparavant. C'est un pas vers l'international, mais avant de faire de grands gestes, on veut regarder les modèles et s'assurer de prendre les bonnes stratégies», avance-t-il aujourd'hui avec prudence.
Le marché américain, constate M. Coallier, offre encore un grand potentiel de croissance par acquisitions, car la consolidation de l'industrie y est beaucoup moins avancée qu'au Canada. Mais dans un avenir rapproché, Agropur doit d'abord s'assurer de bien intégrer ses nouvelles entités.
À lire aussi:
Une librairie où les employés prennent la relève
Les coopératives scolaires se mettent à table
Des piliers stratégiques
Outre le développement national et international, la coopérative laitière s'appuie sur quatre autres piliers stratégiques jusqu'à la fin 2015. Agropur veut continuer d'accroître son portefeuille de marques. Elle a d'ailleurs investi 45 M$ l'an dernier pour augmenter la visibilité de la marque OKA ainsi que la capacité de fabrication de ces fromages, et l'image de Natrel a été complètement refaite. L'innovation constitue un autre vecteur de croissance, dont les produits Iögo sont le symbole. Un an après sa naissance, la marque issue d'Aliments Ultima (copropriété d'Agropur et d'Agrifoods), détenait déjà 14 % du marché du yogourt au Québec et 10 % au Canada, selon AC Nielsen. Agropur veut atteindre 20 %.
Pour assurer sa solidité financière, la coopérative québécoise a enfin pour objectif de réduire ses coûts d'exploitation de 75 M$ d'ici la fin de l'année prochaine, tout en maintenant les emplois.
En tant que dirigeant, Robert Coallier est heureux de pouvoir forger une vision à long terme pour Agropur, ce que permettent les coopératives qui ne sont pas soumises au même type de pression que les sociétés cotées en Bourse. Il n'y a pas de spéculation dans une coopérative. Toutefois, fait-il remarquer, la responsabilité est énorme, parce que la propriété d'Agropur se transfère de génération en génération depuis 76 ans et que l'avenir des 3 556 propriétaires agriculteurs est intimement lié à sa continuité.
À ceux qui s'étonnent encore de voir des coopératives en mener aussi large et négocier des milliards de dollars, M. Coallier dira, à la veille du Sommet international des coopératives à Québec, qu'Agropur est loin d'être la seule parmi les grandes entreprises laitières du monde.
«C'est simplement parce que les coopératives sont moins connues. Elles ont moins de visibilité du fait qu'elles n'ont pas d'actions sur les marchés boursiers.»
Profil
Membres: 3 554 producteurs de lait
Siège social: Longueuil
Employés: 6 500
Usines: 41 en Amérique du Nord
Agropur en chiffres
Chiffre d'affaires 2009: 2,8 G$
Chiffre d'affaires 2013: 3,8 G$
Chiffre d'affaires 2014: 5,8 G$ 1
1 Prévision
Bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements en 2013: 264 M$
Ristournes en 2013: 110 M$
Avoir des membres en 2013 (un sommet historique): 1 G$
Source : Agropur
À lire aussi:
Une librairie où les employés prennent la relève
Les coopératives scolaires se mettent à table