À l'heure où d'autres détaillants québécois tombent ou vacillent, victimes d'une concurrence mondiale féroce, accentuée par le commerce en ligne, Simons prend de l'expansion et espère doubler son chiffre d'affaires avec l'ouverture de cinq magasins au pays d'ici 2017. Même s'il se prépare à investir 100 millions de dollars dans l'aventure, son président Peter Simons n'ose pas dire qu'il a confiance.«Je n'aime pas ce mot, parce que j'ai toujours peur. Mais je crois à mon équipe, à nos valeurs. Je crois au talent. Il faut avoir le courage de nos convictions, être les architectes de notre destin. Je crois qu'il ne faut pas regarder constamment vers le sud et penser que tout est mieux. Au fond, j'ai confiance dans mon équipe et c'est pour cette raison, à la fin, que j'investis», confie Peter Simons, en entrevue avec Les Affaires.
L'ouverture de magasins à Gatineau, Vancouver, Calgary, Mississauga et Ottawa représente beaucoup de risques, admet l'homme d'affaires, mais la confiance dans son équipe prime sur le contexte économique.
«Ma famille est en affaires depuis cinq générations. Elle a vu des récessions, la grande dépression, deux guerres mondiales. En 175 ans, il s'en passe des choses. Avant tout, il faut penser à long terme. Je songe à quatre générations de ma famille et j'ai peur d'être le petit coco qui détruit tout. Il y a toujours cette insécurité, mais parce qu'on est une entreprise privée, on peut se permettre une vision à long terme.»
Des magasins pour éduquer et divertir
Simons n'est pas guidée par des objectifs de croissance à tout prix pour satisfaire des actionnaires impatients. Ainsi, malgré les turbulences causées par la technologie, Peter Simons croit à l'avenir des magasins physiques.
«Un équilibre va se créer entre les magasins et le commerce électronique. Je ne sais pas quand exactement, mais je crois au besoin d'avoir une interaction humaine de qualité, et je crois au rôle des magasins pour éduquer et divertir. Nous sommes des êtres sociaux. Je ne pense pas que le commerce électronique prendra toute la place. Et si je me trompe... ben voilà, je suis dans le trouble !» lance-t-il en riant.
Le détaillant estime que le site Web transactionnel et les magasins sont deux pôles qui se renforcent l'un l'autre.
«On a dépassé l'effet vitrine marketing, après quatre ans. Je considère que le commerce en ligne est devenu la colonne vertébrale opérationnelle de notre entreprise et de l'effort de service. C'est une plateforme autour de laquelle nous pouvons structurer toute notre habileté à bien servir le client.»
Toutefois, elle est bien loin aujourd'hui l'idée que le commerce électronique génère des économies pour le détaillant.
«Au début, on pensait que le commerce électronique allait rendre grands tous les petits détaillants. Mais la réalité, c'est que les standards d'intégration technologique et de qualité de contenu augmentent, et c'est un effort financier important, surtout pour une entreprise locale comme la nôtre», dit celui dont le personnel, réparti en trois ou quatre studios, va photographier près de 150 000 styles de vêtements (sans compter les couleurs...) cette année.
Accroître son pouvoir d'achat
Pour rester concurrentiel malgré ces nouveaux coûts, devant des acteurs de taille mondiale, Simons a choisi de grandir dans son pays pour accroître son pouvoir d'achat et sa capacité d'ajouter de la valeur à ses produits.
«Je ne vends pas des vêtements, mais une palette d'expressions. Cette palette est inspirée par toutes sortes de sources artistiques partout dans le monde, et ça nécessite un certain pouvoir d'achat pour pouvoir réaliser nos idées et amortir le coût de nos efforts, afin que notre assortiment soit unique», explique l'homme d'affaires, qui a des bureaux dans ce qu'il appelle les «créopoles», notamment à Florence et à Paris.
Après des années de consommation plus frivole, Peter Simons sent venir une vague de consommation plus responsable, plus réfléchie, plus soucieuse de qualité, plus sensible à la valeur ajoutée. Du moins il l'espère, car son entreprise va de ce côté. Et il faut aussi, selon lui, commencer à mesurer la valeur dans ce que les entreprises font pour les communautés où elles sont actives.
«Si le client ne réfléchit pas à l'ensemble de la valeur d'un acteur dans son milieu, d'où viendra l'argent pour éduquer nos enfants et soigner nos parents ? J'aurais pu mettre mes serveurs pour le commerce électronique au Luxembourg et ne pas payer mes impôts, comme d'autres se disent qu'ils ont le droit de le faire pour procurer du rendement aux actionnaires. J'aurais pu, mais je choisis autrement», affirme Peter Simons, donnant en exemple le scandale de l'évasion fiscale révélé plus tôt cette année en Europe. Le Consortium international des journalistes d'investigation a pu dévoiler des accords fiscaux entre le Luxembourg et 340 multinationales, dont Amazon, Ikea, Verizon, Heinz et Pepsi, qui ont ainsi privé les États européens de milliards d'euros de recettes fiscales depuis 2002. Le Canada, estime M. Simons, doit aussi se préoccuper du problème.
«Je ne suis pas chialeux, j'aime vivre ici et je suis content de payer mes impôts et de participer à la société, mais il faut une conversation là-dessus pour s'assurer qu'avec la nouvelle économie, on ne devienne pas des esclaves des multinationales. J'espère que la clientèle comprendra qu'il y a des avantages à avoir des entreprises établies au Québec et au Canada, qui aident des institutions et assument leurs responsabilités», conclut Peter Simons, dont l'entreprise soutient notamment l'Orchestre symphonique de Québec.
Simons
Activités: Commerce de détail, vêtements et lingerie
Siège social: Québec
Fondation: 1840
Nombre d'employés: 2 000
Nombre de magasins: 8 (7 au Québec et 1 à Edmonton)