La pizzeria et bar à mozzarella Mangiafoco, le restaurant japonais Shinji, le bar-resto Rufus Rockead, la taverne branchée La Drinkerie, à Montréal, et le pub Edgar Hyperlodge de Bromont : à n'en pas douter, Éric Le François et Jeff Stinco ne cessent de multiplier les adresses et la diversité de leurs établissements.
Les derniers en lice, le restaurant Laurea et le bar Lorbeer, ont pignon sur rue dans l'espace laissé vacant par la mythique Rôtisserie Laurier, qu'avait tentée de relancer le très médiatisé chef cuisinier britannique Gordon Ramsay. Les nouveaux propriétaires, qui comptent aussi Cindy Simard du resto-bar Rachel Rachel et le chef Hakim Chajar parmi leurs associés, n'ont toutefois pas l'intention de redonner un second souffle à cette icône du 381 Laurier ouest, qui avait ouvert ses portes il y a 75 ans.
«Les habitués ont été assez surpris quand ils sont revenus lors de l'ouverture. C'est la même adresse, mais un tout autre concept», souligne Éric Le François, en précisant que l'un offrira une cuisine de style microbrasserie et l'autre, de style méditerranéen. Pour son partenaire Jeff Stinco, mieux connu comme guitariste du célèbre groupe Simple Plan, c'est un retour vers le futur ! «Je venais ici quand j'avais six ou sept ans, pour le souper familial du samedi soir».
Les deux associés précisent qu'on fera néanmoins quelques clins d'oeil au passé dans le menu du Laurea qui sera inauguré le 5 août, tandis que le Lorbeer a ouvert ses portes au début juillet. De plus, le Laurea (laurier en latin) et le Lorbeer (laurier en allemand) sont aussi des noms évocateurs de leur emplacement.
Unis par la bière
La relation d'affaires entre Éric Le François et Jeff Stinco remonte à près de quatre ans, d'abord dans l'aventure du Mangiafoco, dans le Vieux-Montréal. Au même moment, les deux partenaires ont acquis la microbrasserie en faillite Micro de Bromont, en compagnie de Martin Proulx qui, à titre de directeur des opérations, gère les activités quotidiennes de la nouvelle brasserie, Brasseurs de West Shefford. Ils y ont vu une occasion de la remettre sur pied en se servant de leurs restaurants comme d'un réseau de distribution.
«Avec la microbrasserie, qui est maintenant au coeur de tous nos projets, j'ai appris la signification de l'intégration verticale», explique M. Le François.
Les nouveaux propriétaires se sont d'abord attelés à la reformulation des recettes de bières avec l'aide du maître-brasseur Jean-François Théorêt, qui en est aussi devenu actionnaire, et qui avait travaillé à la microbrasserie montréalaise McAuslan.
Aujourd'hui, la microbrasserie de Bromont offre cinq types bière, la blonde, la rousse et la blanche, et elle vient de lancer une nouvelle famille de bière avec la stout Pretty Bastard. «Il y a un grand potentiel de croissance», assure Jeff Stinco, soulignant que la microbrasserie a déjà doublé sa production à 4 000 hectolitres.
Outre la vente dans leurs propres bars et restaurants, qui représente 40 % du volume, les Brasseurs de West Shefford écoulent le reste de sa production dans d'autres établissements sous marque privée. L'entreprise, qui entend commercialiser davantage ses propres marques, devrait dès l'automne vendre ses bières dans les grandes chaînes d'alimentation et les épiceries.
Le vétéran et la recrue
Entretemps, Éric Le François prépare l'ouverture à l'automne du bar à huîtres Notkins, dans le quartier des spectacles, et du resto-bar Mimi la nuit, dans le Vieux-Montréal. Jeff Stinco ne sera de l'aventure que pour ce dernier.
Pourtant, le secteur de la restauration n'est pas réputé facile et stable. Après seulement cinq ans d'exploitation, près des trois quarts (70 %) des entreprises de restauration du Québec auront fermé leurs portes, alors que seulement 15 % d'entre elles survivent au-delà de neuf ans, selon l'Association des restaurateurs du Québec.
«Il y a beaucoup de concurrence. C'est un défi, et on doit l'aborder avec une vision à long terme et savoir se renouveler. Mais on est prêt à faire face aux risques. Et une des façons de le faire est de bien s'entourer, tant sur le plan des associés que des employés», dit Éric Le François, en précisant que chacun des établissements qu'il possède réunit un ou plusieurs partenaires. D'autant que «je ne pourrais pas tous les exploiter seul».
Éric Le François, qui est aussi propriétaire de la Taverne Normand, de la Taverne St-Sacrement et de Chez Victoire, a commencé sa carrière de restaurateur et de propriétaire de bar avec Le Barbare, rue Saint-Denis. Il l'a ensuite vendu pour acquérir le bar d'en face, Au Diable Vert, qu'il a exploité pendant près de 15 ans. Il était aussi partenaire du Edgar Hypertaverne, sur l'avenue Mont-Royal, qui vient d'annoncer sa fermeture, à l'occasion de son 13e anniversaire !
«Il est extrêmement difficile d'être la "saveur du mois" après toutes ces années», commente M. Le François, qui retire une certaine fierté du fait d'avoir «duré si longtemps».
Les difficultés rencontrées ces dernières années par les commerçants du Plateau-Mont-Royal ont aussi contribué à cette fermeture, dit Éric Le François qui concentre maintenant ses activités dans d'autres quartiers montréalais, comme Griffintown et le Sud-Ouest.
«Ce n'est plus nécessaire d'être sur une grande artère. Le modèle à suivre est celui des établissements de quartier», ajoute Jeff Stinco.
Le guitariste s'est lancé dans le secteur de la restauration et des bars par «esprit entrepreneurial et par curiosité». Il aurait pu choisir un autre domaine, d'autant que «j'associais les bars et restos à un milieu désorganisé», mais sa rencontre avec Éric Le François l'a convaincu du contraire. Cependant, il n'avait nullement l'intention d'être un actionnaire passif. «J'aime comprendre ce que je fais et m'impliquer activement dans des projets.»